Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 612 / 28 & 30.12 – Quand la tente devient une patrie provisoire et l’atelier de soutien un baume pour les blessures de guerre

Brigitte Challande, 31 décembre 2025.- Compte rendu d’un des ateliers de soutien psychologique : récits de femmes qui reconstruisent la famille au cœur d’un déplacement impitoyable, 28 décembre.

« Dans la phase dite d’après-guerre, alors que la vie est censée tenter de reprendre son souffle, les femmes de la bande de Gaza se retrouvent piégées dans une réalité plus dure que toutes les attentes. La guerre ne s’est pas réellement achevée avec l’arrêt des bombardements : elle a laissé derrière elle des camps de déplacés impropres à la vie, des tentes fragiles qui ne protègent ni de la chaleur étouffante de l’été ni du froid de l’hiver, et des journées lourdes qui commencent sans jamais finir. Dans ce contexte, la femme porte le poids de la perte, de la peur et des responsabilités, tout en essayant, en même temps, de paraître forte pour que ceux qui l’entourent ne s’effondrent pas.

Chaque jour, les femmes se réveillent face à des questions douloureuses sans réponses claires : comment assurer la nourriture dans un contexte de pénurie des ressources ? Comment préserver l’hygiène des enfants dans un lieu dépourvu des conditions sanitaires les plus élémentaires ? Comment calmer un enfant qui tremble de peur au moindre bruit fort ? Et comment une mère peut-elle contenir ses propres émotions avant de contenir celles de ses enfants, alors qu’elle vit sous une pression psychologique continue, sans intimité, sans sécurité et sans perspective proche d’amélioration ? À l’intérieur des tentes, les rôles se confondent, les pressions s’accumulent et les émotions deviennent vives et inflammables : la fatigue se transforme en colère, le silence en malentendus, et la peur en conflits familiaux qui s’intensifient jour après jour.

Les équipes de l’UJFP poursuivent la mise en œuvre de séances de soutien psychosocial destinées aux femmes de la bande de Gaza, une nouvelle séance de soutien psychologique a été organisée dans la zone centrale, à l’ouest de Deir al-Balah, au sein du camp Al-Durra, avec 25 participantes parmi les femmes déplacées qui se sont retrouvées contraintes de reconstruire leur vie sous les tentes.

Lle lieu, malgré sa grande simplicité, offrait un rare espace de sécurité. Une petite tente, mais remplie de la présence de femmes portant des histoires plus lourdes que leur âge, des yeux épuisés par l’insomnie et l’angoisse, et des cœurs qui cherchaient simplement quelqu’un pour les écouter sans jugement. La séance a commencé par une rencontre de présentation simple, un échange des prénoms pour briser les premières barrières par des sourires timides et des regards hésitants qui se sont rapidement transformés en un sentiment de familiarité.

Il a été souligné dès le départ que tout ce qui serait dit à l’intérieur de la tente y resterait, et que les émotions, aussi contradictoires ou douloureuses qu’elles puissent paraître, sont naturelles au regard des traumatismes accumulés que vivent les femmes.

Avec le lancement des activités, les séquences ont varié entre des exercices légers pour relâcher les tensions et des activités de relaxation qui ont aidé les femmes à respirer profondément et à alléger, ne serait-ce qu’un peu, le poids qui oppressait leur poitrine.

Puis est venue la phase la plus importante de la séance : le moment de la libération émotionnelle, lorsque la parole a été ouverte aux participantes pour qu’elles expriment ce qu’elles vivent à l’intérieur des tentes de déplacement. Des femmes ont parlé de conflits familiaux qui n’existaient pas avant le déplacement, d’enfants devenus plus nerveux et craintifs, de maris épuisés par le sentiment d’impuissance dont le silence se transformait en tension au sein de la famille, et de mères envahies par la culpabilité chaque fois qu’elles perdaient patience dans un moment de faiblesse.

Les participantes n’ont pas été interrompues, leurs émotions n’ont pas été corrigées ni minimisées. Il n’y avait qu’une oreille attentive, des regards compréhensifs et des gestes confirmant que ce qui était dit était entendu et respecté. La tente s’est transformée en un espace de confession collective, où les femmes ont découvert qu’elles n’étaient pas seules et que la douleur partagée, devient plus supportable.

