Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 386 / 5 mai – Quand l’espoir devient une tente… et que l’enfance attend une chemise

Brigitte Challande, 6 mai 2025. Abu Amir rend compte d’une initiative de distribution de vêtements aux enfants des agriculteurs du village de Khuza’a dans le camp « Sourire d’Espoir », le 5 mai 2025.

« À travers la géographie de la douleur dans la bande de Gaza, ce ne sont pas seulement les tentes qui se dispersent, mais aussi les histoires oubliées et les petits détails qui crient en silence. Dans les camps érigés à la hâte aux abords des villages, entre des champs qui furent jadis verdoyants et sont devenus des terres de survie temporaire, des milliers de déplacés vivent une vie qui ne ressemble en rien à la vie, dans une réalité humaine tragique qui ne cesse de se détériorer jour après jour.

Dans ces espaces fragiles, entre les toiles déchirées et la terre mouillée, les gens s’entassent. Les tentes sont trop petites pour leurs habitants ; l’eau, lorsqu’elle est disponible, est polluée, et l’air est imprégné des odeurs des eaux usées à ciel ouvert. La faim, elle, n’a pas besoin d’autorisation pour entrer ; elle frappe aux portes sans prévenir. La maladie guette la première goutte d’eau contaminée, et les mères portent leurs enfants comme on porte une fleur fanée, implorant une goutte de vie.

Face à ce tableau accablant, l’UJFP a décidé de redessiner la vie sous un angle différent : semer un sourire dans les cœurs des enfants, offrir aux mères un moment de répit au milieu de la poussière des jours.

Cette semaine, nous nous sommes rendus au camp « Basmat Amal » (Sourire d’Espoir), récemment établi dans le village d’Abassan pour accueillir plus de 450 familles d’agriculteurs de Khuza’a, ceux-là mêmes qui ont perdu leurs maisons sous les bombardements, leurs enfants, leurs vies et leurs espoirs en un seul instant. Ces agriculteurs ne sont pas de simples chiffres déplacés, mais ils furent de véritables partenaires de terrain. Des années de projets nous unissaient – en agriculture, en construction, en vie. Et aujourd’hui, ils sont déplacés. Étrangers sur leur propre terre, abrités sous des tentes qui ne les protègent pas, résistant avec leurs seules dents à l’ogre du besoin.

Nous avons apporté cette fois 350 vêtements neufs pour enfants. Oui, de simples vêtements, mais qui avaient pour ces petits la valeur de la vie elle-même. Ce n’était pas une distribution ordinaire. Le moment ressemblait à une fête non annoncée. Les enfants sortaient de leurs tentes comme on sort de l’obscurité vers la lumière, nous entouraient avec des regards suppliants, mais sans mots. Et dès qu’ils recevaient leurs vêtements, ils les enfilaient sur place, devant nous, avec une spontanéité étonnante et une joie bouleversante.

Dans la vidéo jointe au rapport, vous verrez des visages qui n’avaient pas souri depuis des mois, sourire à nouveau. Vous verrez une petite fille tournoyer dans ses nouveaux habits comme sur une scène de théâtre, et un garçon courir en criant : « Regardez-moi ! », comme s’il disait au monde : « Je suis encore là. Je suis un enfant. »

Les enfants sont venus vers nous, agitant leurs nouveaux vêtements, souriant et nous remerciant. Certains sont restés silencieux, n’offrant qu’un sourire — un silence plus éloquent que toutes les paroles de gratitude. Quant aux mères, leurs larmes étaient des messages écrits dans l’air. Leurs prières pour nous n’ont pas cessé depuis le premier instant. Des mots venus de cœurs épuisés par l’attente, mais qui croient encore qu’il reste quelque part dans ce monde une lueur d’espoir.

Ce qui a donné encore plus de valeur à cette journée, c’est que le maire de Khuza’a, M. Shahda Abou Rouk, a insisté pour participer personnellement à la distribution. Sa présence n’était pas officielle, mais profondément humaine. Il portait les vêtements de ses propres mains, les distribuait aux enfants, s’asseyait à leurs côtés, leur demandait leurs prénoms. Ce moment a rendu au lieu une part de la dignité perdue, montrant qu’un responsable peut être proche, présent, et partie intégrante du peuple, et non un nom lointain.

Mais la joie n’a pas duré longtemps.

À peine la distribution achevée, des dizaines d’agriculteurs déplacés se sont rassemblés autour du maire, chacun portant sa douleur dans la voix. Leur principale inquiétude : la crise des eaux usées, qui constitue désormais une menace existentielle pour le camp. Les puits temporaires sont pleins, les eaux usées commencent à déborder sur les chemins de terre, formant des flaques, libérant des odeurs insupportables et annonçant une catastrophe sanitaire imminente, surtout avec la présence des enfants.

Les habitants du camp ont lancé un appel urgent au maire et à l’UJFP pour une intervention immédiate. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait une solution, M. Abou Rouk a répondu. « Le seul camion de vidange de Khuza’a a été détruit sous les bombardements, et depuis des semaines, j’essaie de faire appel à des camions d’autres municipalités, mais la plupart sont en panne ou sans carburant. »

Ainsi, l’impuissance s’accumule, et le danger grandit.

Malgré tout, nous sommes actuellement en discussions urgentes avec le maire et le chef de clan par intérim, Abou Jamal, pour essayer de sécuriser des camions spéciaux de remplacement, ou de les louer à toute entité disponible, afin de sauver le camp d’une catastrophe imminente.Nous savons que chaque minute de retard peut signifier une nouvelle maladie ou une tragédie supplémentaire.

Ce qui se passe dans le camp « Basmat Amal » n’est pas un cas exceptionnel, mais un miroir de ce qui se passe dans tous les camps de déplacés. Là où un enfant naît sous une tente, grandit dans une file d’attente pour de l’eau, rit s’il reçoit une chemise, et sourit en voyant un biscuit. Ici, dans ce coin oublié de la terre, nous tentons de redessiner la vie à partir de ses cendres, de poser une touche de chaleur sur un visage froid, et de sauver ce qu’il reste d’humanité dans une réalité qui veut faire des gens de simples numéros affamés.

Nous continuerons. Parce que les enfants de Gaza méritent plus qu’une tente… ils méritent une patrie.

Photos et vidéos de la distribution de vêtements ICI.

Appel urgent des familles des camps « Sourire d’espoir » ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.

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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.