Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 392 / 9 mai – La faim tue sans bruit et sans fracas à Gaza

Brigitte Challande, 10 mai 2025. Et pourtant, les équipes autour d’Abu Amir continuent d’oeuvrer autant qu’elles le peuvent et, le 9 mai, elles nous en rendent compte, comme chaque semaine.

« Au XXIe siècle, à l’ère de la technologie et de l’espace ouvert, alors que les nations chantent jour et nuit les droits de l’homme et la dignité des peuples, des vies d’enfants sont lentement fauchées dans la bande de Gaza – non pas seulement par les armes, mais par la faim. Oui, la faim, ce fléau devenu l’arme la plus meurtrière et la plus silencieuse. Sans bruit, sans fracas, elle ronge les corps des enfants et les tue un à un. À Gaza, les enfants meurent du manque de nourriture et de médicaments, uniquement parce qu’ils sont nés sur cette terre sinistrée, une terre que le monde a décidé de punir collectivement, sans procès.

Les massacres ne se limitent plus aux missiles. Ils s’étendent désormais aux ventres vides, aux mères qui tordent leurs cœurs pour trouver de quoi nourrir leurs enfants, aux pères impuissants devant les visages pâles de leurs petits. Plus de soixante-cinq enfants ont perdu la vie de faim ces derniers mois, et le nombre ne cesse d’augmenter, tandis que des milliers d’autres souffrent de malnutrition aiguë et chronique. Certains ont vu leur croissance s’arrêter, d’autres ont perdu la parole, et certains ont vu leur cœur cesser de battre. Et pourtant, le monde continue de se contenter du silence, accumulant les déclarations de condamnation et d’indignation, tandis qu’un crime continu est perpétré contre deux millions d’êtres humains.

Nous l’avons dit dans de nombreux rapports, et nous avons crié à maintes reprises que la famine frappe Gaza comme jamais auparavant, et que l’homme, ici, ne cherche plus sa dignité, mais une bouchée qui le maintienne en vie un jour de plus. Toutes les institutions internationales ont levé le drapeau blanc. Les entrepôts sont vides, l’aide n’est plus possible. De grandes organisations ont fermé leurs portes et ont déclaré avec amertume : « Nous ne pouvons plus rien faire ». Il ne reste rien dans les dépôts, ni dans les camions, ni même dans les promesses.

Mais nous, avec l’UJFP, nous n’avons pas cessé d’agir. Non, nous ne sommes pas une armée de donateurs, et nous n’avons pas les moyens d’éradiquer la faim, mais nous croyons que les choses les plus simples peuvent faire la différence.

Depuis une semaine, nos équipes travaillent sans relâche. Nous envoyons des équipes dans les marchés de Gaza, allant de commerçant en commerçant, à la recherche de ce qui reste de lentilles, de riz, de tout ce qui peut être cuisiné. Nous achetons ce qui est disponible et le transportons vers notre centre de distribution alimentaire à Abu Taïma, où nos équipes préparent des repas chauds à distribuer aux familles d’agriculteurs et aux déplacés vivant dans des tentes à l’est de Khan Younès. Ces repas sont attendus comme si c’étaient des vies elles-mêmes.

La scène sur place est insupportable : des femmes font la queue, des enfants agrippés à leurs vêtements de faim, des hommes portant des casseroles vides comme s’ils portaient leurs cœurs dans les mains. Chaque famille espère recevoir sa part avant que tout ne soit épuisé. Et pendant que nous cuisinons, les avions planent au-dessus de nous. Il n’y a ni sécurité ni paix, mais malgré tout, nous continuons de cuisiner et de distribuer.

En parallèle à la lutte contre la faim, les équipes mènent une autre bataille tout aussi féroce : la bataille de l’eau.

À Abu Taïma, où la soif n’est pas moins cruelle que la faim, le système d’approvisionnement en eau que nous avons mis en place continue de fonctionner avec les moyens disponibles. Les puits pompent encore, la station de dessalement continue à fonctionner malgré les coupures d’électricité, malgré la rareté du carburant, et alors que chaque goutte d’eau équivaut à une vie. Tous les deux jours, les vannes s’ouvrent, les tuyaux propulsent l’espoir vers les réservoirs des maisons, des tentes, et vers les mains inquiètes des femmes.

Ce système d’eau n’est plus un simple projet technique, mais est devenu une véritable bouée de sauvetage pour plus de mille familles de la région. Nous savons que l’eau ne comble pas la faim, mais elle apporte un certain équilibre au corps, et rend à l’humain une part de sa dignité.

Et au cœur de cette obscurité, une petite lumière jaillit d’un autre endroit… des salles de classe.

Les centres éducatifs soutenus par l’UJFP fonctionnent toujours. Oui, l’enseignement continue à Gaza, envers et contre tout. Au centre d’Abu Taïma, malgré les bombardements quotidiens, malgré les coupures d’eau et d’électricité, les enfants insistent pour venir, apprendre, s’accrocher à quelque chose de normal au milieu de la folie. L’enfant vient parfois pieds nus, mais il porte son cahier comme quelqu’un qui refuse d’être vaincu.

À l’ouest de Nusseirat, plus précisément à l’école « Le Premier Pas », le spectacle n’est pas moins impressionnant. Cette école, qui a démarré avec des moyens modestes, accueille aujourd’hui plus de 520 élèves de tous niveaux. Cette semaine, elle a été officiellement reconnue par l’UNESCO comme un centre éducatif accrédité. Nous enseignons les programmes officiels tels qu’approuvés par le ministère de l’Éducation, sans modification. C’est pourquoi les parents préfèrent envoyer leurs enfants chez nous : non seulement ils font confiance à la qualité de l’enseignement, mais nous offrons aussi à leurs enfants des activités récréatives qui soulagent un poids que les programmes scolaires ne peuvent porter à eux seuls.

Ici, les enfants apprennent à dessiner, regardent des dessins animés, participent à des jeux légers — comme s’ils empruntaient quelques instants de normalité à un monde qui ne l’est plus. Un enfant a dit à sa maîtresse : « J’aime l’école parce qu’elle me fait oublier la faim ». Cette phrase, à elle seule, suffit à nous couper la parole et à nous faire revoir nos priorités.

Entre l’enfer de la faim et l’espoir de l’apprentissage, Gaza avance sur un fil fragile d’espérance, portée par des gens qui ont décidé de ne pas abandonner, même si tout autour d’eux s’effondre.

Nous n’écrivons pas des rapports pour pleurer, mais pour témoigner, documenter, dire au monde que ce qui se passe à Gaza aujourd’hui n’est pas seulement une tragédie humanitaire, mais un crime contre l’humanité tout entière.

Les enfants ne meurent pas à Gaza parce qu’ils sont malades, mais parce qu’ils ont faim. Les femmes ne pleurent pas parce qu’elles sont faibles, mais parce que leur patience a été poussée au-delà de toute limite. Et nous, à l’UJFP, n’avons pas de miracles à offrir, mais nous avons cette foi : l’homme ne se mesure pas à ce qu’il possède, mais à ce qu’il donne lorsqu’il ne possède plus rien. »

Photos et vidéos de distribution des repas ICI.

Pompage de l’eau dans la région d’Abu Taima ICI.

Photos et vidéos des programmes éducatifs ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.

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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.