Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 358 / 6 avril – Les équipes de l’UJFP poursuivent leur travail dans le nord et le centre du territoire"
Brigitte Challande, 7 avril 2025.- Abu Amir envoie le compte rendu hebdomadaire et on peut y lire l’importance et la force du soutien psychologique pour les femmes dans cette situation de déplacement et de guerre.
« Camp Al-Istiqqama
Les équipes de l’UJFP poursuivent leur travail dans le nord et le centre de la bande de Gaza, en offrant des séances de soutien psychologique aux femmes déplacées dans les camps d’hébergement. Cette semaine, un atelier de soutien a été organisé pour les femmes du camp Al-Istiqqama, dans le gouvernorat central de Deir al-Balah.
Comment semer la joie dans le cœur de nos enfants pendant l’Aïd al-Fitr
Ce matin-là n’était pas un simple début de journée, mais une nouvelle épreuve pour les femmes du camp Al-Istiqqama, au cœur de Deir al-Balah, qui tentaient de dessiner un sourire sur le visage de leurs enfants. L’Aïd leur était apparu comme un visiteur de passage, sans cadeaux ni décorations. La séance a eu lieu le deuxième jour de l’Aïd : un groupe de mères s’est réuni avec l’équipe de soutien psychologique, portant dans leurs cœurs un mélange de fatigue, de nostalgie et d’hésitation. Le sourire semblait lointain, et les souvenirs lourds. L’Aïd n’était plus ce qu’il avait été, et les regards des enfants posés sur leurs mères semblaient poser des questions auxquelles elles ne pouvaient répondre : « Est-ce que l’Aïd est vraiment arrivé ? »
L’animatrice a ouvert la séance : « Nous ne sommes pas ici pour ramener ce qu’on nous a pris, mais pour créer quelque chose de simple, de sincère, qui donne à vos enfants la sensation que l’Aïd peut exister, malgré tout. »
Les femmes se sont installées en cercle, en silence. On leur a demandé de fermer les yeux. La séance a débuté par une méditation guidée, une sorte de fenêtre ouverte sur une mémoire oubliée.
« Imagine ton enfant, un matin de l’Aïd, habillé de neuf, souriant, te demandant de jouer avec lui… Que ferais-tu ? Que lui dirais-tu ? », murmurait doucement l’animatrice pendant que les femmes respiraient lentement. Certaines ont souri. D’autres ont été submergées par des larmes soudaines.
« J’ai vu mon fils courir vers moi et rire… c’est la première fois que je l’imagine heureux depuis notre déplacement », a murmuré une mère à l’ouverture des yeux.
Après ce moment de silence, la séance a pris une tournure plus concrète. L’animatrice a distribué des petites boîtes colorées, et a invité chaque mère à écrire ou dessiner une idée simple pour donner de la joie à son enfant avec les moyens du bord.
« Je vais fabriquer un théâtre avec des couvertures et jouer une histoire drôle pour lui », a écrit l’une d’elles.
Une autre a dit : « Je vais dessiner un chat sur son visage et le faire rire de lui-même. ».
Puis, le chant a commencé. « Maman, chante-moi, même un mot… »
Les voix étaient timides au début, puis elles ont grandi, mêlées de rires et de larmes. Ce n’était pas une performance, mais un moment de libération intérieure. Chacune semblait chanter à son enfant intérieur, avant de chanter à ses enfants.
Ensuite, l’animatrice a distribué des petits carnets intitulés « Le carnet de mon enfant heureux » et a proposé aux mères d’y écrire une histoire courte ou un message à lire à leur enfant avant de dormir.
L’une a écrit : « Mon petit, si je ne peux pas t’acheter un jouet, je te construirai une maison avec des mots où nous pourrons nous réfugier ensemble. »
Une autre : « Je te porterai sur mon dos, je te fabriquerai des ailes en papier, et nous volerons au-dessus des tentes… en riant. »
Certaines ont lu leurs messages à voix haute. Les voix tremblaient, les yeux brillaient, mais un peu de lumière commençait à filtrer à l’intérieur.
Puis est venu l’exercice le plus touchant. L’animatrice a demandé à chaque mère d’écrire une phrase comme si son enfant s’adressait à elle, puis d’y répondre avec ses propres mots intérieurs.