Les animatrices ont orienté la discussion vers l’importance de préserver les liens familiaux dans le contexte du déplacement, non pas comme un luxe, mais comme une nécessité psychologique protégeant tous les membres de l’effondrement. Il a été question de la communication au sein de la famille en temps de crise, de la manière d’exprimer la colère et la tristesse sans nuire aux autres, et de la possibilité de transformer la tente, malgré son exiguïté, en un espace où les enfants peuvent ressentir une forme relative de sécurité.

La séance a également abordé l’importance de la coopération entre les membres de la famille et de la répartition des rôles à l’intérieur de la tente afin d’alléger le fardeau qui repose le plus souvent sur la mère, laquelle assume généralement toutes les responsabilités à elle seule. Un espace particulier a été consacré à la discussion autour des enfants et de leur besoin urgent d’amour et de protection durant cette période, même lorsque les circonstances sont trop dures pour le permettre aisément.

À l’approche de la fin de la séance, la souffrance n’avait pas disparu, mais elle était devenue moins lourde. Les femmes sont reparties avec le sentiment que quelqu’un se souciait d’elles et cherchait à les soutenir psychologiquement à un moment où elles avaient l’impression que le monde entier les avait abandonnées.

Face à la persistance des crises, l’importance de ces ateliers se révèle comme des espaces de sécurité humaine qui redonnent à la femme sa voix et lui offrent des outils simples mais efficaces pour tenir bon. Car lorsque la femme est soutenue psychologiquement, la famille l’est aussi, et lorsque la famille résiste, la société demeure capable de rester debout, quelles que soient la violence des tempêtes. »

Photos et vidéos ICI.


Le soutien psychosocial : un baume pour les blessures de guerre

Les deux ateliers hebdomadaires de soutien psychosocial pour les femmes des camps de déplacé.e.s : de Deir al-Balah à Gaza au camp d’ Al-Saraya, 30 décembre.

« De Deir al-Balah à la ville de Gaza, le paysage ne diffère guère, si ce n’est par une dureté accrue. Ici, la douleur ne se déplace pas : elle se multiplie. Les récits ne s’achèvent pas, ils se reproduisent d’une tente à l’autre. Dans ces camps, la souffrance ne se mesure pas à la taille de la tente, mais à ce que portent les cœurs à l’intérieur : perte, peur et anxiété permanente. La femme ici ne dort pas, ne pleure pas comme elle le voudrait, ne s’effondre pas même si elle en ressent le besoin, car on attend d’elle à chaque instant qu’elle soit le seul soutien d’une famille rongée par la guerre.

Chaque matin, les femmes entament une nouvelle bataille : chercher de l’eau, de la nourriture, un morceau de pain pour les enfants, un médicament pour un malade, ou un instant de calme que ne viendraient pas briser le bruit des avions ou les cris de la faim. Dans ce tourbillon quotidien, la tristesse devient une compagne constante, et la perte une plaie ouverte qui ne trouve jamais le temps de cicatriser.

Dans ce contexte humain éprouvant, les équipes de l’UJFP poursuivent leur travail dans la bande de Gaza, se déplaçant entre les zones, tentant de créer de petits espaces de vie au milieu de ces décombres psychologiques. De Deir al-Balah à l’ouest de la ville de Gaza, un nouvel atelier de séances de soutien psychosocial pour les femmes a été mis en œuvre au camp d’Al-Saraya, au centre de la ville de Gaza, sous le titre Un cœur stable malgré la douleur. Trente femmes déplacées du camp Al-Hurriya, à l’ouest de Gaza, y ont participé : des femmes réunies par la tente, séparées par les histoires, mais unies par la souffrance.

Une tente modeste, au sol irrégulier, à l’air lourd d’humidité, mais qui, ce jour-là, s’est transformée en un rare espace de sécurité. Les femmes y sont entrées à pas hésitants : certaines portant des enfants, d’autres portant un silence plus lourd que les mots. Les animatrices et les participantes se sont assises en un seul cercle, sans estrade ni séparation, dans une tentative de briser les barrières. Les femmes ont fait connaissance avec les animatrices, ont échangé leurs prénoms, et derrière chaque prénom se cachait une histoire non dite, une douleur attendant son tour.

Dès le départ, il a été affirmé que chaque participante avait le droit de parler, mais aussi le droit de se taire, et que les émotions exprimées ici n’étaient pas jugées, mais respectées.

La première activité a consisté en un exercice pour briser la glace : il a été demandé aux femmes de se présenter à travers un seul mot exprimant leur ressenti. Les mots sont sortis : « fatigue », « peur », « tristesse », « égarement », « nostalgie ». À chaque mot, les animatrices le répétaient à voix haute, comme pour dire à celle qui l’avait prononcé : nous te voyons, nous t’entendons. Cet exercice a ouvert grand la porte aux émotions, les larmes ont commencé à briller dans les yeux.

La séance est ensuite passée à une activité de relaxation, où il a été demandé aux femmes de s’asseoir aussi confortablement que possible, de fermer les yeux et de se concentrer sur leur respiration. L’une des participantes a murmuré après l’exercice :

« J’avais oublié comment respirer calmement, j’ai senti comme si ma poitrine était verrouillée et qu’elle commençait à s’ouvrir. »

L’activité la plus importante : la décharge émotionnelle par l’écoute. L’espace a été ouvert aux participantes pour qu’elles parlent librement, sans ordre ni obligation. La première à s’exprimer était une femme d’une quarantaine d’années. Elle a raconté que depuis le moment du déplacement, elle avait l’impression que son cœur s’était brisé, et qu’elle ne s’était pas permis de pleurer par peur de s’effondrer devant ses enfants. Elle s’est arrêtée plusieurs fois, submergée par les larmes, sans que personne ne l’interrompe. Elle a conclu en disant : « Aujourd’hui seulement, j’ai senti que mon cœur avait le droit de souffrir. »

Une autre participante a parlé de la perte de sa voisine lors d’un bombardement proche, et de la manière dont elle avait évité pendant des mois de prononcer son nom pour ne pas s’effondrer. D’une voix étouffée : « Je pensais que la force signifiait le silence, aujourd’hui j’ai compris que pleurer n’annule pas ma force. » Une troisième a évoqué son sentiment de culpabilité chaque fois qu’elle criait sur ses enfants dans la tente, et son combat quotidien entre la peur pour eux et sa colère contre la réalité. « Je suis en colère contre tout : contre la guerre, contre la tente, contre moi-même et aujourd’hui seulement j’ai osé l’admettre. »

Les animatrices ont expliqué l’idée de « fixer le cœur » dans les moments d’effondrement, à travers des exercices de respiration, le fait de poser la main sur la poitrine et de se concentrer sur l’instant présent. Ces exercices ont été pratiqués concrètement pendant la séance, et certaines femmes ont exprimé un sentiment immédiat d’apaisement, même temporaire.

La discussion s’est ensuite orientée vers une activité de relecture de l’histoire personnelle, où il a été demandé aux femmes de se penser non seulement comme des victimes de la guerre, mais aussi comme des témoins, et comme des survivantes malgré tout. L’une d’elles a partagé ces mots : « Je n’ai pas choisi cette douleur, mais j’ai choisi de rester debout pour mes enfants. » Cette phrase a touché les cœurs et a résonné dans la tente comme un écho collectif.

À la fin de la séance, chaque participante a été invitée à exprimer son ressenti par un nouveau mot. Les mots ont changé : « plus légère », « comprise », « plus forte », « soulagée ». Ces mots ne signaient pas la fin de la douleur, mais le début d’un petit changement intérieur, modeste mais réel.

Cet atelier a confirmé que les sessions de soutien psychosocial pour les femmes ne sont pas une activité secondaire, mais une nécessité humaine urgente dans une réalité où la patience s’érode jour après jour. Dans des camps impropres à la vie, ces séances deviennent une forme de vie temporaire, une fenêtre d’espoir et un message clair adressé aux femmes : vous n’êtes pas seules, et vos cœurs, malgré la douleur, sont encore capables de tenir bon. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

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* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing