Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 467 / 20 juillet – Trouver une langue alternative dans les couleurs de Gaza"
Brigitte Challande, 20 juillet 2025.- Au cœur de Gaza-ville, où l’odeur de la poudre flotte encore dans l’air, parmi les tentes dispersées dans le camp d’Al-Isra au centre-ville, trente femmes déplacées, se sont réunies pour une séance de soutien psychologique menée par les équipes de l’UJFP, sous le thème : « Notre terre dans nos couleurs : dessinons nos racines et semons l’espoir ». 20 juillet.
« Cette séance représentait un souffle nouveau dans une atmosphère étouffante, un espace vital où les couleurs ont exprimé ce que les mots n’ont pu dire au cœur du chaos. Dans un environnement épuisé par les guerres, dépouillé de maisons et de souvenirs, l’art est devenu une langue alternative, un pont silencieux entre le traumatisme et la résilience.
L’une des jeunes femmes, traçant prudemment des lignes jaunes sur sa feuille blanche, confie :
« Je pensais que les couleurs avaient déserté ma vie, comme mes affaires l’ont fait. Tout me paraît gris. Mais quand j’ai pris un crayon de couleur et dessiné une fleur de notre ancien jardin, j’ai eu l’impression de retrouver un battement de cœur perdu. J’ai ajouté une touche de jaune sur la fleur, comme si j’ajoutais un soleil à ma journée. »
Au début de la séance, on a demandé aux participantes de choisir une couleur qui reflétait leur ressenti du jour, sans explication. C’était la première étape vers une libération émotionnelle non verbale, créant un climat visuel où l’âme s’exprime par la langue des couleurs.
Une femme a choisi le bleu : « C’est la couleur de la mer qui me manque depuis que ma fenêtre a été détruite. »
Une autre le brun, « La couleur de la terre qui m’a échappée entre les doigts quand j’ai quitté mon pays sans adieu. »
Les participantes étaient invitées à s’asseoir en silence, fermer les yeux et visualiser un lieu qu’elles aimaient dans leur terre natale, tout en inspirant profondément pour remplir leurs poumons d’air et expirer la douleur du cœur. Ce fut une préparation à l’expression artistique, une porte intérieure permettant au corps de dialoguer avec la mémoire, et à l’air d’épouser l’histoire.
Lors de l’activité « Couleurs de mon pays », les femmes ont commencé à dessiner des éléments liés à leurs souvenirs anciens : un mûrier ombrageant la porte d’une maison, un trottoir du quartier, ou encore les cieux estivaux azurés au-dessus des vieilles habitations.
L’objectif était de libérer la mémoire visuelle de la prison de la peur, et d’invoquer une terre qu’on ne voit plus mais que l’on sent toujours.
Parmi les participantes se trouvait une femme âgée, dont les cheveux mêlaient le blanc à la tristesse. Elle est restée longtemps à contempler sa feuille avant de commencer. Puis, après quelques minutes, elle a dessiné la mer. La mer de Gaza qu’elle ne voit plus.Le pinceau pleurait pour elle.
Elle dit : « J’ai tout perdu, mais je n’ai pas perdu le bruit des vagues dans ma tête. »
Elle a dessiné une vague bleu foncé, puis une autre plus claire…
« C’est ainsi que je vis, entre la dureté d’hier et l’espoir de demain. »
Elle a ajouté, en marge de son dessin, une petite phrase : « Je reviendrai. »
Vint alors le tour de l’espoir. Il fut demandé à chaque participante d’ajouter une couleur vive ou un symbole représentant un souhait ou un rêve.
Les feuilles se sont remplies de fleurs poussant sous les décombres, de soleils brillants se levant aux coins des dessins, et d’oiseaux blancs survolant les tentes des déplacés.
Une mère a dessiné ses deux enfants courant vers une colline verdoyante : « Je leur ai dit que cette colline existe encore, et qu’un jour nous y retournerons. Je la plante pour eux sur cette feuille, pour que le rêve ne meure pas. »
Dernière étape, une fresque collective a été créée sous le titre : « La fresque de la résilience ».
