Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 585 / 27.11 – Le 7 octobre : début de la guerre ou moment révélateur d’une guerre décidée bien avant ?

Brigitte Challande, 28 novembre 2025.– Un texte de réflexion envoyé par Abu Amir le 27/11, la guerre de Gaza, un complot antérieur au 7 octobre ?

« Depuis que le Moyen-Orient a été secoué par l’opération du 7 octobre, nommée par le mouvement Hamas « Déluge d’Al-Aqsa », l’image semble être celle d’un monde réveillé par un événement sans précédent ayant fait exploser la région. Pourtant, l’examen attentif de la chaîne d’événements qui ont précédé l’opération, et l’analyse des transformations politiques, économiques et régionales qui se forment silencieusement, révèlent que la scène n’est pas née de ce moment-là, que la guerre déclenchée après le 7 octobre n’était pas un événement soudain, mais le résultat d’une accumulation de causes et de prémices alignées depuis longtemps. Une analyse approfondie laisse même penser que la décision d’embraser la situation à Gaza et de remodeler la région de manière radicale avait été préparée avant le premier coup de feu du 7 octobre.

L’offensive israélienne de grande envergure contre Gaza, marquée par un niveau massif de destruction et de génocide, s’inscrit dans une série d’événements liés dont les fils nous mènent à Washington et à une nouvelle vision américaine du Moyen-Orient. Lorsque le président américain Joe Biden annonça, le 9 juillet 2023, en marge du G20 et en l’absence de la Chine, un « grand accord » comprenant un vaste corridor commercial reliant l’Inde, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie et Israël jusqu’à l’Europe, l’annonce ne relevait pas du simple projet économique. Elle ressemblait davantage au premier signe d’une grande bataille destinée à redessiner toute la région.

Ce corridor ne pouvait réussir sans mettre fin à l’état de conflit explosif au cœur du Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien. Il n’aurait pu voir le jour sans une normalisation complète entre l’Arabie saoudite et Israël, condition qui semblait impossible en l’absence d’un État palestinien indépendant, considéré par Riyad comme fondement de toute réconciliation ou normalisation.

Dès l’annonce du projet, il est devenu évident que Washington devait modifier entièrement les équations régionales. Le nouveau corridor n’était pas simplement une ligne commerciale ; il représentait une partie d’une bataille majeure entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle des routes commerciales mondiales. C’était le concurrent le plus direct de l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route », et une tentative pour replacer Washington au cœur de la région après des années de recul stratégique.

Mais un projet de cette ampleur ne peut se concrétiser dans une région saturée de factions armées, de missiles à courte portée, de drones, de frontières en flammes et d’une opinion publique en colère. Il est donc apparu que la transformation de la réalité sécuritaire et politique à Gaza, en Cisjordanie, en Israël et dans toute la région était devenue une condition préalable à toute démarche économique américaine majeure.

Washington et le projet de réingénierie du Moyen-Orient

Il était clair pour les États-Unis que la réalisation de cette vision nécessitait une reconfiguration des forces politiques de la région, notamment face à la montée de l’extrême droite religieuse en Israël et au renforcement de l’influence des mouvements islamistes armés en Palestine. Par leur nature idéologique, ces forces ne pouvaient s’intégrer dans un projet économique, régional et international misant sur la stabilité et l’intégration. C’est alors que les tensions entre Washington et Israël ont commencé à apparaître.

Netanyahou ne fut pas reçu à la Maison-Blanche, et son gouvernement fut traité comme un fardeau pour le projet américain, plutôt qu’un partenaire. Parallèlement, une pression américaine indirecte s’exerçait sur Gaza, via la réduction de la subvention qatarie considérée comme la bouée de sauvetage financière du gouvernement du Hamas.

L’ambassadeur du Qatar à Washington confirma en novembre 2023 que la relation qataro-hamasienne se faisait « en coordination avec le gouvernement américain », un aveu clair que l’argent entrant dans Gaza ne circulait pas dans le vide, mais dans un cadre de dispositions régionales et internationales.

Washington savait parfaitement que l’étouffement financier de Gaza pousserait le Hamas vers un choix décisif :
– soit accepter un effondrement interne total, avec révolte populaire, crise économique et chute progressive ;
– soit mener une opération militaire majeure changeant les règles du jeu.

Selon les déclarations répétées du Hamas, le choix préféré était clair : l’attaque, non l’effondrement. Le discours de Yahya Sinwar en mai 2021, lorsqu’il déclara : « Nous brûlerons le vert et le sec si les problèmes de Gaza ne sont pas résolus », n’était qu’un indicateur de ce qui se préparait.

Les chapitres précédant la tempête : Gaza poussée vers l’explosion

En juillet 2023, seulement trois mois avant le 7 octobre, le sous-secrétaire au ministère des Finances du Hamas, Aouni al-Basha, fit une déclaration alarmante : le gouvernement traversait « une crise financière étouffante », le solde du ministère dans les banques était « zéro », la subvention qatarie avait cessé, et le gouvernement empruntait aux banques. Cette annonce sonnait comme une dernière alerte : un gouvernement armé dépendant d’un financement extérieur ne peut survivre en situation de crise totale.

Parallèlement, les cadres de premier et de second rang du Hamas quittaient Gaza avec leurs familles dans ce qui ressemblait à une opération d’évacuation préméditée, comme si tout le monde savait que l’heure zéro approchait et qu’un événement extraordinaire était imminent.

Dans cette atmosphère, tous les indicateurs pointaient vers une seule chose : Gaza était poussée vers une explosion majeure, soit dans le silence de la communauté internationale, soit avec la complicité de certains acteurs régionaux, soit dans le cadre d’une vision dépassant Gaza elle-même.

Qui a déclenché la guerre ?… Et qui a planifié son expansion ?

Lorsque l’opération du 7 octobre eut lieu, Israël a semblé recevoir un coup inattendu. Mais ce qui suivit ouvrit la porte à de grandes questions :

L’offensive israélienne fut-elle simplement une réaction ? Ou la destruction massive infligée à Gaza faisait-elle partie d’un plan ancien attendant la bonne occasion ?

La guerre n’a pas eu le caractère d’une riposte mesurée, mais celui d’une guerre totale aux objectifs stratégiques à long terme :
– changer la démographie de Gaza,
– démanteler les factions armées,
– renverser le gouvernement du Hamas,
– redéfinir le paysage politique palestinien selon une nouvelle carte américano-israélienne.

Les objectifs révélés plus tard, discutés ouvertement dans les think tanks américains et israéliens, indiquent que ceux qui ont fait exploser la situation cherchaient à :

  1. Contraindre les Palestiniens à accepter une solution politique à n’importe quel prix après le choc de la guerre.

  2. Modifier la densité démographique de Gaza et réduire ce qu’Israël considère comme « le danger démographique ».

  3. Détruire la force militaire des factions qui, depuis des années, servaient de prétexte empêchant Israël d’avancer dans une solution politique.

  4. Affaiblir l’extrême-droite israélienne qui entrave toute vision américaine pour la région.

  5. Changer l’image d’Israël à l’international pour le pousser vers un système politique plus modéré et conforme au projet américain.

Autant d’objectifs qui ne relèvent pas de réactions rapides, mais d’un cadre préétabli, comme si la guerre n’attendait que le moment propice pour éclater.

Le contexte international : pourquoi l’exigence américaine d’un État palestinien a-t-elle été soudaine ?

À mesure que la guerre se poursuivait, les États-Unis ont intensifié leur discours en faveur d’une solution à deux États et de la création d’un État palestinien. Ce changement soudain n’avait rien d’humanitaire ou d’émotionnel ; il reflétait une série de calculs stratégiques :

Premièrement : la question palestinienne est devant la Cour internationale de justice, dont les décisions peuvent modifier profondément les concepts juridiques liés à l’occupation, créant une immense pression sur Israël.

Deuxièmement : le dilemme démographique, avec une majorité palestinienne claire dans toute la Palestine historique, menace le cœur du projet sioniste fondé sur un État juif à majorité absolue.

Troisièmement : la révolution des technologies militaires — notamment les drones et les armes intelligentes bon marché — réduit progressivement la valeur du monopole militaire israélien. En bref, Washington estimait que la préservation d’Israël nécessitait un règlement politique, et non le maintien du statu quo.

Au regard de toutes ces données, une question s’impose :

La guerre de Gaza fut-elle la conséquence directe de l’opération du 7 octobre ? Ou l’opération n’a-t-elle été que l’étincelle permettant d’exécuter un plan déjà prêt ?

Gaza était-elle seulement assiégée géographiquement ? Ou également politiquement et financièrement pour la pousser vers une explosion calculée ?

Le suivi de tous les fils — de l’annonce de Biden sur le corridor indo-européen, au resserrement financier sur Gaza, au traitement froid envers le gouvernement israélien extrémiste, aux mouvements des dirigeants du Hamas, à la nature de la réponse militaire israélienne — montre que la région était entraînée vers un moment d’explosion majeure longtemps avant octobre.

Le monde ne connaît peut-être pas encore tous les détails, et certains dossiers resteront peut-être fermés pendant des années, mais ce qui est clair, c’est que la guerre n’était pas une simple coïncidence historique. Elle fut le résultat d’une ingénierie stratégique complexe impliquant argent, politique, projets internationaux, pressions financières, transformations démographiques et intérêts sécuritaires.

Les Palestiniens se dirigent-ils vers un État indépendant ? Ou vers une nouvelle illusion ?

Aujourd’hui, alors que Washington parle de la nécessité d’établir un État palestinien, la vraie question demeure : les États-Unis permettront-ils la création d’un véritable État palestinien souverain ? Ou le discours sur l’État n’est-il qu’une opération de blanchiment des crimes et d’intégration d’Israël dans la région ?

L’occupation paiera-t-elle le prix de ce qu’elle a fait ? Ou les Palestiniens paieront-ils le prix d’une guerre imposée avant même d’avoir commencé ?

L’avenir de la cause palestinienne se trouve aujourd’hui à un carrefour extrêmement dangereux : entre la possibilité de transformer le moment actuel en opportunité historique pour récupérer les droits, et celle de l’utiliser comme couverture pour liquider la cause et instaurer une nouvelle réalité politique au service du projet régional et international.

En conclusion, quelles que soient les lectures, ce qui s’est passé à Gaza n’est pas un simple événement passager, mais un fait conçu avant son exécution, une guerre dont les contours semblent dessinés avant qu’elle ne s’embrase, et un conflit entré dans une phase de reconfiguration, non de construction à partir de zéro.

La question reste ouverte : Le 7 octobre a-t-il été le début de la guerre ?
Ou simplement le moment révélateur d’une guerre décidée bien avant ? »


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre. Partie 562 : 29 octobre. Partie 563 : 31 octobre. Partie 564 : 2 novembre. Partie 565 : 3 novembre. Partie 566 : 4 novembre. Partie 567 : 4 novembre (1). Partie 568 : 6 novembre. Partie 569 : 7 novembre. Partie 570 : 8-9 novembre. Partie 571 : 9-10 novembre. Partie 572 : 11 novembre. Partie 573 : 13 novembre. Partie 574 : 14 novembre. Partie 575 : 14 novembre (1). Partie 576 : 16 novembre. Partie 577 : 16 novembre (1). Partie 578 : 17 novembre. Partie 579 : 19 novembre. Partie 580 : 21 novembre. Partie 581 : 22 novembre. Partie 582 : 22-23 novembre. Partie 583 : 24 novembre. Partie 584 : 25 novembre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
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Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing