Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 407 / 22 mai – Gaza : le cadavre géopolitique sur lequel s’affrontent les grandes puissances"
Brigitte Challande, 22 mai 2025. Abu Amir envoie aujourd’hui un texte de réflexion géopolitique sur l’enjeu que représente Gaza entre les ambitions internationales et le silence du monde.
« Alors que les bombes pleuvent sur les civils à Gaza et que des flammes s’élèvent de chaque quartier et rue, une autre scène se joue en coulisses, totalement différente. Gaza n’est plus seulement un champ de bataille entre une résistance palestinienne et une armée d’occupation israélienne. Elle est devenue le nœud central à travers lequel se redessine la carte du Moyen-Orient, voire du monde. Elle s’est transformée en un cadavre géopolitique sur lequel se disputent les grandes puissances.
La ville, ravagée jour et nuit par les flammes, n’est plus seulement une zone assiégée, mais un échiquier où les pions de la politique internationale se déplacent, de Washington à Tel-Aviv, de Pékin à Riyad. Tandis que les enfants meurent sous les décombres, un conflit discret se joue en arrière-plan entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou. Une lutte douce pour s’emparer des clés de Gaza – non pas par amour pour elle ou pour son peuple, mais par convoitise de sa position stratégique et de ses ressources gazières. Gaza est un point de jonction entre l’Asie et l’Europe via la Méditerranée.
Trump voit Gaza comme une porte d’entrée pour étendre l’influence américaine à travers un port construit sur les ruines de la ville, en lien avec le projet du « nouveau corridor économique » destiné à relier l’Inde au Golfe, puis à l’Europe. De son côté, Netanyahou refuse tout partage du contrôle et vise une victoire militaire totale qui lui permettrait d’imposer de nouveaux faits accomplis, faisant de Gaza une extension sécuritaire et un couloir économique exclusivement israélien.
Bien que leurs méthodes diffèrent, les deux hommes partagent la même vision : le gaz au large de Gaza est un trésor, et le port envisagé ne sert pas à l’aide humanitaire, mais à contrôler les routes commerciales mondiales. La destruction totale de Gaza n’est pas hasardeuse, mais bien une étape pour la reconstruire en tant que zone économique, et non plus comme territoire palestinien.
Dans ce contexte, Gaza devient un projet stratégique dépassant les calculs locaux. Les ports israéliens ne suffisent pas aux ambitions américaines, et la distance entre le désert du Néguev et Gaza est plus courte et moins coûteuse, ce qui en fait l’endroit idéal pour un port moderne au service des intérêts américains, tout en empêchant l’expansion de la Chine. En effet, les plans dessinés en coulisses envisagent une reconstruction de la ville selon une « architecture commerciale », avec déplacement d’une partie de la population et utilisation de ceux qui restent comme main-d’œuvre bon marché pour ce nouveau projet, le tout emballé dans un discours humanitaire.
Washington, qui vise l’hégémonie, ne souhaite pas une occupation directe, veut imposer une administration civile à visage humain, mais aux fins sécuritaires et commerciales, pour se présenter comme le sauveur de Gaza et désamorcer l’obstacle qui freine la normalisation avec l’Arabie saoudite. Ainsi, les événements du 7 octobre ne sont pas simplement une surprise militaire, mais l’étincelle nécessaire pour démanteler l’ordre ancien et lancer une phase de déplacement, de normalisation et d’ingénierie démographique, via des bombardements ciblés justifiant un changement de gouvernance et facilitant l’établissement du port et du nouveau corridor économique.
Cependant, l’Égypte s’est opposée au déplacement massif de population, refusant d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés, ce qui a temporairement bloqué la mise en œuvre du grand scénario, en attendant une sortie politique ou une pression internationale.
Pendant que ces projets sont dessinés par satellite, le dragon chinois observe en silence. Pékin, avec son projet « La Ceinture et la Route », cherche depuis des années à étendre son influence en Méditerranée, et voit en Gaza un point d’appui idéal. Si le projet de port voit le jour, il concurrencera les ports européens et deviendra une clé maritime reliant la route de la soie aux marchés africains et européens. C’est pourquoi Washington se précipite pour consolider son influence avant que la Chine ne s’installe.
Dans cette équation globale, Gaza est privée de reconstruction réelle, et les massacres sont utilisés comme levier pour imposer des réalités économiques et sécuritaires, sous couvert d’ »aide humanitaire », alors que les écoles et les tentes sont bombardées en plein jour.
Alors que la bataille est menée militairement par Israël, Washington vise le prix ultime : un port sur les ruines d’une ville, et un corridor économique bloquant l’expansion chinoise et accélérant la normalisation entre le Golfe et Israël. Israël, de son côté, voit dans le projet américain une tentative d’instaurer une double hégémonie, ce qui pousse Netanyahou à rechercher une victoire totale, car la mise en place d’une administration internationale signifierait son exclusion des bénéfices.
La Chine, quant à elle, sait que perdre Gaza au profit de l’Amérique, c’est perdre un maillon stratégique en Méditerranée.
En fin de compte, Gaza est bombardée non seulement parce qu’elle est un bastion de résistance, mais parce qu’elle est devenue le centre à partir duquel se redessinent l’avenir du commerce, du pouvoir et des alliances. Elle n’est plus seulement un symbole de tragédie, mais une porte du nouveau Moyen-Orient. Celui qui en détient les clés détiendra l’avenir de la Méditerranée et imposera les équilibres du monde à venir.
Dans cette lutte effrénée entre grandes puissances, sur le sable brûlant de Gaza, l’être humain palestinien reste la victime silencieuse. Un peuple épuisé par la guerre, qui a perdu ses maisons et ses proches, écrasé sous les décombres d’une ville détruite au nom de la « sécurité », de la « paix » et de la « reconstruction », tandis que personne ne se soucie de ses souffrances. Pas de médicaments, pas de nourriture, pas d’abri, pas d’espoir. Des mères s’endorment le ventre vide, des enfants se réveillent au son des explosions, et des familles vivent dans des ruines, cherchant à se protéger de la mort avec la mort.
Mais pire que les bombardements et la famine, c’est le fait que ce peuple se retrouve piégé dans un conflit international auquel il ne prend aucune part. Un conflit entre Trump et Netanyahou pour savoir qui détiendra les clés de la reconstruction ; entre l’Amérique et la Chine pour dominer la Méditerranée ; entre Israël et le monde pour décider du sort de Gaza. La terre est détruite, les gens déplacés, et dans les négociations, on ne mentionne pas les noms des victimes, seulement ceux des projets, des corridors et des sources de gaz.
Aujourd’hui, Gaza n’est pas seulement un champ de bataille, mais un témoignage vivant de la décadence du système international, où l’avenir d’une ville est vendu contre une alliance, et un peuple effacé pour tracer une route commerciale. Et dans ce tableau cruel, personne ne pose la question :
Qui rendra leurs écoles aux enfants ?
Qui soignera les malades ?
Qui nourrira les affamés ?
La réponse douloureuse est : personne. Car quand les puissants se disputent les territoires, ce sont les petits qui sont enterrés en silence, et les contrats de demain s’écrivent sur leurs cadavres. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.