L’hystérie inévitable des médias israéliens face aux manifestations sur les campus américains

Anat Saragusti, 29 avril 2024. Cela fait longtemps que nous n’avons pas vu une couverture médiatique aussi superficielle que la couverture, par les médias israéliens, des manifestations pro-palestiniennes sur les campus universitaires à travers les États-Unis.

Dans une séquence diffusée le 24 avril, par exemple, Yuna Leibzon de la Chaîne 12, a montré des images des manifestations devant le campus de l’Université de Columbia : les téléspectateurs ont vu une poignée de personnes scandant que Tel Aviv devrait être réduites en cendres, et un manifestant solitaire masqué tenant un pancarte portant une déclaration antisémite. L’implication était claire : ces individus sont représentatifs de tous les manifestants, et l’ensemble du mouvement pro-palestinien est illégitime.

Neria Kraus, correspondante de la Chaine 13 à New York, a également fait un reportage depuis le campus de Columbia. Dans son reportage, elle a utilisé trois termes de manière interchangeable : « manifestations pro-palestiniennes », « manifestations anti-israéliennes » et « manifestations antisémites ». Le message, là encore, était clair : être pro-palestinien ou anti-israélien, c’est être antisémite.

Lorsque Gil Tamri, commentateur principal de la Chaîne 13, a ensuite expliqué au présentateur Udi Segal qu’il ne s’agissait pas de manifestations antisémites mais de manifestations anti-israéliennes, Tamri a été interrompu au milieu de sa phrase et Segal a ensuite parlé de l’approbation par le Congrès d’une aide militaire américaine à Israël. Dans l’émission quotidienne « War Zone » de Raviv Drucker, également sur la Chaîne 13, la professeure Rivka Carmi, ancienne présidente de l’Université Ben Gourion, a également qualifié les manifestations d’« antisémites » – encore une fois, sans fournir aucun contexte.

La confusion de ces concepts distincts donne aux Israéliens le sentiment que les Juifs sont largement persécutés à New York. Cela suggère que les correspondants de presse israéliens qui se trouvent à l’entrée du campus de Manhattan sont en mission de collecte d’informations d’importance nationale, faisant des reportages derrière les lignes ennemies et scrutant le noyau dépravé de la haine anti-juive.

Il s’agit du même écosystème médiatique qui, pendant près de sept mois, a complètement négligé son devoir le plus fondamental : montrer aux téléspectateurs, aux auditeurs et aux lecteurs en Israël ce que leur armée fait aux Palestiniens à Gaza. Seuls les Israéliens qui choisissent de s’intéresser aux médias étrangers comprennent que les manifestations menées par les étudiants sont le signe d’une vague énorme et en croissance rapide de manifestations en solidarité avec les Palestiniens et contre Israël et la politique israélienne à Gaza, et non d’une explosion inexplicable d’antisémitisme.

Ces deux tendances – l’autocensure inflexible des médias israéliens dans leur couverture de la dévastation à Gaza, et le fait qu’ils qualifient d’antisémites les manifestations pro-palestiniennes aux États-Unis – sont étroitement liées. En termes simples, ceux qui ne sont pas conscients de ce que fait Israël à Gaza ne peuvent pas comprendre la réaction de ceux qui le sont.

À l’exception des lecteurs de Haaretz et d’un petit nombre d’autres qui consultent des sites d’information indépendants spécialisés, la grande majorité des Israéliens n’ont aucun moyen de savoir ce qu’Israël a fait à Gaza au cours des six derniers mois et demi. On ne leur montre pas les enfants morts ni les milliers d’orphelins ; on ne leur montre pas les corps extraits de sous les décombres ; et on ne leur montre pas la faim ou le manque désespérant de médicaments et d’eau.

Les Israéliens ne voient que ce que l’armée veut que nous voyions et ce qui ne nuira pas au moral national. En effet, la plupart d’entre nous sont préoccupés par le massacre du 7 octobre et par les 133 otages qui croupissent toujours à Gaza, et cette attention se fait au détriment de l’attention accordée à la catastrophe en cours contre les Palestiniens. Le monde voit cette catastrophe. Le monde voit ce qu’on ne nous montre pas.

Et alors que des images de Gaza apparaissent nuit après nuit dans les médias du monde entier, la colère monte et les protestations contre Israël et ses assauts éclatent. Cette colère est justifiée. Il est légitime de se demander pourquoi tant d’enfants ont été tués. Il est légitime d’exiger la fin de la guerre. Il est légitime d’appeler à la fin de l’occupation et à la liberté des Palestiniens.

L’attention exclusive du journalisme israélien sur le 7 octobre a effectivement décontextualisé cette journée, ainsi que l’attaque israélienne qui a suivi. Cependant, au niveau international, ces mêmes événements ont remis le contexte de la lutte palestinienne – occupation, siège et Nakba – sur la scène mondiale. Le monde voit Israël semer la destruction dans la bande de Gaza, un déchaînement mené par un ensemble de ministres d’extrême-droite, messianiques et annexionnistes, qui appellent désormais à la réinstallation dans la bande.

C’est dans ce contexte que ces manifestations se propagent sur les campus universitaires américains. Nous pouvons détourner le regard et dire : eh bien, Bezalel Smotrich n’est pas l’État d’Israël. Mais il l’est. Tout comme Itamar Ben Gvir, Orit Strook et Benjamin Netanyahu aussi.

Ce qui est surprenant, c’est que chacune des revendications et des slogans exprimés dans les campements universitaires sont exprimés en Israël depuis des décennies – dans des chants de protestation dans les rues, des articles d’opinion, des études universitaires, des débats et des tables rondes interminables diffusées à la télévision et à la radio. Aucun des arguments des étudiants n’est nouveau dans le discours israélien. Même des critiques explicites du sionisme ont existé au sein de la gauche juive radicale, aux côtés des citoyens palestiniens, pendant la majeure partie de l’existence de l’État. (*)

Bien sûr, il y a une poignée d’extrémistes en marge des manifestations universitaires, dont beaucoup – y compris ceux qui appellent à incendier Tel Aviv – sont étrangers à l’université et tentent de se raccrocher aux manifestations étudiantes (en Israël aussi, nous entendons des slogans violents et éliminationnistes comme « Mort aux Arabes » et « Que votre village brûle » lors des manifestations de droite, ou même lors des matchs de football). Mais qualifier les manifestations étudiantes sur les campus américains de grande frénésie d’antisémitisme relève du journalisme peu sérieux.

Un journalisme sérieux fournirait le contexte, ce que les médias israéliens n’ont pas fait depuis le 7 octobre – et, il faut le dire, depuis bien avant.

Article original en anglais sur 972.mag.com / Traduction MR

 

Anat Saragusti est journaliste, cinéaste, éditrice de livres et responsable de la liberté de la presse au Syndicat des journalistes d’Israël.

 

(*) L’autrice nous permettra d’émettre quelques réserves sur ces affirmations qui nécessiteraient d’être étayées, ces positions critiques et ces protestations contre la politique israélienne vis-à-vis des exactions contre les Palestiniens ayant été très marginales, nous semble-t-il. (NdT)