Partager la publication "« Israël a toujours vendu l’occupation comme étant légale. La CIJ les terrifie maintenant »"
L’avocate palestinienne Diana Buttu analyse l’opinion de la CIJ sur le régime militaire israélien et les leçons tirées de la mise en pratique du droit international.
Ghousoon Bisharat, 23 juillet 2024. Vendredi 19 juillet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué que l’occupation par Israël de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, est illégale et doit cesser « le plus rapidement possible ». Le tribunal a déclaré qu’Israël est obligé de s’abstenir immédiatement de toute nouvelle activité de colonisation ; évacuer tous les colons des territoires occupés ; et payer des réparations aux Palestiniens pour les dommages causés par le régime militaire israélien depuis 57 ans. Il affirme également que certaines des politiques israéliennes dans les territoires occupés constituent un crime d’apartheid.
La décision – connue sous le nom d’avis consultatif – découle d’une demande de 2022 de l’Assemblée générale des Nations Unies et est non contraignante. Mais c’est la première fois que la plus haute juridiction mondiale exprime son point de vue sur la légalité du contrôle israélien sur les territoires occupés, et constitue un rejet catégorique des habituelles défenses juridiques d’Israël.
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a salué cette décision ; il l’a qualifié de « triomphe de la justice » et a appelé l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU à explorer des mesures supplémentaires pour mettre fin à l’occupation. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu l’a qualifié d’« absurde », et a déclaré : « Le peuple juif n’est pas un occupant sur son propre territoire, y compris dans notre capitale éternelle Jérusalem, ni en Judée et Samarie [la Cisjordanie], notre patrie historique. » Les États-Unis ont répondu en affirmant seulement que les colonies israéliennes sont illégales et ont critiqué « l’étendue de la décision de la Cour », qui, selon eux, « compliquera les efforts pour résoudre le conflit ».
Pour mieux comprendre l’importance et la portée de la décision, le magazine +972 s’est entretenu avec Diana Buttu, avocate palestinienne basée à Haïfa qui a été conseillère juridique de l’OLP de 2000 à 2005. Pendant cette période, elle faisait partie de l’équipe qui a a porté plainte devant la CIJ concernant le mur de séparation d’Israël, dont le tracé a été déclaré illégal dans un autre avis consultatif non contraignant. L’entretien a été retranscrit pour des raisons de longueur et de clarté.
Qu’avez-vous ressenti en entendant le président de la CIJ, Nawaf Salam, lire l’avis de la Cour ?
D’une part, j’étais très heureuse car cela confirme tout ce que moi et tant d’autres juristes et militants disions depuis des décennies. Mais d’un autre côté, je n’arrêtais pas de me demander : pourquoi avons-nous dû nous adresser à la CIJ ? Pourquoi les gens écoutent-ils un avis juridique, mais pas notre expérience vécue ? Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour comprendre que ce que faisait Israël était mauvais ?
Quelle est l’importance de cette décision pour les Palestiniens ?
Il est important de replacer la décision dans son contexte, celui d’un avis consultatif. Il existe deux manières de saisir la CIJ. La première, c’est lorsqu’il y a un différend entre deux États, et c’est ce que vous avez vu dans le cas de l’Afrique du Sud contre Israël [sur la question du génocide à Gaza], et ces décisions sont contraignantes. La seconde est lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies demande des éclaircissements ou un avis juridique sur une question ; il s’agit d’un avis consultatif, et celui-ci n’est pas contraignant.
Ainsi, lorsque l’on examine la situation dans son ensemble, il ne faut pas oublier que le recours aux tribunaux et au droit n’est qu’un outil parmi d’autres, et non le seul ou le dernier outil. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas important ou qu’un avis non contraignant n’est pas une loi. Le plus gros problème est de savoir quel impact cela va avoir sur le comportement futur.
Ici, il est important de rappeler ce qui s’est passé avec la première décision de la CIJ [sur le mur de séparation d’Israël], qui a été rendue le 9 juillet 2004. Même s’il s’agissait d’un avis consultatif, il a quand même fait loi, et plus important encore, c’est à cause de cette décision que nous avons assisté à la croissance du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) – en fait, le mouvement a été lancé au niveau international exactement un an plus tard.
