Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 371 / 21 avril – Poursuite du soutien psychologique pour les femmes déplacées

Brigitte Challande, 21 avril 2025.- Cette semaine, une session a eu lieu dans le camp d’Al-Istiqlal, situé dans le gouvernorat de Deir al-Balah. Voici le compte rendu émouvant envoyé comme chaque semaine par Abu Amir.

« Dans une grande tente dressée au cœur du camp, des femmes de tous âges se sont rassemblées. Chacune d’elles portait une histoire de déplacement, un visage marqué par l’épuisement, un cœur rempli de ce qu’aucun mot ne peut dire. Ce matin-là, l’équipe de l’UJFP avait rendez-vous avec la douleur, non pas pour l’effacer, mais pour en alléger le poids.

La séance s’intitulait : « Soutien entre pairs pour les femmes déplacées dans les camps ».

Les participantes sont venues avec un seul objectif, que chaque femme sente qu’elle n’est pas seule.

La rencontre a débuté par une introduction expliquant l’importance de se sentir en sécurité, d’oser s’exprimer sans peur ni honte. Elles ont souligné que ce que vivent les participantes est le reflet d’une crise collective, et que la douleur partagée peut devenir une passerelle vers la force.

Après quelques instants de silence, les voix ont commencé à briser la barrière du mutisme. Les femmes ont parlé, l’une après l’autre, des tentes qui ne protègent plus du froid, de la perte de leurs maris, des enfants qui pleurent de faim ou de peur, et des maisons transformées en ruines. Une des intervenantes leur a ensuite demandé de fermer les yeux et d’imaginer une scène de leur vie d’avant-guerre, puis d’écrire un seul mot décrivant ce qu’elles ressentaient à cet instant. Ces mots ont été inscrits sur des papiers distribués de manière aléatoire pour être lus par une autre femme. C’est à ce moment que la magie a opéré. L’une a lu « nostalgie » et a souri, une autre « sécurité » et versa une larme, une troisième « étreinte » et elle a dit à haute voix : « Nous en avons toutes besoin, de n’importe qui. »

Les activités se sont poursuivies avec intelligence et ouverture. Dans un des exercices, des images symboliques ont été proposées : une femme marchant dans l’ombre, deux mains entrelacées, un arbre solitaire dans un désert. Chaque femme a choisi une image reflétant son état intérieur et expliqué son choix. L’une d’elles a pointé une fillette endormie au milieu du vacarme : « C’est moi, je dors le corps épuisé, mais mon cœur reste éveillé à chaque explosion. » ; une proposition d’ ouverture pour mieux se comprendre.

Puis vint le moment de « l’étreinte silencieuse ». Chaque femme s’est tenue face à une autre, regardant ses yeux une minute durant, sans un mot. Une longue et profonde contemplation traduisant la douleur, la compréhension et la solidarité. Beaucoup ont pleuré, mais ces larmes n’étaient pas de faiblesse, elles étaient une forme de purification, ces regards disaient : « Je suis là avec toi, comme tu es là pour moi. »

Une autre proposition dans l’atelier : « Lettre à moi-même dans un an ». Chaque femme a écrit un message à son futur soi : ce qu’elle espère, ce qu’elle ne veut pas oublier, ce qu’elle souhaite accomplir. Ces lettres ont été placées dans une boîte scellée qui leur sera rendue lors d’une future séance, après la guerre, ou lorsque les vœux auront mûri. Les messages étaient empreints d’amour, de tristesse, mais aussi d’espoir. L’une d’elles a écrit : « À moi dans le futur : si tu es toujours sous une tente, souviens-toi que tu as un cœur qui ne se laisse pas vaincre. »

Entre les exercices, les femmes partageaient leurs histoires, riaient malgré leurs cicatrices, découvrant que chacune était le reflet de l’autre. Dans les ateliers collectifs, comme celui intitulé « Construire un filet de sécurité », utilisant des fils colorés tenus par chaque femme pour créer un réseau symbolique de soutien mutuel, le moment fut fort. Ce n’était pas juste une activité artistique, mais une prise de conscience : quand une main se tend vers une femme, elle ne tombe pas.

À la fin de la séance, personne ne voulait partir. Elles sont restées encore quelques minutes à discuter, rire, échanger leurs numéros de téléphone, et se promettre de se revoir. « Je pensais être seule, mais aujourd’hui, je me sens entourée d’une armée de femmes fortes, comme moi. »

Cette séance n’était pas seulement un soutien psychologique, mais une reconfiguration de la mémoire collective des femmes, un rappel que la force ne réside pas dans l’absence de douleur, mais dans sa reconnaissance, son partage, et le soutien mutuel. Dans ce lieu rempli de ruines, quelque chose ressemblant à l’espoir est né : dans le rire d’une femme après un sanglot, dans une main posée sur une autre, dans un cœur décidé à guérir… avec d’autres cœurs qui lui ressemblent. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.

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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.