Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 350 / 30 mars – A Gaza l’Aïd, une fête qui n’est pas encore venue"
Brigitte Challande, 31 mars 2025. Le 30 mars, jour de l’Aïd fêté partout dans le monde par les musulmans, Abu Amir envoie ce texte : à Gaza, la fête n’est pas encore venue. Et peut-être ne viendra-t-elle jamais.
« Dans les vastes régions du monde, les rues se parent de lumières et de décorations, les maisons résonnent des rires des enfants vêtus de leurs habits neufs pour l’Aïd. L’odeur des gâteaux et du café flotte dans l’air, et les vœux sont échangés entre voisins et proches. Les musulmans, partout, accueillent l’Aïd al-Fitr avec joie et bonheur. Ils sortent dès l’aube vers les lieux de prière, prient ensemble, s’embrassent, partagent les douceurs et s’offrent des cadeaux. C’est la fin du jeûne, le début de la fête, un moment de paix.

Les 14 médecins palestiniens du Croissant Rouge et de la Défense civile de Gaza exécutées et enterrés dans une fosse profonde pour dissimuler leurs corps par l’armée israélienne d’occupation. Leurs mains étaient liées et ils ont été blessées par balle à la poitrine. Leurs corps ont été retrouvés une semaine après l’attaque de leurs ambulances dans le quartier de Tel al-Sultan à Rafah. Les médecins étaient en train de soigner des civils blessés lorsqu’ils ont été assassinés de sang froid. (source Quds News Network)
À Gaza, il n’y a ni rituels, ni vœux, ni fête. À Gaza, l’Aïd est accueilli par le silence des tombes, par des linceuls blancs à la place des habits neufs, par l’odeur de la poudre plutôt que celle des pâtisseries.
À l’aube, alors que retentissaient les premières invocations de l’Aïd, les habitants de Gaza ne sont pas sortis vers les lieux de prière, mais vers les ruines de leurs maisons, les décombres des mosquées, les fosses communes creusées à la hâte. La prière de l’Aïd a été accomplie sur les débris, les fronts se prosternant sur une terre détruite, les invocations montant dans un silence écrasé par la désolation. Ce n’était pas une prière de joie, mais une prière d’adieu, une prière de patience face à l’épreuve.
Dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, les avions militaires n’ont cessé de voler, intensifiant leurs frappes dès les premières heures du matin. L’armée israélienne a annoncé l’élargissement de ses opérations terrestres dans le quartier surpeuplé de Jenina, rempli de déplacés. Sur le terrain, les drones « quadcopters » traquaient les gens dans les rues, tirant des balles, lançant des grenades pour empêcher tout rassemblement. Au moins 11 civils ont été blessés, dont des enfants et des femmes, et transférés vers les hôpitaux de Khan Younès, au milieu d’un état de panique généralisée.
Au même moment, à Bani Suheila, à l’est de Khan Younès, une roquette est tombée sur la maison de la famille Qahwaji. Les deux petites filles, Shuruq et Yaqin, ont été tuées. (vidéo du cortège de leurs funérailles). Elles ne portaient pas leurs habits de fête, mais un linceul blanc pour leur dernier voyage vers le cimetière. Pas de jouets, pas d’étrennes, pas d’au revoir. Seulement des trous dans la terre, et des larmes dans les yeux.
Le sud de Khan Younès n’a pas été épargné non plus. Quatre membres de la famille Qadi ont été tués, plusieurs autres blessés, après qu’un avion ait ciblé leur maison sans avertissement. (vidéo de l’au-revoir aux membres de la famille assassinés). À Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, une maison de la famille Muqbil a été bombardée dans le quartier de Jarn, tuant deux femmes, dont une enfant, et causant de graves blessures à d’autres (photo d’un des enfants grièvement blessé et transporté à l’Hôpital indonésien).
Dans le quartier de Tuffah, à l’est de la ville de Gaza, des véhicules civils ont été visés, tuant un homme et blessant d’autres personnes qui tentaient soit de livrer de l’aide, soit de fuir d’un endroit à un autre, cherchant un salut inexistant.
Au centre de la bande, le camp de Nuseirat n’a pas été épargné. L’artillerie a frappé le nord du camp, ajoutant d’autres scènes d’horreur à un jour censé être une fête de paix et de miséricorde.
Selon le ministère de la Santé, en seulement 24 heures, 26 corps ont été transférés dans les hôpitaux, dont un corps extrait des décombres, en plus de plus de 70 blessés. En seulement 13 jours depuis la reprise de la guerre, le nombre de morts a dépassé les 921, et les blessés sont plus de 2.054. Depuis le 7 octobre 2023, le bilan total dépasse 50.277 morts et 114.095 blessés.
Malgré ces chiffres catastrophiques, l’armée continue son agression, et ses dirigeants persistent à défendre leur politique sans honte. Le même matin, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a tenu une réunion ministérielle où il a défendu la guerre totale, affirmant que « la pression militaire et politique » est la seule voie pour atteindre ses objectifs, notamment la récupération des otages. Il n’a pas mentionné les enfants, ni les victimes, ni les villes détruites. Il a simplement continué à affirmer que cette guerre est « réussie » et qu’elle atteint ses buts.
Pendant ce temps, les enfants de Gaza se demandent où sont passées leurs fêtes, leurs jouets enfouis, leurs frères et sœurs qui ne répondent plus. Personne ne leur répond. Dans les camps, plus d’un million et demi de déplacés souffrent de l’absence des besoins vitaux. Les files d’attente s’étendent sur des heures pour un pain ou une bouteille d’eau.
Selon les services de sécurité israéliens, le reste de carburant, de nourriture et d’eau dans la bande de Gaza ne suffira probablement pas pour plus de 60 jours, dans un contexte de guerre continue et d’échec des négociations pour un échange de prisonniers ou un cessez-le-feu.
Lors de l’Aïd, on est censé distribuer des sucreries, pas des cadavres. Allumer des lanternes, pas des incendies. Frapper aux portes pour offrir des vœux, pas les démolir sur leurs habitants.
Le matin de l’Aïd, les réseaux sociaux dans le monde arabe se sont remplis d’images de fête et de joie, tandis que ceux de Gaza débordaient d’images d’enfants morts, de cris d’alerte, de petites chaussures posées près des tombes, et d’une phrase qui se répète dans chaque maison : « La fête n’est pas encore venue…«
À Gaza, l’Aïd n’est qu’un souvenir douloureux, un rêve suspendu, une attente d’un monde plus juste et plus humain.
À Gaza, l’Aïd naît déjà mort. »
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Gaza pendant le premier jour de l’Aïd al-Fitr
Abu Amir envoie un autre texte pour compléter les informations de massacres continus ainsi que les plans de l’armée israélienne : la promesse de Nétanyahou de “détruire le Hamas”.
« La bande de Gaza a connu, dimanche matin, premier jour de l’Aïd al-Fitr, une nouvelle vague de massacres perpétrés par l’armée israélienne. Des sources médicales ont rapporté la mort d’au moins 20 personnes depuis l’aube, la plupart à Khan Younis.
À Rafah, le Croissant-Rouge a annoncé avoir récupéré les corps de 6 personnes dans la région de Tel al-Sultan, dont trois membres de son équipe, disparus depuis une semaine. L’association a affirmé que le retard de l’armée israélienne à révéler le sort de l’équipe visait à dissimuler les traces des crimes commis dans la zone.
Netanyahou réitère son discours sur la “destruction du Hamas” et rejette les propositions de trêve.
Lors d’une réunion gouvernementale, Benjamin Netanyahou a réaffirmé la nécessité de maintenir la pression militaire sur la bande de Gaza, prétendant que c’était le seul moyen de libérer les prisonniers. Il a déclaré : « nous voulons garantir le contrôle sécuritaire israélien sur Gaza et appliquer le plan Trump visant à déplacer sa population ».
Malgré la médiation internationale, Netanyahou a rejeté une proposition acceptée par le Hamas prévoyant une trêve temporaire de 50 jours en échange de la libération de prisonniers des deux côtés, dont l’Etats-unien Edan Alexander. À la place, Israël a proposé un nouvel accord réclamant la libération de dix prisonniers vivants et de onze corps, sans aucun engagement à un cessez-le- feu, ce qui a été perçu comme une tentative claire de faire échouer l’initiative.
Remise en question interne de l’efficacité de la “pression militaire”
Nétanyahou fait face à des critiques internes croissantes. Une source sécuritaire et la mère d’un prisonnier ont contesté ses affirmations selon lesquelles la pression militaire serait la seule solution. « Les faits prouvent que tu mens. Tu sacrifies les prisonniers pour ton pouvoir, et c’est un crime dont l’Histoire te tiendra responsable », a déclaré la mère du captif.
Selon Yediot Aharonot, les autorités sécuritaires israéliennes estiment que la poursuite des combats met gravement en danger la vie des prisonniers. Une source de haut rang a accusé le gouvernement d’avoir confié à Ron Dermer la mission de saboter toute négociation sérieuse, ce qui a poussé les familles des prisonniers à manifester devant son domicile.
L’armée israélienne, les plans de contrôle et de déplacement
Le journal Haaretz a révélé que le nouveau chef d’état-major israélien s’efforce de mettre en œuvre un plan aligné sur les visions de l’extrême-droite, visant à établir un contrôle total sur Gaza et à pousser ses habitants à fuir par la mer. Le plan prévoit de réduire la “zone humanitaire” à une petite enclave dans la région d’al-Mawasi, à Khan Younis, et d’organiser une mobilisation massive de réservistes.
Les opérations terrestres israéliennes se concentrent actuellement à Beit Lahia au nord, dans le corridor de Netzarim au centre, et dans certaines zones de Rafah au sud. Le commentateur militaire Amos Harel a évoqué la préparation d’une vaste opération terrestre qui pourrait inclure une invasion totale de la bande de Gaza.
Il a ajouté que ces plans étaient discutés sans la présence du parquet militaire afin d’éviter les avertissements sur d’éventuelles violations du droit international. Il a cité un haut gradé : « Pas un seul sac de farine n’entrera à Gaza sans que l’armée israélienne ne contrôle l’aide humanitaire ».
Crise interne dans les rangs de l’armée israélienne
L’armée israélienne est confrontée à une crise croissante parmi les forces de réserve, avec une augmentation des cas de « refus silencieux » de répondre aux convocations, en raison des divergences politiques, du flou sur les objectifs de la guerre et de l’inégalité dans le partage du fardeau.
Haaretz a rapporté que certaines unités de réserve n’enregistrent qu’un taux de réponse de 50 %, tandis que les commandants militaires manipulent les données pour masquer ce déficit.
Au milieu de ces complications, les familles des prisonniers sont descendues dans la rue, exigeant un accord global d’échange de prisonniers sans mise en œuvre progressive, et refusant tout retard politique au détriment de la vie de leurs proches.
Pendant qu’Israël est absorbée par ses plans de contrôle et de déplacement, les habitants de Gaza vivent un enfer ininterrompu. Sous les bombardements, sous les tentes, et parmi les ruines, ils attendent une lueur d’espoir, même une trêve temporaire, qui pourrait leur offrir quelques heures de sécurité. Leurs cœurs restent suspendus à l’inconnu, espérant la fin de ce flot de sang, et le retour d’une vie sur une terre épuisée par le siège et la guerre, toujours sous le feu de l’armée israélienne. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.