Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 562 / 29.10 – Sur la plage, des paysans attendent l’espérance"
Brigitte Challande, 30 octobre 2025.- Un texte d’Abu Amir le 29 octobre : l’espoir peut tarder, mais ne meurt jamais.
« Sur la plage, là où le bruit des vagues se mêle au gémissement du vent, où des tentes fragiles sont éparpillées comme des feuilles flétries sur le sable, vivent les paysans de l’est de Khan Younès, déplacés de leurs villages détruits et réfugiés dans la zone d’al-Mawasi, au bord de la mer. Ceux dont les âmes ont été arrachées à leur terre comme des arbres déracinés s’assoient en silence, un silence chargé de la douleur de l’attente. Leurs yeux voguent vers l’horizon lointain, cherchant leurs villages perdus, des maisons effondrées, des vergers fanés, et une terre qui continue de les appeler par leurs noms.

« Comment peut-on vivre ainsi ? La tente n’offre aucun abri, elle ne protège ni du froid ni de la chaleur. Nous gelons en hiver et brûlons en été ; et le monde reste là, impuissant ! Nous ne pardonnerons jamais.« , dit Sajeda, sur son compte X, où elle publie cette photo le 28 octobre 2025.
L’exil s’est abattu sur eux comme un destin lourd dont on ne peut s’échapper. La destruction les a chassés, la guerre les a conduits des champs verdoyants vers le froid des tentes, de la chaleur des foyers vers la nudité de la mer, du tumulte de la vie vers le silence de la perte. Aujourd’hui, ils vivent entre un sable brûlant le jour et un froid qui mord les os la nuit. Ils se partagent les miettes d’un abri, une gorgée d’eau, un morceau de pain sec que se disputent des mains tremblantes. À chaque souffle de vent, les toiles des tentes frémissent comme si elles gémissaient de douleur, leur rappelant qu’ils sont prisonniers d’un temps qui ne passe ni ne revient.
Les enfants courent pieds nus sur le sable, rient d’une innocence poignante qui ne ressemble pas à la joie. Ils jettent des pierres dans la mer comme s’ils y lançaient leurs rêves pour les noyer. Les femmes tentent de cacher leur tristesse derrière des sourires pâles forgés par la maternité plus que par l’espoir, tandis que les hommes, épuisés, fixent la mer d’un regard noyé de douleur, comme s’ils y voyaient le reflet de leurs villages lointains et de leurs maisons jadis gardées par les oliviers.
Ils étaient des cultivateurs qui connaissaient la terre comme on connaît le visage d’une mère. Ils touchaient le sol du bout des doigts comme on prie, l’arrosaient de leur sueur et voyaient dans chaque épi une promesse de vie. Aujourd’hui, ils s’assoient sur un sable stérile qui ne fait pousser que l’exil. Ils attendaient la fin de la guerre pour retourner chez eux, dans leurs champs qui étaient pour eux un pays et un refuge. Mais l’attente s’est prolongée, et le destin a refusé de les épargner. Ils comptent les jours comme des registres de patience, et chaque nouvelle attente ronge davantage leur cœur, jusqu’à ce que leurs rêves deviennent plus lourds que leurs corps épuisés.
À chaque aube, ils lèvent les yeux vers l’est, espérant apercevoir la fumée d’un retrait, ou entendre un murmure annonçant que l’occupation est partie. Mais le ciel reste silencieux, et la mer ne répond pas. Au fil des jours, les souvenirs s’infiltrent dans leurs tentes comme un invité qu’on ne peut refuser. Ils en parlent à voix basse : des maisons d’où s’exhalait l’odeur du pain, des champs qui souriaient à leur passage, des puits qui apaisaient leur soif, des mariages jadis célébrés au rythme des tambours avant que la joie ne soit ensevelie sous les décombres.
Certains gardent encore la clé de leur maison dans leur poche, la touchant chaque soir avant de dormir comme un trésor ; d’autres conservent une poignée de terre de leur champ, qu’ils humectent de leurs larmes quand la nostalgie devient trop forte.
Là-bas, à al-Mawasi de Khan Younès, le temps n’est plus comme nous le connaissons : il ne s’écoule pas, il tourne sur lui-même comme un vent perdu. Le jour se fond dans la nuit, la nuit dans le jour, et rien ne change, si ce n’est la profondeur de la douleur dans les yeux. Les tentes sont devenues des symboles d’attente, et les paysans des témoins d’une injustice insupportable. Ils vivent sans électricité, sans eau potable, sans médicaments, sans terre à cultiver ni maison pour s’abriter. Mais ils sont encore vivants — vivants de nostalgie, de rêve, et d’une ténacité muette qui croit encore que ce qui a été perdu reviendra.
La nuit, quand la lune s’éteint, s’élèvent des tentes des voix de prière montant vers le ciel comme un encens de douleur. Ils demandent à Dieu de leur accorder un retour proche, de leur permettre de semer à nouveau, de toucher la terre qu’ils ont tant aimée, d’entendre les rires de leurs enfants dans les ruelles d’autrefois.
Certains pleurent en silence, d’autres rient au bord de l’effondrement, ayant compris que le rire et les larmes ne sont que les deux visages d’un même chagrin.
Dans les camps, les gens apprennent à vivre avec le minimum, à recoller les morceaux de l’espérance avec des mains trouées par le besoin. Ils plantent dans des boîtes rouillées des graines de menthe et de persil, comme pour défier la mort par la vie. Ils renforcent les tentes quand le vent souffle, se soutiennent les uns les autres quand l’angoisse les étreint, car ils n’ont pour arme que la solidarité.
Les enfants rêvent de grandir dans des villages qu’ils n’ont jamais vus, les femmes rêvent de pain cuit dans des fours d’argile anciens, et les hommes rêvent de leur terre rendue, même réduite en cendres — car la terre, pour eux, n’est pas une possession mais un lien, non pas une frontière mais une mémoire.
Au fil des jours, leurs corps s’usent comme les tentes rongées par le vent, mais leurs âmes demeurent accrochées comme des racines profondément ancrées dans la nostalgie. Ils ont entendu beaucoup de promesses de retour, mais les promesses ne se mangent pas et ne désaltèrent pas ; l’attente les dévore comme la mer engloutit les cris des noyés. Et pourtant, chaque matin, ils se lèvent, ramassent ce qu’il leur reste de courage, affrontent la vie comme on affronte une tempête avec une simple palme de dattier. Ils savent que l’espoir peut tarder, mais ne meurt jamais.

Malgré la douleur et la destruction, les Palestiniens de Gaza tentent de reconstruire. Dans le camp d’Al-Maghazi, les habitants ont lancé une initiative pour décorer l’entrée du camp, semant l’espoir au milieu des ruines. Capture d’écran de la VIDEO de Suppressed News, sur X, le 18 octobre 2025.
Sur leurs visages, les rides se mêlent aux traces du soleil et du froid ; chaque ligne raconte un jour de patience, chaque regard dit ce que les mots ne peuvent exprimer.
Quand le soleil se couche derrière la mer, ils se lèvent pour prier, alignés sur le sable, leurs visages tournés vers la qibla, mais leurs cœurs, eux, vers l’est — vers leur terre, vers leurs villages qui les attendent encore.
Certains, dans leurs rêves, voient des maisons rebâties, des champs redevenus verts, des routes repavées. Ils s’éveillent alors avec une larme brûlante, un sourire pâle, comme si le rêve était une promesse divine : si longue que soit la nuit, l’aube viendra.
Ce sont des visages de chair et de sang qui saignent en silence, portant dans leurs traits la douleur de la terre et racontant des histoires que nul n’écoute.
Leurs cœurs battent encore de nostalgie, leurs âmes s’accrochent à un fil fragile d’espérance qui brille dans l’obscurité et refuse de se rompre.
Dans leurs tentes déchirées cohabitent la tragédie et la dignité, la tristesse et la patience, la perte et l’espérance. Chaque souffle de mer qui les effleure murmure que la terre n’oublie jamais ses enfants et que le sol connaît le chemin du retour vers ses propriétaires.
Même si l’horizon semble lointain, ils sont convaincus qu’aucune nuit, si longue soit-elle, ne résiste au premier fil de lumière, et que le soleil, qui se couche aujourd’hui sur leurs villages, se lèvera demain sur eux à nouveau — comme s’il revenait leur présenter ses excuses pour une trop longue absence. »

La mosquée Al-Shafi’i dans le quartier Al-Zaytoun à Gaza est devenue un abri pour les familles déplacées dans l’est de Gaza, après qu’elles soient retournées pour trouver leurs maisons réduites en décombres et inhabitable. Plus de 1.200 mosquées à travers la bande de Gaza ont été détruites par Israël. Par @anas.fteiha. Capture d’écran de la VIDEO de Eyes on Palestine, sur Instagram, le 23 octobre 2025.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix. *Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance. Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546 : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie 552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre.
* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) * Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392) * Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing