Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 437 / 17 juin – L’enjeu du journalisme !

Brigitte Challande, 18 juin 2025. Le 17 juin, Abu Amir nous adresse ce texte de réflexion : journaliste à Gaza, entre devoir de couverture et danger d’être pris pour cible. La presse locale à Gaza n’est plus un simple outil de transmission d’informations, elle est devenue la première ligne de défense de la vérité face à la machine de guerre.

« Au cœur de la destruction et de la souffrance que connaît la bande de Gaza, le rôle des journalistes locaux émerge comme celui de témoins de la vérité et de porte-voix des victimes. Ces journalistes opèrent dans des conditions de terrain extrêmement dangereuses, évoluant parmi les décombres et sous les bombardements, sans équipement de protection adéquat ni moyens de sécurité personnelle. Pourtant, ils poursuivent leur mission avec intégrité et courage, portés par un profond sens des responsabilités nationales et professionnelles. Cette mission, centrée sur la documentation des crimes et des violations ainsi que sur la transmission fidèle de la réalité, les transforme bien souvent en cibles directes, surtout face à l’étouffement médiatique délibéré imposé à Gaza. Avec la répétition des agressions israéliennes, le ciblage des journalistes est devenu un phénomène récurrent, transformant l’exercice du journalisme à Gaza en un acte potentiellement mortel.

La presse locale constitue l’épine dorsale du paysage médiatique dans la bande de Gaza, surtout en l’absence d’accès pour les médias étrangers. Elle représente la source première et principale d’information, les journalistes locaux documentant chaque instant de la souffrance quotidienne, diffusant les images de destruction et les tragédies au reste du monde. Ils ne se contentent pas de rapports urgents, mais racontent aussi des histoires humaines reflétant la douleur des habitants, documentant des crimes de guerre qui, sans leurs caméras et leurs stylos, resteraient dans l’ombre. Avec peu de moyens techniques, ils affrontent d’immenses défis, mais continuent à couvrir les événements malgré les attaques, les coupures d’électricité et d’Internet, devenant les yeux du monde sur Gaza et l’espoir des victimes que leur récit soit entendu.

Depuis le début de l’agression du 7 octobre 2023, Israël a imposé des restrictions sévères à l’entrée des journalistes étrangers dans la bande de Gaza, isolant ainsi le territoire des regards du monde. Cette décision a empêché toute couverture indépendante par les médias internationaux, suscitant des accusations selon lesquelles Israël chercherait à dissimuler les violations commises dans le territoire. Cette mesure constitue une atteinte à la liberté du travail journalistique et une restriction délibérée à la circulation de l’information. En dépit des appels internationaux, l’interdiction persiste, laissant aux seuls journalistes locaux la charge de faire entendre la voix de Gaza, alors même qu’ils sont ciblés physiquement et psychologiquement.

Les journalistes à Gaza ne font pas seulement face aux dangers généraux des bombardements, ils deviennent souvent des cibles directes. Des organisations de défense des droits de l’homme ont documenté des attaques délibérées contre des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions, même lorsqu’ils portaient des gilets clairement marqués « Presse ». Certains ont été tués devant la caméra, d’autres ont perdu des membres, et leurs bureaux ont été totalement détruits. Ces cas révèlent que le journalisme à Gaza n’est plus seulement une profession à haut risque, mais une menace à éliminer, notamment lorsqu’il dévoile les crimes commis contre les civils. Faute d’équipement de protection et de réponse internationale adéquate, le journaliste gazaoui se retrouve seul face à une machine militaire sophistiquée.

Le ciblage des journalistes à Gaza ne peut être réduit à de simples « dommages collatéraux » : dans bien des cas, il est intentionnel, avec des dimensions politiques et sécuritaires. Il vise à faire taire le récit palestinien qui révèle l’ampleur des souffrances et des violations, à briser le moral de la population gazaouie, à effacer des preuves qui pourraient condamner l’occupation devant les tribunaux internationaux, et à dissuader la couverture sur le terrain en créant un vide médiatique favorable à la dissimulation des crimes.

Ce ciblage constitue une violation flagrante du droit international humanitaire, en particulier des Conventions de Genève qui stipulent la protection des civils et des professionnels des médias en temps de conflit armé. Il contrevient également à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, garantissant la liberté d’expression et d’accès à l’information. Malgré la clarté de ces violations, la communauté internationale reste largement silencieuse ou se contente de déclarations timides, sans mesures concrètes pour punir les responsables ou stopper les crimes. Ce silence honteux favorise l’impunité et peut être interprété comme un feu vert pour de nouvelles attaques contre la liberté de la presse, ce qui constitue une menace mondiale pour la profession, et pas seulement à Gaza.

Depuis le début de l’agression israélienne le 7 octobre 2023, au moins 226 journalistes ont été tués par l’armée israélienne, selon le Bureau d’information gouvernemental de Gaza. Ce chiffre est sans précédent dans l’histoire des conflits modernes, faisant de Gaza l’endroit le plus dangereux au monde pour les journalistes aujourd’hui. Parmi les victimes figurent des reporters de terrain, des photographes et des rédacteurs, certains ayant été ciblés pendant des directs ou en couvrant des événements purement humanitaires comme les bombardements sur les hôpitaux ou les centres d’accueil.

Ahmed Mansour, père de famille et journaliste pour Palestine Today, brûlé vif lorsqu’un missile israélien a frappé la tente des journalistes installée près de l’hôpital Nasser de Khan Younis à Gaza, le 7 avril 2025.

Le ciblage ne se limite pas aux assassinats : il inclut aussi les arrestations arbitraires, la torture, les interdictions de couvrir ou de voyager. Des organisations de défense des droits ont documenté l’arrestation de 49 journalistes palestiniens dans les prisons israéliennes, certains subissant des interrogatoires violents, l’isolement prolongé, et la privation de soins médicaux, en violation flagrante des normes juridiques internationales.

Malgré la gravité de ces violations, les réactions internationales ne dépassent guère de faibles condamnations. Des organisations comme Reporters sans frontières ou le Comité pour la protection des journalistes ont déposé des plaintes auprès de la Cour pénale internationale, sans aboutir à des résultats tangibles. Les syndicats de journalistes ont lancé de vastes campagnes de solidarité, mais le silence politique des grandes puissances reste dominant, rendant la protection des journalistes presque illusoire.

Dans ce contexte, les journalistes palestiniens se sont imposés comme les figures principales de la couverture, non seulement comme rapporteurs, mais aussi comme formateurs d’opinion publique mondiale. Leurs reportages et images ont enflammé des mobilisations populaires dans le monde entier, où des millions de personnes sont descendues dans la rue en solidarité avec Gaza et en colère face aux massacres. Sans ces caméras courageuses, ces crimes seraient peut-être restés dans l’ombre, invisibles à l’œil et à la conscience du monde.

La presse locale à Gaza n’est plus un simple outil de transmission d’informations, elle est devenue la première ligne de défense de la vérité face à la machine de guerre. Ces journalistes paient de leur vie le prix de la vérité, livrant une bataille de caméras face aux bombes. Face à l’absence de protection internationale, il revient à la communauté internationale et aux institutions dédiées à la liberté de la presse d’agir. La solidarité seule ne suffit pas ; des mesures juridiques concrètes et des mécanismes efficaces de reddition de comptes sont urgemment nécessaires pour que le prix de la vérité ne soit plus le sang.

Au milieu de ce paysage de sacrifice et de danger, notre devoir moral et humain est de parler d’eux, ces journalistes qui n’ont rien demandé d’autre que de faire entendre la vérité. Il faut nommer leurs noms, raconter leurs histoires, écrire ne serait-ce que quelques lignes pour leur rendre justice, justice que la machine de guerre israélienne a tenté de leur arracher. Non pas par pure tristesse, mais par reconnaissance, par devoir de mémoire, et pour que leur souvenir demeure vivant dans nos cœurs et dans la conscience du monde. Car ceux qui donnent une voix aux victimes ne doivent pas devenir, eux aussi, des victimes oubliées. »


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)

Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai. Partie 395 : 11 mai (1). Partie 396 : 12 mai. Partie 397 : 13 mai. Partie 398 : 14 mai. Partie 399 : 15 mai. Partie 400 : 16 mai. Partie 401 : 16 mai (1). Partie 402 : 17 mai. Partie 403 : 18 mai. Partie 404 : 18 mai (1). Partie 405 : 20 mai. Partie 406 : 21 mai. Partie 407 : 22 mai. Partie 408 : 22 mai (1). Partie 409 : 23 mai. Partie 410 : 24 mai. Partie 411 : 25 mai. Partie 412 : 25 mai (1). Partie 413 : 27 mai. Partie 414 : 27 mai (1). Partie 415 : 28 mai. Partie 416 : 29 mai. Partie 417 : 30 mai. Partie 418 : 1er juin. Partie 419 : 1er juin (1). Partie 420 : 31 mai et 2 juin. Partie 421 : 2 juin (1). Partie 422 : 3 juin. Partie 423 : 4 juin. Partie 424 : 5 juin. Partie 425 : 6 juin. Partie 426 : 6 juin (1). Partie 427 : 7 juin. Partie 428 : 8 juin. Partie 429 : 9 juin. Partie 430 : 10 juin. Partie 431 : 11 juin. Partie 432 : 12 juin. Partie 433 : 13 juin. Partie 434 : 14 juin. Partie 435 : 15 juin. Partie 436 : 16 juin.

Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing