Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 438 / 18 juin – Mourir de faim ou être tué : famine et pièges des « centres d’aide »

Brigitte Challande, 18 juin 2025.– Tous les jours à la radio, on entend dans les flashs d’information, « encore des morts et de blessé.e.s lors d’une distribution alimentaire à Gaza »… cela passe banalement, terriblement, sans réaction, comme une habitude mortelle ! Le 18 juin, Abu Amir raconte…

17 juin au matin : retour d’un « centre de distribution d’aide ».

« Sous le poids des bombardements incessants et d’une destruction qui n’a épargné aucun coin de Gaza, la population vit une catastrophe humanitaire sans précédent. Les maisons ne protègent plus, les rues ne sont pas sûres, et les hôpitaux ne peuvent plus accueillir les blessés. Dans ce tableau sombre, les habitants ne redoutent pas seulement la mort par les bombes, mais aussi l’ombre grandissante de la famine, au point que se procurer une bouchée devient une bataille en soi. Les enfants cherchent les miettes de pain, les mères apaisent la faim de leurs petits avec de l’eau, et les familles font de longues files d’attente, espérant qu’un camion d’aide arrive pour leur permettre d’emporter ne serait-ce que très peu de quoi nourrir leurs enfants.

La vie à Gaza s’est transformée en lutte quotidienne, mêlant la peur de la mort au cri du ventre, et l’espoir s’y dissout peu à peu, tandis que le monde demeure dans un silence assourdissant, comme si ce qui se passe là-bas ne nécessitait qu’un regard en passant.

La crise humanitaire à Gaza : une famine inédite

Depuis le début de la guerre récente à Gaza, plus de deux millions de personnes vivent dans des conditions humanitaires catastrophiques. Le blocus draconien, les bombardements incessants et la destruction des infrastructures ont tous contribué à propager la faim jusqu’à une famine généralisée. Aujourd’hui, la majorité des habitants souffrent d’insécurité alimentaire, et se procurer de quoi manger est devenu un luxe inaccessible pour beaucoup. Les mères protègent leurs enfants dans des tentes ou des bâtiments détruits, incapables de leur fournir du lait, ou même de l’eau potable, tandis que leur charge mentale et physique ne cesse de croître. Les enfants, qui devraient être à l’abri et protégés, sont les plus affectés : leur santé décline brutalement à cause de la malnutrition sévère et du manque de soins médicaux. La rareté des biens essentiels se reflète sur leurs visages émaciés et leurs corps fragilisés. Des organisations humanitaires internationales ont alerté que Gaza est confrontée à l’une des pires crises alimentaires de notre époque, où des enfants meurent chaque jour de malnutrition grave et de pénurie de médicaments, pendant que les hôpitaux ne peuvent offrir que les soins les plus élémentaires.

Face à cette persistance de la crise, la vie dans le territoire s’apparente de plus en plus à une catastrophe ouverte, mêlant souffrance quotidienne et peur constante de la mort, avec des familles prises entre le silence du monde et l’absence de solutions.

Les « centres de distribution d’aide » transformés en pièges mortels.

Des centres « d’aide » qui se sont mués en pièges mortels

Au cœur de cette tragédie humanitaire, l’occupation israélienne a mis en place des soi-disant « centres de distribution d’aide », gérés par des sociétés de sécurité américaines, sous prétexte de fournir de la nourriture aux civils assiégés et d’éviter qu’elle n’atteigne le Hamas. Mais ces centres ne sont en réalité qu’une façade terriblement mortelle,transformant l’aide en un piège.

Érigés dans des zones ouvertes et dangereuses, loin des habitations, ils sont volontairement exposés, sous contrôle permanent de drones israéliens, entourés de tireurs embusqués et d’engins militaires. Dès que les civils, affamés et épuisés par les bombardements, s’en approchent, un nouveau drame commence : ils sont visés directement par des tirs à balles réelles ou des explosions sous prétexte de « prévenir la pagaille » ou « gérer une menace sécuritaire ».

Ces attaques constantes ne sont pas de simples incidents isolés, mais une politique organisée, documentée par des organisations de défense des droits humains et des rapports journalistiques indépendants, rapportant des témoignages poignants de centaines de victimes tombées collectivement alors qu’elles tentaient de recevoir des secours. Ce qui aurait dû apaiser la souffrance est devenu un théâtre monstrueux de carnage collectif. Des centaines de personnes ont été tuées et des milliers blessées, ne disposant parfois que de sacs ou de récipients vides, espérant seulement emporter un peu de farine ou quelques denrées pour échapper à la faim. Tandis qu’Israël présente ces centres comme des « efforts humanitaires coordonnés », la réalité révèle l’exploitation politique et sécuritaire de l’aide, transformée en outil de pression et en arme létale dans une guerre qui détruit tout, indistinctement des civils, des combattants, des requérants de nourriture ou des victimes innocentes.

 » (…) visés directement par des tirs à balles réelles ou des explosions sous prétexte de « prévenir la pagaille » ou « gérer une menace sécuritaire » »

L’aide humanitaire détournée à des fins politiques et sécuritaires

Malgré la large promotion médiatique entourant ces centres « humanitaires », les véritables objectifs dépassent largement la simple distribution de nourriture ou le soulagement de la souffrance. Ces centres, gérés par l’occupation israélienne sous couvert de bienveillance, deviennent un instrument de guerre et de contrôle sur la population. La famine est ainsi utilisée pour soumettre, tandis que l’aide est transformée en arme politique et sécuritaire.

Parmi les objectifs clairement affichés :

1. Déformer l’image de la résistance palestinienne, en laissant penser que le chaos et la souffrance à Gaza résultent d’un désordre interne, plutôt que d’un siège et d’un bombardement continus.

2. Réorganiser le tissu social local, en semant la tension et les conflits entre les civils affamés se disputant des ressources rares, brisant la cohésion communautaire.

3. Exploiter un potentiel de renseignement, via des caméras et des drones observant les mouvements, collectant des données sur les rassemblements, exploitées pour des fins militaires et sécuritaires.

4. Pratiquer une guerre psychologique, en obligeant les gens à choisir entre la mort lente de la faim ou le risque immédiat d’être tué pour chercher un peu de farine ou de sucre. L’aide humanitaire, au lieu d’être un droit inaliénable, devient une épreuve cruelle imposée comme un test de survie.

Victimes quotidiennes, aucune responsabilité

Ces centres de distribution, conçus pour apporter nourriture et secours, se sont transformés en pièges mortels où tombent chaque jour des dizaines de civils désarmés, sans que le monde ne réagisse, ni n’agisse avec force. Ce qu’on appelle des espaces de secours sont devenus des scènes de crime quotidiennes.

Hier à Khan Younès, 51 civils ont été tués et plus de 200 blessés après des tirs directs sur un centre ; un autre, à Netzarim, a vu un mort et plus de 50 blessés. Ces chiffres dramatiques ne sont pas isolés, mais reflètent une réalité persistante, marquée par la mort et les blessures de dizaines d’autres, sans qu’aucune réponse internationale significative ne suive. Ce qui aurait dû être un havre de sécurité pour les affamés est devenu un symbole de souffrance et une scène de massacres quotidiens.

Le massacre du camion de farine

Un événement atroce reste gravé dans les mémoires : le massacre du camion de farine, survenu le 29 février 2024, près de la rue Al-Rashid à Gaza. Ce jour-là, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur des milliers de civils rassemblés pour espérer obtenir des sacs de farine. Plus de 110 personnes ont été tuées et des centaines blessées, lors de ce qui reste l’une des pires atrocités commises depuis le début du conflit. Ce n’était pas un champ de bataille : il s’agissait d’une foule affamée et épuisée, sans arme, venus dans l’espoir humble de survivre. Malgré la clarté des faits, les récits des survivants, et une couverture médiatique large, aucune enquête sérieuse n’a été lancée, et aucun responsable n’a eu à rendre compte. Des expressions creuses comme « profonde préoccupation » et « appels à la retenue » ont succédé à ces morts, tandis que le sang des innocents continue de couler, dans un silence trop souvent complice.

Quand la conscience internationale se lèvera-t-elle ?

Jusqu’à quand serons-nous témoins du silence ? Ce cri résonne dans chaque recoin d’une bande de Gaza brisée, où ne résonnent plus que les bombardements, les gémissements des affamés, le cri des mères au-dessus des corps de leurs enfants. Gaza ne demande pas seulement des largages de vivres depuis les airs, mais une réelle prise de position morale de la communauté internationale, une « éveil de conscience » qui redonne vie aux valeurs humanitaires dont se gargarisent États et organisations. Continuer à utiliser la faim comme arme collective, à transformer les centres d’aide en embuscades meurtrières, n’est pas un simple échec moral : c’est un crime en règle, perpétré en plein jour, sans honte ni frein.

Chaque jour, chaque victime amplifie la question : combien faudra-t-il d’autres vies sacrifiées avant que l’humanité ne soit contrainte de regarder en face la vérité ? Ce qui se déroule à Gaza n’est pas une crise passagère, mais un test cruel et révélateur de notre humanité collective, un miroir sans concession sur le fossé entre principes affichés et actes réels, et un défi lancé à toutes les institutions – États, ONG, citoyens – pour mesurer leur capacité à ne pas détourner le regard. »

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« Nous avons documenté le voyage de la farine, mais cela ressemblait davantage à un voyage vers la mort. » Les journalistes Abed Sabbah et Mohammed Ahmed ont suivi les Palestiniens qui tentaient de se procurer de la farine. Courir sous les tirs, se cacher derrière les décombres, des dizaines de blessés et la dignité écrasée sous les roues des camions. Tel est le prix que paient les Palestiniens pour obtenir un sac de farine dans un système de distribution conçu pour dégrader, et non pour livrer. VOIR LA VIDEO ICI.

Source : j_mohamed_ahmed abd.sabbah


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)

Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai. Partie 395 : 11 mai (1). Partie 396 : 12 mai. Partie 397 : 13 mai. Partie 398 : 14 mai. Partie 399 : 15 mai. Partie 400 : 16 mai. Partie 401 : 16 mai (1). Partie 402 : 17 mai. Partie 403 : 18 mai. Partie 404 : 18 mai (1). Partie 405 : 20 mai. Partie 406 : 21 mai. Partie 407 : 22 mai. Partie 408 : 22 mai (1). Partie 409 : 23 mai. Partie 410 : 24 mai. Partie 411 : 25 mai. Partie 412 : 25 mai (1). Partie 413 : 27 mai. Partie 414 : 27 mai (1). Partie 415 : 28 mai. Partie 416 : 29 mai. Partie 417 : 30 mai. Partie 418 : 1er juin. Partie 419 : 1er juin (1). Partie 420 : 31 mai et 2 juin. Partie 421 : 2 juin (1). Partie 422 : 3 juin. Partie 423 : 4 juin. Partie 424 : 5 juin. Partie 425 : 6 juin. Partie 426 : 6 juin (1). Partie 427 : 7 juin. Partie 428 : 8 juin. Partie 429 : 9 juin. Partie 430 : 10 juin. Partie 431 : 11 juin. Partie 432 : 12 juin. Partie 433 : 13 juin. Partie 434 : 14 juin. Partie 435 : 15 juin. Partie 436 : 16 juin. Partie 437 : 17 juin.

Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing