Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 489 / 13 août – Le largage de l’aide humanitaire : un outil de camouflage politique"
Brigitte Challande, 13 août 2025.– Dans ce texte du 13 août, Abu Amir décrit avec détails et précisions la réalité du largage aérien de l’aide humanitaire : une tragédie humaine coûteuse et douloureuse, une farce !
« Dans le ciel de Gaza, où les nuages se mêlent à l’odeur de la poudre, où les tentes se dispersent comme les spectres de maisons détruites par la guerre, descendent des parachutes chargés de ce que l’on appelle « aide humanitaire ». Une scène qui, vue de loin, semble être un geste de compassion ; mais pour ceux qui vivent sous ce ciel, ces caisses tombées ne sont pas toujours un don, mais parfois une nouvelle calamité ajoutée au registre de la douleur. Les avions qui larguent ces colis alimentaires depuis de grandes hauteurs ne tiennent pas compte de la trajectoire de leur chute, ni du sort de ceux qui se trouvent en dessous. Ils peuvent tomber sur la tête d’un enfant, s’écraser sur une tente abritant une famille déplacée, ou se briser sur un sol aride où les affamés les attendent, dispersant leur contenu dans la poussière, transformant la bouchée salvatrice en miettes éparpillées.
C’est une tragédie qui dépasse la simple image du largage ; ces sacs et boîtes qui descendent en parachute n’effacent pas la dure réalité : celui qui impose le blocus et empêche l’arrivée de nourriture et de médicaments par des routes terrestres sûres est le même qui promeut l’image des avions comme symbole de secours. Et tandis que ces opérations sont comptabilisées dans les registres des pays donateurs comme une aide humanitaire valant des millions de dollars, elles ne suffisent en réalité pas à nourrir un jour entier la population de la bande de Gaza, ne soignent aucune blessure, ne reconstruisent aucune maison, et n’offrent aucune sécurité. L’ensemble ressemble à une dure mise en scène : ses acteurs sont des politiciens en quête de légitimité à travers une image médiatique, et ses victimes, un peuple assiégé poussé au bord de la faim et de la mort, qu’on invite ensuite à applaudir son bourreau parce qu’il lui a jeté quelques miettes du ciel. C’est l’histoire d’une injustice totale, où la tragédie se mêle à la farce, et où l’aide devient un outil de propagande, cachant sous les ailes des avions quelque chose de plus odieux que la faim : l’humiliation méthodique.
Les pays donateurs fournissent à Gaza une aide humanitaire par largages aériens, de loin cela peut paraître comme une démarche humaine, mais en pratique, cause morts, blessés et destructions dans un espace déjà saturé de malheur. Le territoire a connu de nombreux accidents et décès liés à ces opérations ; le dernier en date étant la mort d’un enfant de la région de Nuseirat, précédée par celle d’un autre enfant et d’un secouriste dans l’exercice de ses fonctions humanitaires, sans oublier la destruction de tentes de déplacés dans des scènes atroces. Ces faits montrent que le voile symbolique de l’aide est devenu un drap gris meurtrier.
Ce qui rend la scène encore plus tragique, c’est que la lutte pour s’emparer des aides après leur chute est devenue courante. Les gens se précipitent vers les zones de largage, mais le chaos ne distingue pas le nécessiteux de l’armée ; les scènes se transforment en bagarres, voire en affrontements armés, même entre affamés. Souvent, l’aide récupérée est retrouvée vendue à prix exorbitants sur le marché, devenant une opportunité de profit, dans un tableau qui rappelle un marché sans morale. Là où l’on devrait sauver des vies, la chute de l’aide prolonge l’hémorragie sociale et psychologique.
Le coût ajoute un autre visage au désastre : un seul avion transporte une cargaison équivalente à la moitié d’un camion seulement, pour un coût pouvant atteindre des centaines de milliers de dollars, parfois jusqu’à 400.000 $ par vol, avec des variations selon que l’opération est aléatoire ou ciblée. Une simple comparaison montre qu’un camion transporte deux fois ou plus cette quantité pour un coût ne dépassant pas quelques dizaines de milliers de dollars, voire beaucoup moins, ce qui signifie que le coût aérien dépasse de plus de cent fois le coût terrestre, selon certaines estimations d’agences internationales. Ces ressources financières colossales sont enregistrées comme aide humanitaire, mais la réalité montre qu’elles servent surtout à soutenir des campagnes de communication, à maintenir une population sous contrôle par la nourriture, pas à la sauver.

L’inhumanité des largages d’aide (capture d’écran de la vidéo ici).
Sur le plan politique, certains responsables ont tenu des propos absurdes, affirmant par exemple que les habitants de Gaza « remercient Netanyahou » d’avoir autorisé le largage de l’aide. Ces paroles cherchent à transformer l’acte de blocus en geste de générosité imaginaire, alors que la réalité est que le blocus total et les restrictions sévères aux importations terrestres, parfois jusqu’à leur arrêt complet pendant des mois, sont la cause même de la souffrance. Un tel discours vide la souffrance de son sens, positionne les gazaoui.e.s en posture servile devant la caméra, tandis que des milliers de camions chargés sont empêchés de passer.
Les estimations indiquent que le territoire a besoin d’environ 62.000 tonnes de denrées sèches et conserves par mois pour couvrir les besoins minimaux, soit environ un kilogramme par personne et par jour, faute de quoi la catastrophe alimentaire reste ouverte sur les pires scénarios. Les données révèlent que ce qui est entré durant plusieurs mois ne dépasse pas le quart des besoins, tandis que les gouttes d’aide aérienne sont dérisoires et ne peuvent être une source fiable.
Même lors des pauses temporaires dans les opérations militaires, des camions suffisants existaient pour éviter le danger, mais la logique politique les a maintenus bloqués ; les largages aériens, eux, ne créent qu’une opportunité de gains médiatiques, sans apaiser la faim ni remplir un bol.
Gaza affronte aujourd’hui le pire scénario de famine collective, touchant enfants, malades, personnes âgées et déplacés sans abri ni espoir d’une aide réelle. Le largage aérien d’aide comme « solution alternative » n’a réussi qu’à faire illusion auprès du monde, alors que la réalité montre des affamés courant après des caisses, le cœur lourd des décombres de leurs tentes, des vendeurs attendant leur contenu pour le mettre aux enchères, et des millions dépensés pour une image éphémère.
Le largage de l’aide humanitaire est devenu un outil de camouflage politique qui ne renforce pas la dignité et n’allège pas la douleur, mais y ajoute une charge de peur, de coûts inutiles et de restrictions sapant la capacité du peuple à vivre. Cet argent — qui suffirait à faire entrer par voie terrestre des aides bien plus importantes — devrait plutôt être investi dans l’ouverture des passages terrestres aux camions, sous supervision de l’ONU, afin que nourriture, médicaments, eau et abris arrivent librement, en toute sécurité et équité. Les pays concernés doivent agir réellement : non par des images d’avions dans le ciel, mais en ouvrant les routes de la vie, par la coordination, la pression politique, et en adoptant l’humanité comme politique, non comme spectacle. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.