Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 382 / 1er mai – Les personnes handicapées à Gaza"
Brigitte Challande, 2 mai 2025. A Gaza, le handicap touche de nombreuses personnes et devient une double peine, Abu Amir le raconte en ce 1er mai. Ce sont des corps qui ne fuient pas, des âmes assiégées par la mort.
« À Gaza, où rien ne ressemble à la vie si ce n’est l’espoir, des milliers de personnes en situation de handicap vivent dans un cercle d’enfer invisible. Dans une ville bombardée du ciel, de la terre et de la mer, le handicap devient une double condamnation à mort : aucun endroit n’est sûr, aucun moment n’est propice à la fuite, aucun passage n’est ouvert vers la survie. Une maison est bombardée, la famille s’enfuit en panique, mais qu’en est-il de celui qui ne peut pas courir ? Celui qui a besoin qu’on le soulève, qu’on pousse son fauteuil roulant, ou qu’on tienne sa main pour faire un seul pas vers la vie ?

Jamila Abu Seif, 34 ans, souffre de tétraplégie spastique, de déficience intellectuelle et de crises d’épilepsie fréquentes. Sur cette photo, elle est assise au milieu des décombres, à côté de son père qui la réconforte (source Eye on Palestine sur X)
À chaque vague de bombardement, à chaque ordre d’évacuation « immédiat », la tragédie se répète, sous des formes différentes de douleur. À ce moment précis, face à une décision insoutenable, la famille se retrouve devant deux choix, tous deux synonymes de mort : soit rester avec l’enfant, le père ou le frère handicapé et partager son sort sous les décombres d’une chambre qui s’écroule, soit fuir et le laisser derrière… en attendant la mort. Les médias relayent souvent des images et des récits de personnes abandonnées sous les ruines ou mortes sur place, parce que personne n’a pu les sauver, simplement parce qu’elles ne pouvaient pas se déplacer, parce qu’évacuer une personne handicapée nécessite un véhicule, du temps, une route non coupée, un miracle… Et à Gaza, les miracles ne sont pas faciles à obtenir.
Depuis le début de la guerre, le nombre de personnes en situation de handicap a dépassé les 70.000. Beaucoup ont perdu leurs membres ou leur capacité à marcher à cause des bombardements, d’autres ont vu leur état empirer faute de soins médicaux. Les hôpitaux sont en ruine, les médicaments quasi inexistants, les fauteuils roulants et les prothèses introuvables, à cause du blocus qui empêche l’entrée des fournitures les plus basiques. Les enfants amputés n’ont même pas de quoi s’asseoir dehors, et les femmes souffrant de handicaps chroniques sont abandonnées sans soins, sans soutien ni accompagnement psychologique. Comme si le handicap n’était pas seulement physique… mais aussi une forme totale d’isolement du monde.
Mais le drame ne s’arrête pas à la personne blessée. Il touche aussi son entourage. Les familles qui s’occupent de leurs proches handicapés vivent avec une angoisse permanente. La mère qui craint de sortir de chez elle de peur qu’un bombardement ne tue son enfant resté seul. Le père qui ne peut plus travailler parce qu’il ne peut pas laisser sa fille sans aide pour se déplacer. Chacune de ces familles mène une guerre parallèle : celle de la patience, de la débrouille, de la survie impossible. Beaucoup ont perdu leurs sources de revenu, vivent d’une aide qui n’arrive pas, ou de la charité des voisins, quand elle existe.
Dans les rues, on ne voit aucune personne handicapé se déplacer librement. Non seulement à cause de l’absence d’infrastructures adaptées, mais parce que la ville entière n’est plus faite pour y vivre, encore moins pour s’y mouvoir. Les bâtiments sont en ruine, les trottoirs défoncés, les maisons jamais conçues pour accueillir les personnes handicapées. Même les tentes installées pour les déplacés ne tiennent aucun compte des besoins de ceux qui ne peuvent pas se tenir debout, s’asseoir ou y entrer facilement. En temps de guerre, tout le monde est supposé pouvoir fuir rapidement… sauf ceux que leur corps trahit, qui attendent qu’on les porte ou qu’on les abandonne, en espérant que le missile les épargne cette fois.
Et malgré tout cela, certains continuent de rêver. De rêver d’être traités comme des êtres humains, pas comme un fardeau. De trouver une école qui les accepte, un médecin qui ne se contente pas de leur donner un antidouleur, une société qui écoute leur voix au lieu de se limiter à la pitié. Les personnes handicapées à Gaza ne demandent pas l’impossible. Juste un espace pour vivre, un droit à la survie, une dignité non conditionnée à une trêve.
Et au cœur de toute cette obscurité, une vérité reste claire : la guerre ne distingue pas ceux qui marchent de ceux qui ne peuvent pas, mais elle fait des plus vulnérables des cibles plus faciles, et de leurs proches les témoins impuissants d’une mort qu’ils ne peuvent empêcher. À Gaza, le handicap n’est pas un simple état médical… c’est une épreuve quotidienne pour survivre à une mort imposée, dans un silence mondial qui rien brise. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.