Une femme a écrit :« Maman, pourquoi l’Aïd chez nous n’est pas comme chez les autres ? »
Elle a répondu :« Parce que mon cœur est ton Aïd, et je le remplirai pour toi, même s’il est vide de tout le reste. »
À la fin de la séance, les vœux des mères ont été suspendus à la « corde de l’espoir », décorée de fleurs en papier coloré. On y lisait :
« J’espère que mon fils fêtera le prochain Aïd dans sa maison. »
« J’espère qu’il n’aura plus jamais peur du bruit des avions. »
« J’espère le voir rire sans avoir honte. »
Des mots simples, mais qui contenaient des cœurs entiers.
L’animatrice s’est avancée à la fin de l’atelier, regardant dans les yeux les mères, une par une, dans un silence semblable à une prière. Il n’y avait pas grand-chose à dire, si ce n’est cette vérité devenue évidente : la joie n’est pas un luxe, ni un cadeau extérieur, mais une décision intérieure prise par une mère qui a choisi de créer la vie à partir des cendres.
« Je sais que vous êtes épuisées, accablées de pertes innombrables. Mais vos enfants n’ont pas besoin d’un Aïd parfait, seulement d’une mère qui croit que sa voix, sa caresse, son petit sourire… peuvent leur créer un monde sûr, ne serait-ce que pour un instant. Ne cherchez pas la joie dans les marchés, cherchez-la dans vos cœurs, et partagez-la avec eux, par tous les moyens. »
Puis elle a levé une petite feuille sur laquelle était écrit un vœu et a dit :
« Ce vœu est le vôtre, mais il nous appartient à toutes : J’aimerais que ma voix redevienne comme avant… chaleureuse, aimante, pas épuisée par les pleurs. »
Le silence a envahi la pièce, puis les larmes ont coulé doucement, comme si ce vœu exprimait ce que toutes ressentaient.
Avant de quitter le lieu, les femmes se sont levées, ont formé un cercle, se sont prises la main, et ont répété ensemble, cette fois sans gêne ni hésitation :
« Nous nous réjouirons malgré tout, et nous offrirons à nos enfants un Aïd… parce qu’ils méritent la joie, et parce que nous méritons de la créer. »
En quittant la séance, l’Aïd n’avait pas changé. Il n’y avait toujours pas de décorations sur les tentes. Mais quelque chose en elles s’était allégé. Certaines sont reparties avec un petit carnet, d’autres avec une boîte de crayons ou une fleur en papier portant le nom de leur enfant. Toutes sont parties avec une même pensée dans le cœur : peut-être que nous ne pourrons pas tout ramener comme avant, mais nous pouvons commencer par une chose simple : un rire, un jeu en papier, ou une étreinte qui dure longtemps.
Et dans le camp Al-Istiqqama, là où les mères avaient le plus besoin d’être prises dans les bras, elles ont appris qu’elles pouvaient être ce bras… pour leurs enfants, et pour elles-mêmes aussi. »
Photos et vidéos ICI.
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« Camp Al-Israa – Gaza ville : le même travail de soutien psychologique a eu lieu
L’Aïd : une occasion de joie et de renouveau intérieur
Cette année, l’Aïd n’était pas comme nous le connaissions. Dans le camp Al-Israa, il n’y avait ni décorations accrochées, ni rires perçant les fenêtres, ni gâteaux remplissant les assiettes. L’Aïd y ressemblait plus à une absence qu’à une fête. Les femmes étaient assises en cercle, silencieuses, leurs visages sans expression disaient pourtant tout. Leurs corps étaient présents, mais leurs âmes semblaient errer entre d’autres tentes, ou dans des maisons qui n’existent plus.
Nous sommes entrées à pas feutrés, portant dans nos mains de petits sacs qui ne contenaient rien de matériel, mais plutôt des papiers colorés, des crayons, des bougies symboliques, et une petite enceinte. Nous n’étions pas venues offrir quelque chose de concret, mais plutôt ouvrir une petite fenêtre, espérant qu’un peu d’air puisse atteindre des cœurs épuisés par les pertes successives.
L’animatrice a ouvert la séance doucement, pour ne pas heurter le silence :
« Je sais que cette année, l’Aïd n’est pas ce que vous aviez l’habitude de vivre. Je sais que certaines d’entre vous ne veulent même pas entendre ce mot. Mais aujourd’hui, nous n’allons pas célébrer comme avant. Nous allons simplement essayer de respirer, de retrouver une part de nous-mêmes, ne serait-ce que pour un instant. »
Les femmes ont fermé les yeux. L’animatrice a alors commencé une visualisation guidée :
« Imagine-toi dans ta maison d’avant, ouvrant les fenêtres le matin de l’Aïd, sentant l’odeur du café, entendant les chants religieux, enfilant une nouvelle robe. »
Les minutes ont passé, puis, quand elles ont rouvert les yeux, les larmes étaient là avant les mots. Des sourires légers sont apparus, comme si quelque chose venait de retrouver sa place.
L’animatrice a ensuite distribué de petites boîtes et demandé aux participantes d’y écrire un souvenir d’un Aïd passé — qu’il soit douloureux ou chaleureux —, de plier le papier, puis de le déposer dans la boîte.
« Je recevais mes invités avec un sourire et un café… aujourd’hui, je n’ai que le silence. »
« Je décorais la porte de la maison avec ma sœur… aujourd’hui, il n’y a même plus de porte. »
Ces petites boîtes sont devenues comme des boîtes aux lettres de douleurs différées, et elles se sont remplies en quelques minutes. Une bougie a ensuite été placée au centre du cercle, et l’on a demandé à chaque femme d’exprimer une pensée négative qui la hante, puis d’énoncer à voix haute son contraire.
Une femme a dit : « Je ne mérite pas la joie », puis a hésité avant de murmurer : « Je mérite la joie, parce que je suis encore en vie. »
Une autre : « L’Aïd a perdu tout son sens », « Mais j’ai décidé de le faire revivre en moi. »
Ces phrases semblaient simples, mais elles venaient d’un endroit profond, comme de petites clés rouillées qu’on utilise pour ouvrir de vieux verrous.
L’animatrice s’est alors mise à chanter une vieille chanson, d’une voix douce et grave :
« Ô Aïd, reviens, même de loin, rassemblons nos blessures, et racontons encore une fois… »
Peu à peu, d’autres voix se sont jointes à elle, et la pièce s’est remplie d’une mélodie douce, chargée d’émotion. Certaines femmes pleuraient en chantant, d’autres se sont mises à rire soudainement, comme si la chanson avait réveillé en elles une note qu’elles avaient oubliée.
Après cela, l’animatrice a distribué de petits papiers, en demandant à chaque femme d’écrire une lettre à elle-même. Une lettre tendre, bienveillante, comme si elle réconfortait l’enfant qu’elle porte encore en elle.
« Tu es forte, même si tu as pleuré, même si tu as eu peur, malgré tous ces décombres. »
« Je suis fière de toi, parce que tu continues à te lever chaque matin, malgré tout ce qui s’est passé.»
Les lettres n’ont pas été lues à haute voix, mais elles ont été gardées précieusement, comme des messages de survie glissés dans une bouteille flottant sur une mer agitée.
L’animatrice a ensuite posé la question : « Que signifie l’Aïd pour vous aujourd’hui ? »
« Avant, l’Aïd signifiait un grand rassemblement… maintenant, il représente un moment de calme que je m’accorde. »
« Je ne le vis plus comme avant, mais il est toujours là, dans mon cœur, dans ma mémoire, dans la voix de ma mère quand elle m’appelait pour que je mette mes habits de fête. »
Ce n’était pas un simple échange d’idées, mais un partage de douleurs, un soutien silencieux, où chacune complétait l’autre sans le savoir.
À la fin de la séance, un grand arbre a été dessiné sur une affiche, et de petites feuilles vertes ont été distribuées. On a demandé aux femmes d’écrire un vœu et de l’accrocher aux branches.
« Je souhaite célébrer le prochain Aïd chez moi. »
« Je souhaite rire de tout mon cœur, sans me sentir coupable. »
En quelques minutes, l’arbre s’est couvert de vœux, de petites feuilles légères mais pleines de vie, accrochées à une seule branche nommée Espoir.
L’animatrice s’est tenue au centre du cercle, a regardé les visages des femmes et a dit :
« Peut-être que rien n’a changé dehors, mais quelque chose en vous a bougé. Ne sous-estimez jamais la chaleur d’un seul instant dans le froid : elle peut suffire à réveiller la vie. »
Les femmes ont répondu en chœur, sans concertation, dans une voix proche de la prière :
« Nous nous réjouirons malgré tout, et nous célébrerons la vie… nous méritons l’Aïd. »
Lorsque nous avons quitté la séance, les visages n’étaient pas rayonnants de joie, mais ils n’étaient plus éteints comme avant.
Nous n’avions ni cadeau, ni promesse de retour proche à la maison, mais nous avions laissé derrière nous une petite fenêtre, par laquelle la lumière pouvait passer. Et peut-être… c’était cela, l’Aïd. »
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.