Chaque participante y a inscrit une phrase courte exprimant ce que la terre lui a appris sur la ténacité.
Les mots se sont dispersés sur la fresque comme un tatouage commun :
« La terre ne trahit pas », « Nous naissons des racines », « La terre est mémoire », « Chaque fleur est résistance », « Nous ne mourrons pas deux fois ».
Tisser ensemble une scène visuelle de résilience collective.
Il était clair que les couleurs, malgré leur simplicité, avaient le pouvoir d’allumer une lumière intérieure face à l’obscurité. L’art fut ici un moyen de traverser le mur du traumatisme, un espace sécurisé pour la confession sensorielle, loin des douleurs des mots.
Peut-être cette séance a-t-elle prouvé une fois de plus que les femmes savent transformer les cendres en semences, la douleur en éclat de vie. Lorsqu’on leur offre l’outil et l’espace, elles savent faire de la couleur une patrie temporaire, de l’image une mémoire de substitution, en attendant le retour de l’original. Un acte artistique de résistance.
Le dessin des femmes était une narration d’histoires volées, d’une maison absente, d’une berceuse chantée par une mère avant le sommeil. La fresque une patrie miniature sur papier, qui pousse depuis les décombres.
Ainsi, les femmes affirment une fois de plus que l’art, en temps de Nakba continue, est une forme de justice, et que la couleur, à Gaza, est toujours capable de dévoiler l’injustice et d’écrire l’espoir. »
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai. Partie 395 : 11 mai (1). Partie 396 : 12 mai. Partie 397 : 13 mai. Partie 398 : 14 mai. Partie 399 : 15 mai. Partie 400 : 16 mai. Partie 401 : 16 mai (1). Partie 402 : 17 mai. Partie 403 : 18 mai. Partie 404 : 18 mai (1). Partie 405 : 20 mai. Partie 406 : 21 mai. Partie 407 : 22 mai. Partie 408 : 22 mai (1). Partie 409 : 23 mai. Partie 410 : 24 mai. Partie 411 : 25 mai. Partie 412 : 25 mai (1). Partie 413 : 27 mai. Partie 414 : 27 mai (1). Partie 415 : 28 mai. Partie 416 : 29 mai. Partie 417 : 30 mai. Partie 418 : 1er juin. Partie 419 : 1er juin (1). Partie 420 : 31 mai et 2 juin. Partie 421 : 2 juin (1). Partie 422 : 3 juin. Partie 423 : 4 juin. Partie 424 : 5 juin. Partie 425 : 6 juin. Partie 426 : 6 juin (1). Partie 427 : 7 juin. Partie 428 : 8 juin. Partie 429 : 9 juin. Partie 430 : 10 juin. Partie 431 : 11 juin. Partie 432 : 12 juin. Partie 433 : 13 juin. Partie 434 : 14 juin. Partie 435 : 15 juin. Partie 436 : 16 juin. Partie 437 : 17 juin. Partie 438 : 18 juin. Partie 439 : 19 juin. Partie 440 : 20 juin. Partie 441 : 21-22 juin. Partie 442 : 24 juin. Partie 443 : 25 juin. Partie 444 : 26 juin. Partie 445 : : 27-28 juin. Partie 446 : 27 juin. Partie 447 : 30 juin. Partie 448 : 1er juillet. Partie 449 : 2 juillet. Partie 450 : 2 juillet(1). Partie 451 : 3 juillet. Partie 452 : 4 juillet. Partie 453 : 5 juillet. Partie 454 : 6 juillet. Partie 455 : 7 juillet. Partie 456 : 7 juillet (1). Partie 457 : 9 juillet. Partie 458 : 10 juillet. Partie 459 : 11 juillet. Partie 460 : 12 juillet. Partie 461 : 13 juillet. Partie 462 : 14 juillet. Partie 463 : 16 juillet. Partie 464 : 17 juillet. Partie 465 : 18 juillet. Partie 466 : 19 juillet.
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.