Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 349 / 29 mars – Comment porter nos enfants dans la tempête ? Sous une tente de mots, soutien psychologique dans le camp Al-Isra à Gaza

Brigitte Challande, 30 mars 2025.Abu Amir transmet le compte rendu de l’atelier de soutien psychologique de Deir al Balah.

« À Deir al-Balah, dans un contexte de déplacements forcés répétés, un groupe de mères s’est réuni pour une séance de soutien psychologique organisée par les équipes de l’UJPF, intitulée : « Faire face avec les enfants pendant les bombardements et les déplacements ». Cette séance n’était pas une simple réunion, mais un espace léger en apparence, lourd de sens, où les femmes se sont retrouvées entourées de leurs expériences ininterrompues et de questions restées sans réponse : comment rassurer nos enfants dans un monde qui ignore la tranquillité ?

Bien que les enfants ne soient pas présents dans la salle, leur présence emplissait les mémoires et les cœurs. Les yeux des mères étaient chargés d’images de leurs enfants courant affolés, se cachant dans les coins, s’accrochant à leurs vêtements à la recherche d’un moment de sécurité au milieu des ruines.

La séance a débuté par une discussion sur les effets du traumatisme sur les enfants, et comment la peur peut se manifester à travers des comportements que l’enfant ne peut exprimer verbalement : des pleurs, un silence prolongé, un attachement excessif à la mère ou un refus de dormir. Les difficultés auxquelles sont confrontées les mères pour comprendre ces changements ont été abordées, surtout lorsqu’elles n’ont ni outils, ni espaces de repos ou de répit.

Les animatrices ont proposé plusieurs suggestions pratiques pour aider les mères à interagir avec leurs enfants. Elles ont expliqué l’importance pour la mère d’écouter sans juger, de laisser l’enfant s’exprimer, même avec peu de mots ou à travers des dessins confus. L’idée de préparer une « boîte de sécurité » symbolique a été proposée : y placer des objets rassurants pour l’enfant, comme un tissu portant une odeur familière, un jouet ancien, ou même une pierre ramassée lors d’un moment de paix.

Les participantes ont été invitées à réfléchir à leur propre rôle pendant les moments de bombardement : se voient-elles transmettre leur panique à l’enfant ? Le cachent-elles en silence ? Nient-elles ses émotions pour le rassurer ? Cet exercice a été particulièrement marquant, les femmes échangeant à voix basse comme si elles redéfinissaient leur langage avec leurs enfants. « Je suis là », « Je te comprends », « La peur n’est pas une faiblesse »… Ces phrases sont devenues des messages de guérison. L’une des participantes a levé la tête et a dit : « Je réalise maintenant que je demande à mon enfant d’être fort, alors que je ne m’autorise pas à être faible devant lui. Peut-être est-ce pour cela qu’il se cache encore plus, car il n’a pas trouvé d’espace pour avoir peur, comme moi. »

Il est apparu que les femmes se reprochaient énormément de choses. On leur a donc demandé d’écrire une phrase exprimant leur culpabilité, puis de la déchirer, et de la remplacer par une phrase empreinte de compassion envers elles-mêmes : « Je ne suis pas une mauvaise mère, je suis juste fatiguée » « Je fais de mon mieux » « Je suis une mère, même si le monde s’écroule autour de moi ».

Ensuite, les animatrices ont guidé les participantes dans un exercice de méditation : imaginer trois cercles dans leur esprit. Le premier représente les peurs de leurs enfants, le deuxième leur réaction habituelle, et le troisième une réponse plus consciente et bienveillante. Cet exercice a provoqué une profonde introspection silencieuse, non sans douleur.

Puis vint le moment des confidences. Une mère a dit : « Mon fils me suit dès qu’il entend un bruit. Il me demande : Maman, est-ce que notre maison va tomber cette nuit ? Et je ne fais que sourire et lui mentir, alors que je pleure à l’intérieur. »

Une autre a raconté : « Ma fille a eu peur du bruit de l’eau que je versais. Elle a cru que c’était une bombe. Elle s’est cachée et a crié. Je n’avais que mes bras. Je l’ai prise contre moi et lui ai dit : ce n’est pas une explosion, c’est juste de l’eau. »

Une troisième a dit : « Mon fils a arrêté de dessiner. Il aimait dessiner un arbre, une maison, un chat. Maintenant, il ne touche plus un crayon. Il m’a dit hier : pourquoi dessiner une maison ? Elle ne restera pas debout. »

Aucune solution miracle n’a été proposée durant la séance, mais de simples idées basées sur de petits gestes : chanter une berceuse à l’enfant, même dans une tente étroite. Lui tenir la main et respirer lentement ensemble. S’asseoir avec lui pour lire une histoire ou raconter un conte d’enfance. Lui créer une routine : une tasse de thé à la même heure, une prière avant de dormir, un baiser sur le front, ou une phrase répétée chaque matin : « Je suis là. »

À la fin, une question a été posée : « Quel petit geste pouvez-vous faire aujourd’hui pour que votre enfant se sente en sécurité ? » L’une d’elles a dit : « Je vais lui préparer son petit-déjeuner préféré et lui caresser les cheveux en souriant. »
Une autre a dit : « Je vais laisser son dessin accroché sur le bord de la tente, pour qu’il sache qu’il y a quelque chose qui tient encore debout. »
Et une troisième a murmuré : « Je vais lui dire, de toutes mes forces, même si je suis effondrée… Je ne t’abandonnerai pas. »

Cette séance ne portait pas uniquement sur les enfants, mais sur les mères qui, chaque nuit, se tiennent au bord de l’effondrement et cachent leurs larmes dans l’obscurité pour ne pas les montrer à un enfant terrifié. Elle parlait de ces femmes qui n’ont pas le temps de craquer, car un enfant attend un sourire, un verre d’eau ou une étreinte pour ne pas sombrer.

Les femmes ont quitté la séance avec les mêmes douleurs, mais avec de petits outils et une prise de conscience nouvelle : que les cris ne s’apaisent pas dans le silence, que la peur ne disparaît pas avec des mensonges, mais qu’elle peut être apaisée avec de l’amour, de la présence et de l’écoute.

À Gaza, la maternité n’est pas qu’un instinct… C’est un combat quotidien contre l’effondrement.
Tenir son enfant pendant les bombardements…
Chanter à sa fille dans une école surpeuplée…
Caresser le front de son petit et lui dire :
je suis avec toi
C’est cela, et cela seulement, l’héroïsme. »

Photos et vidéos ICI.

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Abu Amir envoie le compte rendu d’une séance de soutien psychologique pour les femmes déplacées du camp d’al-Isra, au nord de Gaza, une activité réalisée par les équipes de l’UJFP.

« Un groupe de femmes déplacées s’est rassemblé sous l’une des nombreuses tentes du camp. Ce n’était pas une rencontre ordinaire, et les participantes n’étaient pas de simples chiffres dans les statistiques de la guerre. C’étaient des femmes déracinées par la violence, essayant de recoller les morceaux de leurs âmes « Renforcer la dignité et l’espoir chez les femmes déplacées ». Dès le début de la séance, les animatrices se sont assises parmi les femmes, sans barrière, habillées simplement, avec une voix douce, comme des proches ou des amies. La séance a commencé par des mots de bienvenue chaleureux, suivis de moments de silence volontaire, pour permettre aux cœurs de s’ouvrir après un long mutisme. La parole fut ensuite libérée, et les mots jaillirent comme une vague de confidences retenues depuis des mois.

L’une d’elles, dans la trentaine, vêtue d’une abaya sombre, avec un visage marqué par des nuits sans sommeil, déclara : « J’ai fui Beit Lahia pour Beit Hanoun, puis à Shuja’iyya, et enfin ici. À chaque déplacement, j’ai l’impression d’être arrachée à ma propre peau. Je ne sais plus qui je suis. »

La séance n’était pas une conférence, mais un espace de survie. Elle abordait divers sujets exprimés dans le langage du cœur, et non dans celui des livres. La discussion a commencé autour de la dignité comme un droit inaliénable, même sous les bombes. Une question simple, mais profonde :
« À quand remonte la dernière fois où tu t’es sentie avoir de la valeur ? »
Le silence régna, puis les confidences émergèrent lentement, comme une ancienne plaie qui saigne à nouveau :
« Quand j’ai aidé une voisine à accoucher sous les bombardements. »
« Quand j’ai partagé le repas de mes enfants avec une veuve qui n’avait rien. »

La séance a ensuite évolué vers des exercices collectifs axés sur la reconstruction du lien avec soi-même. Chaque femme devait écrire un mot, juste un, qu’elle aime à propos d’elle-même. Certaines furent déconcertées :
« Je m’étais oubliée, Madame », dit une femme d’une cinquantaine d’années en essuyant ses larmes du bord de son voile.

Les animatrices ont abordé la pensée positive non comme un slogan vide, mais comme un outil de survie. Elles ont expliqué comment s’accrocher à un seul fil de lumière dans l’obscurité. Les participantes ont appris à remplacer des phrases comme « Je suis faible » par « Je tiens bon malgré tout ». Les exercices étaient simples. Une femme releva soudain la tête et dit :
« Je ne suis pas brisée… je suis juste fatiguée. »

La séance s’est poursuivie par une séquence de méditation guidée. Les voix se sont apaisées, l’animatrice invitant les femmes à respirer lentement, à poser leurs mains sur leur cœur et à sentir le battement de la vie. On leur dit : « Maintenant, il n’y a ni passé, ni bombardement, ni déplacement… juste ce moment en sécurité. »

Certaines ont fermé les yeux pour la première fois depuis des semaines.

Puis vint le moment des récits. Rien n’est plus fort qu’une confession dite dans un cercle de sécurité.
« Quand la maison de nos voisins a été bombardée soudainement, je faisais cuire des lentilles. Je suis sortie avec mes enfants, pieds nus, pendant que la marmite bouillait encore sur le feu. L’explosion était assourdissante, la poussière partout. Je ne sais pas comment j’ai porté mon petit garçon de cinq ans et couru dehors. Depuis ce moment… il ne parle plus. »

Une autre femme parla d’une voix hésitante et d’un regard absent :
« C’est ma cinquième tente. Je l’installe pour la cinquième fois… Je passe d’un endroit à un autre comme si je cherchais mon âme parmi les ruines. Je ne compte plus les jours par dates, mais par les lieux où j’ai dormi. Ma seule valise est un sac noir rempli de souvenirs en miettes ; aucune photo n’a survécu, aucun miroir pour voir mon visage que je ne reconnais plus. Le froid me mord chaque nuit, et pourtant… chaque matin, j’allaite ma petite fille, et je lui chante doucement, comme si la guerre n’avait pas tout volé. Je chante… pour qu’elle n’entende pas ma voix pleurer. »

Des idées concrètes ont été proposées pour renforcer l’estime de soi : réserver un moment par jour pour prendre soin de soi, même s’il ne s’agit que de boire un thé en silence, ou écrire une phrase sur une feuille : « Je mérite de vivre. »
De petits papiers furent distribués, et chaque femme devait y écrire un souhait. Les papiers se remplirent de mots tels que :
« Je veux une maison à moi seule »
« Je veux dormir sans peur »
« Je veux serrer mes enfants dans mes bras sans les compter après chaque bombardement »

La séance n’a pas tout réglé, mais elle fut un début. Un début pour construire un espace intérieur sécurisé au cœur d’une réalité impitoyable. Les femmes sont reparties chargées de récits, mais certaines tenaient dans leurs mains un petit papier sur lequel était écrit : « Je suis plus forte que je ne le croyais. »

À une époque où les maisons tombent comme des feuilles mortes, et où les instants de paix sont arrachés des bras des mères, le soutien psychologique devient plus qu’une nécessité… c’est une bouée de sauvetage. Permettre aux femmes de parler, de respirer, de pleurer sans honte, est un acte de résistance face à l’effondrement.

C’est une graine de vie semée dans une terre épuisée par la guerre. À chaque atelier, une petite fenêtre s’ouvre vers la lumière, l’espoir renaît malgré les ruines, et la dignité que la guerre a tenté d’écraser est retrouvée. Et même si le chemin reste long, une parole sincère, une écoute bienveillante, ou un simple exercice de respiration… peuvent faire toute la différence entre l’effondrement et la résilience.

Car à Gaza, où la douleur est devenue une habitude, le soutien psychologique devient un pilier de la survie, et une histoire réécrite… non à l’encre, mais avec des larmes transformées en force. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.

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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.