Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 474 / 26 juillet – Notre espace sûr, une nécessité, la force de l’espoir / La souffrance des acteurs humanitaires"
Brigitte Challande, 27 juillet 2025.– Dans la situation de famine et de chaos total l’équipe soutenue par l’ UJFP, coordonnée par Abu Amir continue son travail : atelier de soutien psychologique pour les femmes à Deir al -Balah.
« Au cœur du camp Al-Durra à l’ouest de Deir al-Balah, où la peur et l’épuisement se mêlent à une lueur d’espoir inextinguible, les équipes de l’UJFP ont poursuivi leurs séances de soutien psychologique et de sensibilisation destinées aux femmes déplacées, dans une tentative de raviver des âmes épuisées par les bombardements, les pertes et l’exil.
L’une de ces séances particulières portait le titre : Notre espace sûr : la force de la résilience et de l’espoir pour les femmes de Gaza. Vingt femmes y ont participé, portant avec elles des histoires de souffrance, mais aussi une détermination inébranlable à survivre.
Les femmes se sont réunies en cercle, nommé notre cercle chaleureux, et chacune a partagé un mot exprimant un sentiment positif ressenti dans cet espace, tel que « sécurité », « espoir », « amour » ou « réconfort ». Cette activité simple a été perçue comme une bouffée d’air frais dans une réalité étouffante. L’une des participantes a déclaré : « Cela fait des mois que je ne me suis pas sentie aussi sereine. Un seul mot m’a redonné le sentiment d’être une personne digne d’attention, pas oubliée. »
Ensuite, l’équipe a animé l’activité La voix de la résilience , durant laquelle les femmes ont partagé des histoires personnelles, des moments où le désespoir les avait presque submergées, mais d’où elles s’étaient relevées, telles un phénix renaissant de ses cendres. L’une des participantes, veuve ayant perdu son mari et deux enfants, a dit d’une voix tremblante : « Quand je les ai enterrés de mes propres mains, j’ai enterré mon cœur avec eux. Mais un jour, je me suis levée et j’ai essuyé mes larmes pour ceux qui me restaient. En racontant mon histoire aujourd’hui, j’ai compris que je n’étais pas faible. J’étais plus forte que je ne le pensais. »
Le soutien mutuel étant le carburant de la résilience, la séance a poursuivi avec l’activité Empreinte de soutien, où des mots d’encouragement et des messages de solidarité ont été écrits sur une grande feuille, permettant aux femmes d’échanger les sentiments de soutien qui leur avaient tant manqué.
« Je ne te connais pas, mais je te ressens. Tu n’es pas seule, et chaque jour où tu tiens bon est une victoire pour nous toutes. » Une autre femme, quinquagénaire ayant perdu sa maison : « Ce papier n’est pas que des mots. Ce sont des étreintes que nous attendions depuis longtemps. »
Puis, l’activité Nos chants, nos histoires est venue relier les femmes à leur mémoire collective et à leur héritage culturel. L’une d’elles a entonné un passage de la chanson « L’olivier », et les larmes ont précédé les paroles chez beaucoup. « Quand nous avons chanté ensemble, j’ai senti que nous ne faisions pas que chanter, mais que nous reconstruisions nos racines que la guerre avait tenté d’arracher. »
Dans un rare moment de calme, les femmes, les yeux fermés, ont été guidées pour prendre de longues respirations lentes.
« J’ai ressenti, pour un instant, que je vivais… que je méritais le repos… Comme si mes souffles réorganisaient mon âme. »
L’activité surprise, qui a transformé l’ambiance de la séance, a été l’écoute de morceaux de musique douce accompagnés de sons de la mer et d’une brise légère. Une jeune femme d’une vingtaine d’années a dit : « J’ai fermé les yeux et oublié un instant le bruit des avions. Je me suis souvenue de la mer de Gaza, telle que je la connaissais avant la guerre. »
La séance s’est conclue avec La prière de l’espoir, où chaque participante a prononcé une prière ou un vœu pour elle-même, sa famille ou son pays. « Ô mon Dieu, accorde-moi un matin qui ne ressemble pas à cet exil, où mes enfants jouent sur le sable de notre maison. «
« Mon vœu est de redevenir celle que j’étais, forte et remplie d’amour, et non pas un tas de peurs. »
Il est clair que cette séance n’était pas simplement un programme de soutien, mais une reconquête de soi, la voix de la femme gazaouie que la guerre avait tenté de faire taire à jamais.
À la fin de la rencontre, les larmes ne suffisaient plus à tout exprimer. Ce sont les petites lueurs d’espoir dans les yeux, les mots qui s’élevaient malgré la peur, et les mains qui se serraient fort qui parlaient. La séance a prouvé qu’offrir un espace sûr n’est pas un luxe, mais une nécessité humaine. Cet espace, aussi simple soit-il, a suffi à rappeler aux femmes qu’elles sont capables de résister… et peut-être même de rêver à un avenir meilleur. »
Photos et vidéos ICI.
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Dans ce témoignage du 26 juillet, Abu Amir décrit les difficultés psychiques quotidiennes des acteurs humanitaires, rongés par une douleur permanente.
« Dans les lieux de l’action humanitaire, on nous perçoit souvent comme des porteurs d’espoir, des sauveurs temporaires, une main qui vient se poser sur l’épaule de la vie au moment où l’on est prêt de s’écrouler. Mais ce que personne ne voit, c’est cette brisure qui s’insinue en nous aussi, nous qui entrons et sortons des tentes, qui portons la douleur et la dissimulons derrière de petits sourires que nous distribuons aux enfants affamés et aux mères endeuillées. Nos corps quittent les lieux, mais nos cœurs restent là-bas, entre les tentes, sur les sols mouillés de larmes, sous les couvertures qui ne protègent ni du froid ni de la honte.
Nous ne voyons plus des « déplacés », mais des âmes brisées par la faim, des regards épuisés par l’attente, et des enfants usés par cette question lancinante : « Quand rentrerons-nous ? » La famine n’est plus un mot lu dans les rapports ou entendu dans les journaux télévisés, c’est désormais une scène quotidienne qui fouette nos consciences. Des enfants si maigres que cela fait mal à voir, se nourrissant des restes de pain sec, et des mères gardant les miettes pour leurs enfants, leur disant : « Je suis rassasiée », alors qu’elles n’ont rien mangé depuis deux jours.
La tragédie à Gaza aujourd’hui ne réside pas seulement dans les bombardements et la destruction, mais aussi dans cette faim silencieuse, cette souffrance continue qui ronge le corps et la dignité à la fois. Il y a des mères qui tremblent de peur pour leurs enfants face aux bombes et à la faim, et des pères qui s’effondrent en silence parce qu’ils ne peuvent plus protéger leur famille. Et nous, les équipes de l’UJFP, nous tentons d’être un barrage face à cet effondrement, en sachant bien que ce que nous offrons n’est pas à la hauteur de la catastrophe, mais que, dans l’absence quasi totale d’un soutien international efficace, cela reste une ligne de vie indispensable.
Nous travaillons jour et nuit pour fournir des repas chauds aux déplacés. Nous savons parfaitement que ce repas n’est pas seulement de la nourriture, mais un instant de chaleur, un moment de dignité, une goutte d’humanité. Lorsque nous remettons un plat à une mère qui nous dit : « Enfin, mes enfants vont manger quelque chose de cuisiné aujourd’hui », nous sentons que ce plat contient de l’amour, de la résistance et une lutte acharnée pour survivre.
Les vêtements que nous distribuons aux enfants ne sont pas de simples habits qui réjouissent de petites âmes, mais des tentatives répétées de préserver une enfance qu’on leur arrache chaque jour. Nous avons vu des enfants porter des vêtements neufs pour la première fois depuis des mois, et leurs yeux brillaient comme s’ils recevaient un cadeau de fête, même si les fêtes ont disparu de leur vie depuis longtemps.
Dans ce chaos, nous insistons pour semer des graines d’espoir à travers des centres éducatifs temporaires, où nous offrons aux enfants un espace pour apprendre, jouer, dessiner, et parfois même rire. Il n’est pas facile d’enseigner à un enfant qui n’a ni chaise, ni livre, ni même petit-déjeuner. Mais nous savons que le savoir est une lumière, et que cette lumière est ce dont ces enfants ont besoin plus que jamais dans l’obscurité des jours qu’ils traversent.
« Quand je rentre chez moi, je ne peux pas vivre ma journée normalement. Il y a toujours quelque chose qui m’étouffe… un sentiment que nous avons laissé nos âmes là-bas, dans les camps, où personne ne possède rien si ce n’est sa patience. » Ce sentiment est partagé par nous tous. La distance entre le devoir humanitaire et la souffrance psychologique est devenue presque inexistante. Nous sommes épuisés non seulement par le travail, mais par ce profond sentiment d’impuissance quand nous voyons quelqu’un dans le besoin, sans pouvoir lui offrir tout ce qu’il mérite.
Et malgré la douleur, nous ne nous arrêtons pas. Nous savons que notre mission dépasse les frontières de la fatigue, et que chaque main que nous tenons, chaque repas que nous distribuons, chaque sourire que nous faisons renaître fait une différence. Nous n’éteignons pas l’incendie, mais nous empêchons qu’il se propage. Nous ne mettons pas fin à la tragédie, mais nous essayons d’en atténuer la cruauté.
À Gaza, il ne suffit pas d’être humain. Il faut être patient, solide, et profondément impliqué dans l’amour et la douleur à la fois. Nous, en tant qu’acteurs humanitaires, ne portons pas seulement l’espoir : nous le portons en saignant, nous l’arrosons avec nos âmes alourdies par des scènes insoutenables, jour après jour. Et chaque matin, nous recollons les morceaux de nous-mêmes, et nous repartons… parce que quelqu’un nous attend, et parce que nous savons qu’au fond de chaque tente, il y a un cœur qui continue de battre, envers et contre tout. »
Photos et vidéos du travail humanitaire ICI / des programmes éducatifs ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.