Les gens doivent donc comprendre qu’il n’y aura jamais un knock-out juridique. L’occupation ne prendra pas fin grâce aux tribunaux et aux mécanismes juridiques – elle prendra fin lorsque Israël en paiera le prix. Et que ce prix soit payé à l’extérieur parce que le monde dit ça suffit, ou à l’intérieur parce que le système commence à imploser, la fin de l’occupation sera une décision israélienne.
L’avis consultatif de la CIJ de 2004 a constitué une décision historique, mais il n’a pas fait grand-chose pour contrer la construction du mur de séparation ou pour en modifier le tracé. Pensez-vous que la nouvelle décision a un poids différent de celle du passé, ou qu’elle pourrait générer des actions politiques différentes ?
Oui. La décision de 2004 était importante pour plusieurs raisons. Premièrement, non seulement elle affirme que le mur est illégal, mais elle évoque également l’obligation des États tiers de respecter le droit humanitaire international et de ne pas contribuer aux dégâts. Vous avez raison, le mur est resté debout et la décision non contraignante n’a pas arrêté la construction, car elle n’a pas été appliquée. Cela a cependant modifié la manière dont les diplomates et autres personnes se rapportaient au mur.
Il ne faut pas oublier non plus que ce nouvel avis consultatif est beaucoup plus fort et plus large. Le tribunal met en pièces l’idée de négociations de paix, les accords d’Oslo, l’acceptation par les Palestiniens d’une occupation permanente. Et même si les gouvernements continuent de maintenir leur position considérant les négociations comme la seule voie à suivre, dans toutes les capitales du monde, il y aura désormais un mémo juridique indiquant que la Cour internationale de Justice a statué [qu’en vertu de la Convention de Genève, les négociations ne peuvent pas priver les populations des territoires occupés de leurs droits].
Une autre chose importante est que les colonies israéliennes en Cisjordanie sont maintenant en voie de normalisation, et nous avons ici une décision qui va à l’encontre de cela, et qui dit que les colonies et les colons doivent disparaître. Sur la base de ces éléments, je m’attends à commencer à constater un changement de politique. Cela n’arrivera peut-être pas immédiatement, mais cela changera la mentalité quant à la façon dont les gens se rapportent à l’occupation.
Quel genre de changement de politique ou de mentalité attendez-vous de la communauté internationale ?
Je peux donner un exemple du Canada, où je suis né. La présentation du Canada [pour les procédures de la CIJ sur cette affaire] était très typique, affirmant que la CIJ a compétence sur cette question importante, mais continuant ensuite en disant que la meilleure façon de la résoudre est par la négociation. Mais cela revient à dire, et pardonnez l’analogie, qu’une personne qui est tabassée n’a qu’à négocier avec son agresseur. Aujourd’hui, le tribunal a renoncé à cela et a clairement établi qu’il y a un occupant et un occupé. Alors maintenant, je m’attends – et je vais en fait commencer à exiger – que le gouvernement canadien change de position.
Un autre exemple où je m’attends à voir des changements est la question des colons. Si l’on considère le nombre de colons vivant aujourd’hui dans les territoires occupés, l’estimation prudente est de 700.000. Par rapport aux 4 millions d’habitants que compte l’ensemble du territoire [de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est], c’est un pourcentage très élevé. Et c’est important parce que cela montre que de nombreux colons israéliens ont intériorisé et normalisé l’occupation.
La question est de savoir si les colons israéliens vont se considérer comme des personnes vivant illégalement sur des terres palestiniennes – et je soupçonne que ce sera non. Mais ce que je veux, c’est que cette action et cette perception ne soient plus normalisées, et que l’on reconnaisse que l’occupation a causé un préjudice auquel il faut mettre un terme. Israël a réussi à normaliser les colonies, et il n’y a plus de Ligne verte – la déclaration de Netanyahu hier [contre la décision de la CIJ] en est la preuve. Mais il faut que cela change.
Je pense que nous sommes au même moment que dans les années 1980 avec l’apartheid en Afrique du Sud. À l’époque, les partisans de l’apartheid disaient aux militants anti-apartheid qu’ils ne comprenaient tout simplement pas la situation tellement l’apartheid était normalisé. