La rare visite de la délégation du Hamas en Irak

Mohanad Faris, 10 novembre 2023. Lors d’une visite rare, une délégation du Hamas est arrivée à Bagdad le 27 octobre à l’invitation de groupes armés chiites irakiens. Le groupe de cinq membres était dirigé par Osama Hamdan, haut responsable du Hamas, qui était notamment accompagné de Mohammed Al-Hafi, du Bureau des relations arabes et islamiques du mouvement palestinien.

Osama Hamdan, haut responsable du Hamas, lors d’une conférence de presse à Beyrouth, Liban, le 10 novembre 2023. (Photo via les réseaux sociaux)

Une ambiguïté plane sur les détails de cette visite, qui intervient alors que l’on craint que l’Irak ne soit entraîné dans une conflagration régionale déclenchée par la guerre Hamas-Israël à Gaza. Cependant, plusieurs sources bien informées ont confirmé à Amwaj.media que les Palestiniens ont rencontré un certain nombre de dirigeants irakiens.

Ce voyage fait également suite à ce qui était censé être une tournée historique en Irak le mois dernier du chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh. Cette visite a été annulée à la dernière minute le 7 octobre après l’annonce de la nouvelle selon laquelle des combattants du Hamas avaient pris d’assaut les communautés israéliennes près de Gaza.

En coulisses

La visite de la délégation du Hamas a eu lieu à l’invitation de certains groupes armés chiites fidèles à « l’Axe de la Résistance » dirigé par l’Iran, notamment le Harakat Hezbollah Al-Nujaba et le Kata’ib Hezbollah [et la Syrie, ndt].

Les membres du Hamas ont rencontré l’ancien secrétaire général du Kata’ib Hezbollah, Abdulaziz (Abu Fadak) Al-Muhammadawi, qui est actuellement chef d’état-major des Unités de mobilisation populaire (PMU) irakiennes. Les Palestiniens en visite ont également rencontré le chef d’Asa’ib Ahl Al-Haq, Qais Al-Khazali. Il faut noter que Khazali s’est entretenu le 10 octobre avec Haniyeh et a déclaré être « prêt à tout effort visant à libérer Al-Quds [Jérusalem] et à soutenir le peuple palestinien”.

S’exprimant sous couvert d’anonymat, une source au courant des réunions à Bagdad a déclaré à Amwaj.media que la délégation du Hamas avait informé ses hôtes irakiens des développements dans la bande de Gaza, y compris les opérations militaires en cours. La source a précisé qu’il a été demandé aux Irakiens d’augmenter leur intervention diplomatique en relation avec la crise de Gaza.

La délégation du Hamas aurait également exhorté ses homologues à faire pression sur le gouvernement irakien pour qu’il se mette en contact avec le gouvernement libanais afin d’ouvrir la voie au mouvement libanais Hezbollah afin d’accroître son soutien militaire à la cause palestinienne. Amwaj.media n’a pas pu vérifier de manière indépendante cette dernière affirmation. Cependant, le 16 octobre, Khaled Meshaal, haut responsable du Hamas, a notamment accusé que « le Hezbollah a préoccupé [les forces israéliennes] dans le sud du Liban ; nous en sommes reconnaissants, et c’est bien… cependant, à mon avis, cette bataille nécessite davantage.

Insistant pour que son nom ne soit pas divulgué compte tenu du caractère sensible des réunions, la source a déclaré à Amwaj.media que la partie irakienne n’a pas confirmé qu’elle donnerait suite aux demandes palestiniennes, ni quelles pourraient être les prochaines étapes. Toutefois, les Irakiens se seraient engagés à relayer le message de la délégation du Hamas auprès du gouvernement irakien.

Dans ce contexte, la délégation du Hamas n’a notamment tenu aucune réunion publique avec des responsables de l’administration du Premier ministre irakien Muhammad Shia’ Al-Sudani (2022-). Cependant, la même source a affirmé à Amwaj.media que Hamdan avait effectivement rencontré certains des conseillers de Soudani, sans nommer aucun des individus. Même si Bagdad semble avoir donné son feu vert à la visite, la prétendue réunion avec les conseillers du gouvernement aurait eu lieu en secret. Si cela est vrai, cette dernière semble destinée à éviter toute friction avec Washington en décrivant l’Irak comme neutre et n’ayant aucun lien avec le Hamas – même si Soudani a exprimé à plusieurs reprises son soutien aux Palestiniens et à leur « droit de résister à l’injustice et au terrorisme sioniste » dans les semaines qui ont suivi l’attaque surprise du 7 octobre contre Israël.

Relations Irak-Hamas

Le principal élément qui lie les groupes armés chiites irakiens et le Hamas est leur affiliation commune à « l’Axe de la Résistance », qui comprend l’Iran et le Hezbollah libanais.

S’adressant à Amwaj.media, le professeur irakien de sciences politiques Mohammad Al-Azzi a expliqué qu’inviter le Hamas à se rendre en Irak est perçu comme faisant partie des efforts déployés par les groupes irakiens pour montrer à leurs partisans qu’ils soutiennent la cause palestinienne. Azzi a également expliqué que l’acceptation de l’invitation par le mouvement palestinien est considérée comme destinée à ouvrir de nouveaux fronts pour affaiblir les forces américaines dans la région, et donc Israël.

Lors de la visite de la délégation du Hamas, une question clé est apparue : pourquoi n’y-a-t-il pas eu de réunion avec les représentants du mouvement sadriste. À l’instar de leurs rivales chiites comme le Kata’ib Hezbollah, les Brigades de la paix affiliées aux sadristes sont également capables de frapper les forces américaines en Irak. Dans cette veine, le leader sadriste Muqtada Al-Sadr, dans une déclaration publiée sur Twitter/X le jour de l’arrivée de la délégation du Hamas, a appelé à la fermeture de l’ambassade américaine à Bagdad en raison de son « soutien à l’entité sioniste ».

Répondant aux spéculations autour de l’absence de rencontre entre Hamdan et des sadristes, Azzi a déclaré à Amwaj.media que « la délégation du Hamas avait peur de la réaction de l’Iran », décrivant Sadr comme une figure irakienne « qui s’oppose à la politique de Téhéran en Irak et dans la région ». Le professeur a en outre noté que la déclaration de Sadr du 27 octobre « pourrait très bien être considérée comme un retour indirect (…) sur la scène politique irakienne ». Il convient de noter qu’après avoir échoué à former un gouvernement « majoritaire national » avec les partis arabes kurdes et sunnites à la suite des élections législatives d’octobre 2021, Sadr a annoncé l’année dernière sa « sortie » de la politique irakienne.

Selon Azzi, la décision des groupes armés chiites d’inviter le Hamas et la déclaration de Sadr découlent toutes deux d’une prise de conscience commune du fort soutien populaire en Irak à l’attaque surprise palestinienne contre Israël. Dans ce contexte, les acteurs politiques chiites tentent d’investir dans la cause palestinienne pour « obtenir le soutien populaire », notamment à l’approche des prochaines élections provinciales irakiennes, a expliqué le professeur de sciences politiques.

La visite du Hamas et les menaces contre le gouvernement

S’exprimant sous couvert d’anonymat car il n’était pas autorisé à commenter publiquement la question, une source affiliée au bureau des médias de Sudani a déclaré à Amwaj.media que l’invitation du Hamas à se rendre à Bagdad est considérée comme une tentative d’embarrasser le gouvernement irakien. Décrivant l’invitation comme n’ayant que peu à voir avec la cause palestinienne, la source a affirmé que la visite représentait essentiellement un bénéfice pour al-Soudani et certains de ses alliés au sein du Cadre de coordination chiite soutenu par l’Iran, ayant « rejeté » les « revendications de postes de sécurité sensibles » par certains groupes armés chiites.

Une autre source bien informée a souligné à Amwaj.media qu’il existe des divisions au sein de la direction des UMP (1). Les groupes armés fidèles à « l’Axe de la Résistance » sont en conflit avec certains éléments du Cadre de coordination chiite au pouvoir – une constellation de partis chiites qui a permis à Soudani d’accéder au poste de Premier ministre l’année dernière.

Cette dynamique est indiquée dans la déclaration du 2 novembre du chef d’état-major des UMP, Muhammadawi, selon laquelle il était « hautement disposé à défendre la souveraineté du pays et ses frontières nationales » en prévision d’« urgences potentielles ». Cela semblait destiné à mettre en évidence la préparation à d’éventuelles attaques américaines suite à la récente série de frappes de drones et de roquettes contre les forces américaines revendiquées par une nouvelle entité de « résistance ». Pourtant, même si l’alerte s’applique à l’employeur de Muhammadawi « et à d’autres unités de sécurité », le Premier ministre Soudani est le commandant en chef de toutes les forces armées irakiennes, y compris les UMP.

D’autre part, des documents présumés attribués au ministère irakien de la Défense et qui ont circulé sur les réseaux sociaux parlent de la nécessité de redistribuer et de sécuriser les dépôts d’armes, de re-répartir les avions entre les bases, de sécuriser les moyens de transport des hauts fonctionnaires ainsi que les équipements de communication, et d’activer les efforts des services de renseignement pour dissuader toute menace éventuelle. Ces prétendues instructions, si elles sont vraies, indiquent que le gouvernement irakien pourrait se préparer à une confrontation.

Regarder vers l’avant

Les observateurs se méfient d’une possible détérioration de la situation sécuritaire en Irak, notamment d’une potentielle confrontation entre les groupes armés chiites et le gouvernement.

S’exprimant sous couvert d’anonymat, une source importante affiliée au Cadre de coordination chiite a déclaré à Amwaj.media que des éléments armés continueront de cibler les actifs américains en Irak ou le long de la frontière avec la Syrie pour embarrasser le gouvernement Al-Soudani et l’entraîner dans la guerre. Bagdad a fermement rejeté les attaques et appelé au calme et au dialogue.

Le chercheur irakien en matière de sécurité, Ali Abd Al-Ilah, a déclaré à Amwaj.media qu’une détérioration des conditions de sécurité est imminente en raison du conflit entre le gouvernement irakien et certains groupes armés chiites. Cependant, il a également déclaré qu’il était peu probable que les États-Unis lancent une réponse à grande échelle aux attaques contre leurs forces au cours des dernières semaines, affirmant que « les réponses possibles des États-Unis à ces attaques pourraient inclure le ciblage des convois des UMP ou de hauts responsables pour inciter les groupes armés à intervenir pour limiter leurs opérations contre les actifs américains dans la région. » Selon Abd Al-Ilah, Washington a intérêt à limiter sa réponse car il « se rend compte que déclencher le chaos dans la période actuelle pourrait ouvrir la voie à une nouvelle crise dont les États-Unis n’ont pas besoin ».

Pour l’instant, la situation en Irak reste globalement calme, bien que potentiellement avant une tempête. Le pays pourrait être sur le point d’être entraîné dans une nouvelle guerre parallèlement ou en relation avec la guerre entre le Hamas et Israël. La perspective d’une confrontation intérieure est également réelle à moins que des efforts plus énergiques ne soient déployés pour forger une désescalade et un dialogue.

(1) Les Unités de mobilisation populaire (UMP), également appelées Forces de mobilisation populaire (FMP) et al-Hashd al Shaabi, peuvent être considérées comme une organisation faîtière complexe, composée de nombreuses milices différentes, dont la majorité sont des milices chiites. Des sources de 2016 et 2017 ont indiqué que les PMU comprennent entre 60.000 et 140.000 combattants, enregistrés dans environ 60 à 70 groupes. (source)

Article original en anglais sur amwaj.media / Traduction MR

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