Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 446 / 27 juin – Il n’y a pas de civils à Gaza, tout ce qui bouge est ennemi !

Brigitte Challande, 28 juin 2025.– C’est ce qu’Israël répète sans cesse à ses soldats, comme illustré dans ce texte d’Abu Amir du 27 juin sur le piège mortel que sont les centres de distribution alimentaire américano-israélien. Il intitule son texte « La faim… quand la balle devient plus clémente ».

« Au cœur de la bande de Gaza, cette terre longtemps prisonnière des ombres épaisses du blocus et de la guerre, la famine s’est propagée comme une bête muette. Cette fois, la faim n’est pas une simple pénurie de ressources ou une crise passagère, mais une politique calculée, un massacre silencieux qui a commencé par la fermeture des points de passage et l’interdiction d’entrée de nourriture et de médicaments. Puis, elle s’est poursuivie par la criminalisation de celui qui cherche un morceau de pain. Des enfants aux yeux creusés, des femmes maigres avançant sans force, des vieillards rampant avec une dignité écrasée – tous se tiennent dans une même file, espérant survivre, mais dont l’issue est… une balle. À Gaza aujourd’hui, les gens ne souffrent pas seulement de la faim, ils meurent affamés. Pas seulement à cause de la douleur, mais à cause des balles qui les attendent au bout de chaque ligne de ravitaillement, comme si une bouchée de pain était devenue une condamnation à mort, et que leur ventre vide était une infraction punie par la loi militaire israélienne.

Les Palestiniens de Gaza n’auraient jamais imaginé que les files d’attente pour l’aide humanitaire deviendraient des pièges mortels. Ces centres, annoncés dans le cadre d’une coordination américano-israélienne comme tentative d’atténuer la famine, sont désormais appelés par les habitants « les pièges de la mort ». Les foules se forment dès l’aube, certains passent la nuit à la belle étoile dans l’espoir d’être parmi les premiers à arriver, espérant rapporter à leurs enfants un sac de riz ou une poignée de lentilles. Mais avant même que les centres n’ouvrent leurs portes, avant que la distribution ne commence, les canons parlent. Des soldats, selon des témoignages publiés par le journal israélien Haaretz, reçoivent l’ordre de tirer directement sur des civils non armés – non pas pour les menacer ou les disperser, mais comme une stratégie annoncée : disperser les foules par le feu. Pas de gaz lacrymogène, pas d’avertissements, pas de grenades assourdissantes… seulement des balles réelles, parfois même des obus de chars. L’un des soldats déclare : « C’est un champ de mort. Seules les balles parlent là-bas. Quand nous ouvrons le feu, personne ne proteste, seuls les affamés fuient… ou s’effondrent en silence. »

Dans l’une des enquêtes les plus choquantes, des soldats et officiers de l’armée israélienne ont reconnu qu’ils tirent intentionnellement sur les foules, même en l’absence de toute menace. L’un d’eux a déclaré : « On nous répète constamment qu’il n’y a pas de civils à Gaza, que tout ce qui bouge est un ennemi. » Ces propos, semble-t-il, ont été enracinés dans l’esprit des soldats au point que viser avec un fusil de sniper quelqu’un courant vers un sac de farine est devenu banal. Pas de honte, pas de remords, juste des ordres exécutés sans question. Les soldats n’ont pas nié les meurtres dans leurs témoignages – ils les ont décrits comme des actes « routiniers ». Certains ont même admis que l’armée interdit la diffusion de vidéos filmées près des centres d’aide, comme si la caméra représentait le danger réel, et non les exécutions.

Ce que révèlent les soldats dépasse l’entendement. Dans les réunions internes du commandement sud de l’armée israélienne, la question n’était pas de savoir comment protéger les civils ou éviter les pertes humaines, mais de discuter de l’efficacité des obus d’artillerie pour disperser les foules. Oui, l’artillerie lourde – celle qui est normalement utilisée contre des armées – est désormais utilisée contre les affamés attendant de l’aide. Un soldat d’une unité de chars a dit : « Nous tirons des obus d’avertissement, mais ils tombent souvent en plein milieu des foules. Le résultat : des dizaines de morts et de blessés. Et quand on demande pourquoi, personne ne répond. » Il n’y a aucune logique, juste une routine meurtrière qui se répète chaque matin : les foules se rassemblent, les forces observent, une balle tombe, les affamés courent, certains ne se relèvent pas. Et parfois, même après que les gens ont commencé à fuir, ils sont pris pour cibles, sous prétexte qu’ils « ne sont pas encore partis ».

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La mort n’est pas venue uniquement de l’armée. Le journal israélien a révélé qu’une partie des victimes a été tuée par les balles d’une milice appelée “Abou Chabab”, une milice palestinienne soutenue et armée par Israël. Ces groupes complètent la mission de l’armée en terrorisant les civils dans les zones non contrôlées par le Hamas. L’armée israélienne voit en ces milices un outil pour briser ce qui reste de cohésion sociale dans la bande. Un officier israélien a avoué que l’armée les encourage et les soutient, car ils « traitent les foules avec une main de fer ». Et avec chaque balle tirée, chaque enfant tué en cherchant à manger, la question reste suspendue : Qui a décidé que les affamés étaient des ennemis ? Qui a transformé une bouchée de pain en bombe à retardement ?

Dans les quatre centres de distribution dirigés par l’organisation Gaza Humanitaire, contrôlée par des alliés de Trump et Netanyahou, tout est basé sur la tromperie. De l’extérieur, ils ressemblent à des initiatives de secours, mais sur le terrain, ce sont des pièges mortels. Les soldats américains observent. Les soldats israéliens tirent depuis des centaines de mètres. Et les morts se comptent par dizaines chaque jour. L’organisation n’ouvre les centres qu’une heure, créant une anarchie sanglante. Et au moment de l’ouverture, les tirs cessent temporairement. Comme si le carnage s’arrêtait dès qu’un camion arrive. Un officier dit : « Ils traitent les gens comme des ennemis, pas comme des affamés. Personne ne s’en soucie. La perte de vies humaines ne signifie plus rien. Gaza est devenue un lieu hors du temps et de la loi. »

Il n’y a pas de mots pour décrire la douleur vécue par les habitants de Gaza aujourd’hui. Des enfants courant pieds nus derrière des camions d’aide, des femmes portant leurs bébés et traversant les balles, des adolescents risquant leur vie pour un sac de farine. La mort à Gaza ne vient plus des avions, mais du canon d’un fusil de sniper qui voit en l’affamé un ennemi. Le drame n’est plus une simple information dans un journal télévisé, c’est une série sanglante qui se joue quotidiennement en silence, où des innocents meurent sans que le monde ne cligne des yeux. La grande question demeure.

Quand seront tenus responsables ceux qui ont transformé l’aide humanitaire en pièges mortels ? Quand seront jugés ceux qui ont tué des enfants simplement parce qu’ils voulaient manger ? »


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.