Guerre Israël/Gaza : Benjamin Netanyahou s’inquiète d’un prochain mandat d’arrêt de la CPI

RTBF Actus, Daniel Fontaine, 29 avril 2024Le Premier ministre israélien est particulièrement inquiet de l’enquête menée par la Cour pénale internationale (CPI) sur la guerre à Gaza et des mandats d’arrêt qu’elle pourrait bientôt délivrer. La presse israélienne rapporte que Benjamin Netanyahou multiplie les contacts internationaux pour tenter de geler la procédure qui le menace directement.Le procureur Karim Khan serait prêt à émettre dans les prochains jours des mandats d’arrêts contre plusieurs personnalités israéliennes et palestiniennes, dont Benjamin Netanyahou lui-même, son ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d’état-major Herzi Halevi. L’accusation porterait sur le fait que ces responsables ont délibérément provoqué une famine dans la bande de Gaza. Des mandats d’arrêt viseraient également des responsables du Hamas palestinien pour leur responsabilité dans les crimes commis le 7 octobre en Israël.

« Nous avons une enquête active », avait déclaré en février le procureur de la CPI Karim Khan. « Nous essayons de rassembler des preuves et nous agirons lorsque les preuves atteindront le seuil adéquat, qui est décidé par les juges ».

Mandats d’arrêt secrets

Selon l’avocat spécialiste du droit international Johann Soufi, la probabilité de l’arrivée de ces mandats d’arrêt est grande. Il est même possible que la Cour les ait déjà émis, mais les garde secrets pour des raisons tactiques.

Ce secret peut faciliter l’arrestation des personnes recherchées, explique Johann Soufi. « Si une des personnes visée par l’acte d’accusation voyage dans l’un des 124 États qui sont aujourd’hui parties au Statut de Rome (le traité fondateur de la CPI), cela signifie que les autorités nationales de ces États ont l’obligation d’arrêter cette personne et de la remettre à la Cour. La confidentialité favorise les chances d’arrestation de ces individus. »

Dans ce cas, la Cour ne communique le mandat d’arrêt aux autorités d’un État partie uniquement au moment où une personne recherchée arrive sur son territoire. Ces autorités ont alors l’obligation de procéder à l’arrestation de la personne visée et de la transférer à La Haye. Si des mandats d’arrêt sont émis contre des responsables israéliens, leurs déplacements à l’étranger se trouveraient singulièrement compliqués.

Le dilemme européen

Tout comme Israël, les États-Unis ne sont pas membres de la CPI et ne sont donc pas tenus par cette obligation. Pour les pays européens, en revanche, la situation pourrait être particulièrement embarrassante. « Ils vont être confrontés à un dilemme », explique Johann Soufi. « Soit ces pays montrent qu’ils soutiennent réellement la CPI, et que ça vaut également lorsqu’un mandat d’arrêt vise un allié. Ou alors, ils sont prêts à la détruire. Car à partir du moment où elle sera vue comme une juridiction instrumentalisée par certains Etats occidentaux, elle perdra sa crédibilité et sa légitimité auprès de nombreux pays du Sud Global. »

La CPI a la capacité de poursuivre des personnes pour leur implication présumée dans des crimes de droit international (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide). Elle est basée à La Haye, tout comme la Cour International de Justice (CIJ), qui, elle, instruit les conflits entre Etats. La CIJ doit statuer sur la question d’un possible génocide en cours en Gaza, posée par l’Afrique du Sud.

Responsabilité dans la famine

Selon les fuites qui sont parvenues à la presse américaine, britannique et israélienne, le procureur a retenu contre les responsables israéliens concernés leur responsabilité dans la famine qui se développe dans la bande de Gaza : ils auraient entravé l’acheminement de l’aide humanitaire et provoqué délibérément une situation de famine.

« C’est l’un des crimes les plus faciles à prouver », explique Johann Soufi. « Une des grandes difficultés des juridictions internationales en général et de la CPI en particulier, c’est d’établir la responsabilité individuelle des auteurs des crimes. Et ce travail est d’autant plus complexe que vous remontez haut dans la hiérarchie. »

« Par exemple, pour le meurtre de civils, il est parfois difficile de prouver que la décision venait des autorités, des supérieurs hiérarchiques, qu’ils soient militaires ou politiques. Au contraire, lorsqu’il s’agit d’imposer un siège total qui prive d’eau, de nourriture, de médicaments, une population dans son ensemble, c’est une décision qui est assumée par la hiérarchie militaire ou politique. Le fait d’affamer des civils comme méthode de guerre constitue un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité. »

« Ça a fait l’objet de nombreux rapports de la part des agences des Nations Unies qui sont sur place, de l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier qui reconnaît un risque de génocide, et ça a été assumé par les responsables israéliens. Voilà pourquoi c’est, d’après moi, l’un des crimes qui est le plus facile à établir pour le procureur et qui lui permet d’établir la responsabilité pénale de dirigeants, sans avoir à remonter toute la chaîne de commandement. »

Netanyahou sous stress

D’après des médias israéliens, cette perspective a placé Benjamin Netanyahou « sous un stress inhabituel ». Il a entamé une « campagne ininterrompue par téléphone » pour tenter d’empêcher l’émission des mandats d’arrêt, en particulier auprès de l’administration du président américain Joe Biden, avec lequel ses relations sont pourtant mauvaises.

« Sous ma direction, Israël n’acceptera jamais que la Cour pénale internationale de La Haye tente de porter atteinte à son droit fondamental de se défendre », a prévenu le Premier ministre israélien dans un communiqué diffusé sur Telegram.

Tous les services mobilisés

Plusieurs ministères israéliens sont impliqués dans les efforts déployés pour contrecarrer la procédure engagée par la CPI. Le ministère de la Justice et les avocats de l’armée sont mobilisés. Le ministère russe des Affaires étrangères a également été impliqué dans les démarches contre la CPI. Le président russe Vladimir Poutine fait l’objet depuis mars 2023 d’un mandat d’arrêt de la Cour pour les déportations d’enfants ukrainiens vers la Russie.

Le ministre des Affaires étrangères Israël Katz a souligné que son pays adhère à « toutes les lois de la guerre » et qu’il « s’attend à ce que la Cour s’abstienne » d’émettre les mandats d’arrêts. Les ambassades israéliennes dans le monde entier ont été mises en alerte : les responsables redoutent que la publication des accusations de la CPI déclenche une vague d’antisémitisme et d’hostilité anti-israélienne.

Une réputation abîmée

Alors que les manifestations de soutien à la population de Gaza se poursuivent dans plusieurs pays, des mandats d’arrêts contre des dirigeants israéliens viendraient entacher un peu plus la réputation du pays, déjà mis en cause par la CIJ pour un risque plausible de génocide.

Une démarche publique de la CPI pourrait avoir un effet puissant, selon Johann Soufi : « A partir du moment où il y aura un mandat d’arrêt contre un responsable israélien quel qu’il soit, cela signifiera que le procureur, le bureau du procureur et des juges ont considéré qu’il y avait effectivement des motifs raisonnables de croire que des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, ou les deux, ont été commis à Gaza ou en Cisjordanie. Cette qualification par une juridiction indépendante aura forcément des conséquences dans le débat public : il sera difficile, voire impossible, de nier la nature criminelle de certains des actes commis par l’armée israélienne. »

Des pressions ? C’est certain !

Israël et des pays alliés, dont les Etats-Unis, tentent d’empêcher ce scénario. Les magistrats de la CPI pourront-ils ignorer les appels à ne pas s’en prendre directement aux responsables israéliens ? « Qu’il y ait eu des pressions sur le procureur de la Cour et son bureau pour la situation actuelle à Gaza, c’est une certitude », affirme Johann Soufi.

L’avocat rappelle qu’il existe des garde-fous. « Le procureur doit travailler de manière indépendante et impartiale : c’est dans son serment et dans le statut de Rome. A partir du moment où il a émis un mandat d’arrêt qui est envoyé à la chambre préliminaire, c’est déjà trop tard. Les leviers de pression sont inopérants, même s’il y a des pressions politiques. Je rappelle que ni les États-Unis, ni Israël ne sont Etats parties. Leurs leviers sont d’autant plus réduits quils n’appartiennent pas à la Cour. »

Même en agissant sur les Nations Unies, les moyens de pression sont limités : la CPI a des rapports privilégiés avec l’organisation, mais elle n’est pas un organe de l’ONU. Elle est financée de manière indépendante, directement par les Etats parties. « C’est exactement pour cette raison que la Cour a été conçue avec un procureur totalement indépendant, qui a la possibilité de déclencher des enquêtes de sa propre initiative. La Cour est dehors du système onusien, et même indépendante du Conseil de sécurité des Nations Unies », insiste Johann Soufi.

Les crimes du Hamas

La CPI enquête de la même manière sur l’attaque organisée par le Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre. Elle devrait également délivrer des mandats d’arrêt pour les responsables des massacres commis. « Ça ne fait aucun doute que les crimes du 7 octobre entrent aussi dans la compétence de la Cour », confirme Johann Soufi. « Pour deux raisons. D’abord, parce qu’ils constituent indéniablement des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. Deuxièmement, parce qu’ils ont été commis par des ressortissants palestiniens. En rejoignant la Cour, la Palestine l’a autorisée à poursuivre aussi ses propres ressortissants. »

Une difficulté juridique pourrait cependant entraver l’action de la Cour à l’encontre des responsables du Hamas. Elle doit respecter le principe de complémentarité : ce principe veut que la Cour n’intervienne que dans le cas où les juridictions nationales ont démontré leur incapacité ou leur absence de volonté de poursuivre les suspects.

« Or, les juridictions israéliennes ont exprimé leur volonté, et ont la capacité de poursuivre les responsables du Hamas. Ça pourrait être une des entraves juridiques à ce que la Cour émette un mandat d’arrêt contre les membres du Hamas. Mais pour des raisons de compréhension du grand public et d’apparence, il me semble important de poursuivre à la fois des responsables israéliens et des responsables du Hamas », estime Johann Soufi.

La justice israélienne en question

Ce principe de complémentarité sera certainement brandi par Israël pour affirmer que son système judiciaire est parfaitement à même de juger ses propres dirigeants. Plusieurs hauts responsables israéliens ont été condamnés dans le passé pour des affaires financières et de corruption.

Johann Soufi est convaincu que le procureur de la CPI est arrivé à la conclusion que ce principe ne s’applique pas dans ce cas. « À partir du moment où la Cour aura émis un mandat d’arrêt, cela veut dire qu’elle aura déjà analysé cette dimension, et qu’elle aura considéré que le système judiciaire israélien n’a pas la volonté ou la capacité de le faire. Une analyse de la réforme du système judiciaire israélien qui était proposée par Benjamin Netanyahou pourrait montrer qu’il n’a pas la volonté réelle de poursuivre les personnes qui auraient commis des crimes, y compris à l’échelle la plus haute du système politique ou militaire israélien. »

Source : RTBF Actus