Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 605 / 22-23.12 – Ensemble nous nous relevons !

Brigitte Challande, 24 décembre 2025.- Cette phrase est une belle image des deux compte rendus hebdomadaires d’ateliers de soutien psychologique pour les femmes des 22 et 23 Décembre.

Dans le camp de la Liberté le petit cercle de soutien psychologique des femmes se transforme en un monde plus vaste que la peur. 22 Décembre.

« Dans les camps de déplacement, la vie ne se gère pas selon le temps, mais selon la capacité à endurer. Les femmes ici ne comptent pas les jours, mais les tâches, l’inquiétude et les tentatives répétées de résilience. Chaque matin commence par une question tacite : comment continuer aujourd’hui ? Et comment protéger les enfants d’une réalité qu’ils ne comprennent pas ? À l’intérieur de la tente, l’espace se rétrécit, mais les charges se multiplient, et la femme devient le centre du mouvement et de l’équilibre dans un environnement dépourvu de toute stabilité. La femme déplacée ne subit pas seulement l’exiguïté du lieu, mais aussi une pression psychologique permanente résultant de la perte de la vie privée, de la rupture soudaine avec son mode de vie antérieur, et de la peur constante de l’avenir. On lui demande d’organiser sa vie dans un espace qui ne peut contenir ses pensées, et de préserver son calme dans une réalité qui n’offre aucune occasion de tranquillité. Avec le temps, cette pression se transforme en un état intérieur silencieux, invisible, mais qui épuise à la fois le corps et l’esprit.

Les équipes de l’UJFP poursuivent la mise en œuvre de leurs interventions humanitaires dans les camps de déplacés, en plaçant la dimension psychosociale au cœur de leur réponse. C’est pourquoi le choix de cibler les femmes dans ces ateliers est un choix stratégique, visant à renforcer la résilience, à reconstruire les réseaux de soutien et à transformer une expérience individuelle douloureuse en une force collective partagée.

Dans ce cadre, les équipes de l’UJFP ont mis en œuvre cette semaine une séance de soutien psychologique dans le camp de la Liberté, à l’ouest de la ville de Gaza, sous le titre Ensemble, nous nous relevons , avec la participation de trente femmes déplacées.

Les femmes se sont assises en cercle de manière informelle, sans disposition rigide, comme si l’espace voulait leur dire que ce lieu leur appartenait.

La séance s’est poursuivie par une activité d’échauffement léger, au cours de laquelle les participantes ont été invitées à se lever et à bouger lentement, accompagnées d’exercices de respiration profonde visant à libérer les tensions corporelles accumulées.

Par la suite, une activité de présentation a été proposée : chaque femme devait choisir un mot exprimant son état émotionnel du moment. Les mots variaient entre « fatiguée », « inquiète », « effrayée » et « j’ai besoin de parler ». Cette activité a ouvert la porte à une discussion spontanée, permettant aux femmes de réaliser que leurs émotions étaient similaires et que ce qu’elles vivaient n’était pas une expérience individuelle isolée.

Dans la partie suivante, le travail a porté sur le concept d’espace sécurisé à travers une activité visuelle, où les femmes ont été invitées à imaginer un lieu où elles se sentent en sécurité, puis à le dessiner ou le décrire avec des mots. Certaines ont parlé de maisons qui n’existent plus, d’autres de personnes ou de rares moments de calme. L’une des participantes a déclaré : « Mon espace sécurisé, c’est lorsque je peux parler sans être jugée par qui que ce soit. »

La séance s’est orientée vers l’activité du cercle de soutien, au cours de laquelle les femmes se sont assises face à face et ont échangé sur les formes de soutien disponibles au sein du camp. Cette activité a révélé des initiatives simples mais efficaces, telles que l’entraide pour la garde des enfants, le partage de nourriture ou le fait de s’asseoir ensemble lors des moments de stress. « Je ne pensais pas que ma présence pouvait être un soutien pour les autres. »

La séance a inclus diverses activités récréatives, telles que des jeux collectifs légers, des exercices d’expression corporelle, des rires et des plaisanteries qui ont provoqué une vague de rires dépassant les limites de la tente, au point que des hommes à l’extérieur nous ont demandé de baisser le volume. Mais les femmes n’y ont pas prêté attention et ont continué à plaisanter et à rire de plus belle. Le programme comprenait également une activité artistique simple utilisant des couleurs et du papier, permettant aux femmes d’exprimer leurs émotions à travers le dessin.

Dans la dernière partie, un temps a été consacré au partage des expériences personnelles. « Je pensais ne pas pouvoir supporter tout cela, mais aujourd’hui j’ai senti que j’étais plus forte que je ne le croyais », une autre a ajouté : « Être ensemble a beaucoup allégé mon fardeau. »

Avant de partir, les participantes ont échangé des paroles de soutien et ont convenu de rester en contact les unes avec les autres. La séance s’est achevée par la réaffirmation de l’engagement des équipes de l’UJFP à poursuivre la mise en œuvre de séances de soutien psychologique pour les femmes dans les camps de déplacement, convaincues que la guérison est un processus continu, qui commence par un petit espace, une écoute sincère et un sentiment partagé que personne n’est seul. Et dans le camp de la Liberté, à l’ouest de Gaza, un sentiment collectif que se relever est possible est né, les femmes, lorsqu’elles se rassemblent, peuvent créer un espace plus vaste que la peur. »

Photos et vidéos ICI.

* * *

Dans une autre tente à l’ouest de Deir al-Balah : quand les femmes apprennent à affronter la guerre de l’intérieur.

«  Dans les camps de déplacement, les femmes vivent une réalité dure qui diffère radicalement de tout ce qu’elles ont connu auparavant ; une réalité où les lourdes responsabilités s’entremêlent à la peur permanente et à une pression psychologique constante. Dans ce contexte, la femme déplacée est sommée d’être forte en permanence, car la faiblesse n’est plus une option. Elle est à la fois mère, protectrice et gestionnaire du quotidien, seule source de réconfort pour des enfants qui cherchent la sécurité dans ses traits au milieu des bruits des bombardements et des nouvelles menaçantes. Elle dissimule sa peur et réprime son anxiété afin qu’elles ne se reflètent pas dans leur comportement ou n’accentuent pas leur inquiétude, tandis que la pression psychologique continue de s’accumuler silencieusement en elle, épuisant le corps et l’esprit sans trouver d’issue pour s’exprimer ou se libérer, dans un environnement dépourvu d’intimité et de lieux sûrs.

L’ UJFP poursuit son rôle en plaçant l’être humain au cœur de ses interventions. Consciente que les effets de la guerre ne se limitent pas à la destruction matérielle, mais touchent également la structure psychologique et sociale des groupes les plus vulnérables, au premier rang desquels figurent les femmes, l’institution a œuvré depuis le début de la guerre à la mise en œuvre d’une réponse humanitaire globale et intégrée. Celle-ci comprend diverses activités de secours pour répondre aux besoins essentiels, ainsi que des programmes de soutien psychosocial visant à atténuer les effets des traumatismes et à renforcer la résilience communautaire.

Les équipes de l’UJFP ont organisé cette semaine un atelier spécialisé de soutien psychologique dans le camp Al-Asdiqa, à l’ouest de la ville de Deir al-Balah, avec la participation de vingt-cinq femmes déplacées. Celles-ci se sont réunies dans un même espace en portant des expériences similaires de perte, de peur et de pression psychologique, mais aussi le désir de comprendre, d’apprendre et de trouver des outils leur permettant de cohabiter avec leur réalité difficile.

La séance s’est orientée vers la création d’un espace de connaissance mutuelle sécurisé entre les femmes, leur permettant de briser les barrières psychologiques et de sentir qu’elles ne sont pas seules dans cette épreuve. Les moments d’échange et de dialogue ont renforcé le sentiment de proximité et d’appartenance.

Au fil de la progression du contenu, l’accent a été mis sur la compréhension des réactions psychologiques et physiques face au stress et au danger, à travers une explication simplifiée du fonctionnement du système nerveux en situation de menace. Cela a aidé les femmes à réaliser que la tension, la peur, les troubles du sommeil ou de la pensée qu’elles ressentent sont des réactions naturelles à des circonstances exceptionnelles, et non des signes de faiblesse ou de manquement de leur part, ce qui a allégé le sentiment de culpabilité et d’angoisse que beaucoup portent en silence.

L’atelier a également abordé la gestion des crises et des pressions quotidiennes dans le camp, à travers une discussion interactive sur la hiérarchisation des priorités en situation d’urgence et la prise de décisions avec calme afin d’assurer les besoins essentiels. Cette approche s’est appuyée sur des situations réelles de la vie quotidienne des femmes, rendant le contenu proche de leur expérience et fidèle à leurs défis concrets.

Dans la dernière partie de la séance, l’accent a été mis sur des techniques de stabilisation émotionnelle et de régulation des émotions, à travers des exercices de respiration libératrice et de simples exercices de concentration mentale. Ceux-ci ont aidé les participantes à apaiser le corps, à dissocier les émotions chargées de la pensée rationnelle, et à acquérir des outils pratiques utilisables dans les moments de peur et de tension au sein du camp. L’atelier a aussi été ponctué d’activités récréatives

Les femmes ont exprimé leurs sentiments et partagé leurs expériences. L’une des participantes a affirmé avoir appris à reprendre le contrôle d’elle-même dans les moments de peur intense, tandis qu’une autre a indiqué que son calme était devenu son principal moyen de protéger ses enfants des effets psychologiques de la guerre.

Dans le camp Al-Asdiqa, à l’ouest de Deir al-Balah, et bien que la guerre ne se soit pas arrêtée, les femmes ont quitté la séance en portant une compréhension plus profonde d’elles-mêmes, des outils simples mais efficaces pour faire face aux pressions, et une capacité accrue à continuer de prendre soin de leurs familles au milieu de conditions difficiles — une scène humaine qui confirme que le soutien psychologique peut parfois être plus fort que tout ce que la guerre impose. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre. Partie 562 : 29 octobre. Partie 563 : 31 octobre. Partie 564 : 2 novembre. Partie 565 : 3 novembre. Partie 566 : 4 novembre. Partie 567 : 4 novembre (1). Partie 568 : 6 novembre. Partie 569 : 7 novembre. Partie 570 : 8-9 novembre. Partie 571 : 9-10 novembre. Partie 572 : 11 novembre. Partie 573 : 13 novembre. Partie 574 : 14 novembre. Partie 575 : 14 novembre (1). Partie 576 : 16 novembre. Partie 577 : 16 novembre (1). Partie 578 : 17 novembre. Partie 579 : 19 novembre. Partie 580 : 21 novembre. Partie 581 : 22 novembre. Partie 582 : 22-23 novembre. Partie 583 : 24 novembre. Partie 584 : 25 novembre. Partie 585 : 27 novembre. Partie 586 : 29 novembre. Partie 587 : 30 novembre. Partie 588 : 3 décembre. Partie 589 : 5 décembre. Partie 590 : 6 décembre. Partie 591 : 8 décembre. Partie 592 : 9 décembre. Partie 593 : 10 décembre. Partie 594 : 10 (1) décembre. Partie 595 : 11 décembre. Partie 596 : 13 décembre. Partie 597 : 14 décembre. Partie 598 : 15 décembre. Partie 599 : 17 décembre. Partie 600 : 17 décembre (1). Partie 601 : 18 décembre. Partie 602 : 19 décembre. Partie 603 : 20 décembre. Partie 604 : 21 décembre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing