Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 360 / 9 avril – Comment raconter Gaza ?"
Brigitte Challande, 10 avril 2025.- C’est le coeur du texte qu’ Abu Amir nous a envoyé ce 9 avril : Gaza, une terre où coulent les larmes et le sang.

Les 8 enfants qui ont été massacrés hier 9 avril, par une frappe de l’armée génocidaire d’occupation sur un immeuble du quartier Al-Shuja’iya, à l’est de Gaza-ville.
« À Gaza, les yeux ne ferment pas, non pas parce que la nuit est belle, mais parce que les bombardements ne cessent jamais. Dans ce petit morceau de terre assiégé par le feu, la faim et la peur, la vie ne ressemble plus à rien de ce que le monde connaît. À Gaza, la journée commence par une explosion et se termine par l’enterrement de corps. Ses détails sont des récits de douleur et d’oppression que le cœur humain ne peut supporter.
Dans les ruelles des camps de fortune, sous les toits en plastique qui ne protègent ni du chaud ni du froid, les femmes pleurent en silence, et les mères endeuillées gémissent devant les corps de leurs enfants déchiquetés par les missiles. Chaque jour, Gaza perd davantage de ses enfants, mais ce qui est plus cruel que la mort, c’est cette impuissance brutale : voir son enfant saigner devant soi sans même avoir une compresse à lui offrir. Voir son petit se tordre de faim et de froid, et souhaiter être soi-même un morceau de pain ou une couverture pour le soulager.
Les enfants de Gaza ne sont plus des enfants. Ils n’ont plus le temps de dessiner, de rire ou de jouer. Leurs visages portent les rides des grands, et leurs yeux tracent la carte du chagrin. Beaucoup ont perdu la capacité de parler, et d’autres encore se mettent à parler seuls à haute voix, comme s’ils demandaient : « Que nous arrive-t-il ? Sommes-nous vivants ou dans un cauchemar sans fin ? »
Quant aux hommes, leurs traits se sont flétris, la défaite habite désormais leurs regards. Beaucoup ne peuvent même plus pleurer, mais les larmes coulent malgré tout lorsqu’ils voient leurs enfants être extraits des décombres, ou portés aux hôpitaux sans membres. Combien de pères ont enterré leurs enfants de leurs propres mains en murmurant : « Pardonne-moi, mon fils, je n’ai pas pu te protéger. Je n’ai pas pu te nourrir. Je n’ai même pas pu éloigner la peur de toi. »
Les femmes de Gaza ne pleurent plus seulement leurs maris et leurs enfants, elles pleurent aussi leur propre sort, ce qui leur est arraché chaque jour. Les veuves errent de rue en rue, portant des enfants qui crient de faim, de froid et de peur. Pas de soutien, pas d’abri, pas de dignité. Elles portent leurs enfants et leur dignité dans leurs bras et avancent sur les chemins de l’exil comme si elles marchaient vers un inconnu sans fin, où chaque halte fait pleurer, chaque tente déshabille, et chaque question sur la nourriture blesse leurs âmes.
Et que dire des hôpitaux ? Ils ne sont plus des lieux de guérison, mais des entrepôts de cadavres, des places de lamentation. L’odeur du sang imprègne les couloirs, et les corps des enfants jonchent les lits ou le sol – certains sans nom, certains sans membres, certains sans mère ni père pour demander après eux.
L’état psychologique à Gaza n’est plus mesurable. La population est détruite de l’intérieur, même ceux qui semblent forts ne le sont que parce que pleurer ne sert plus à rien. Les mères murmurent la nuit : « Mes enfants sont devenus fous, ils parlent aux murs de la tente. » Et les hommes crient seuls, dans les recoins sombres : « Où est le monde ? Sommes-nous encore considérés comme des êtres humains ? »
Tout le monde à Gaza a besoin d’un soutien psychologique urgent – enfants, femmes, hommes – personne n’a échappé à l’effondrement. Le bruit des avions les poursuit même dans leurs rêves, et les images de membres éparpillés ne les effraient plus, elles sont devenues aussi familières que les visages de leurs voisins.
Et le monde ? Le monde se tait. Il sourit aux chats sauvés des arbres, verse des larmes pour un chiot coincé dans une rivière, mais quand Gaza est massacrée, quand tout un peuple est exterminé sous les yeux des caméras, personne ne bouge. Ils clament les droits de l’homme, mais il semble que les habitants de Gaza n’en fassent pas partie.
Ô mon Dieu, que se passe-t-il ? Ce monde a-t-il perdu son humanité ? Le silence face au génocide est-il devenu une vertu ? Mais il ne s’agit pas simplement de crimes de guerre. Nous parlons ici d’un holocauste, du plus grand génocide de l’histoire moderne, exécuté de sang-froid et justifié par le silence.
Gaza n’a plus besoin d’élégies, mais d’un réveil des consciences. Car ici, sur cette terre, ce ne sont pas seulement des âmes qui sont arrachées, mais la dignité même de l’humanité. Ici, ce ne sont pas seulement des martyrs que l’on enterre, mais aussi les rêves, l’espoir et le droit à la vie.
À vous qui entendez sans réagir, à vous qui voyez sans parler, sachez que l’histoire n’oubliera pas. Et que celui qui se tait devant l’holocauste en devient complice.
Et Gaza racontera tout cela.
Non pas à l’encre,
Mais avec le sang de ses enfants. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.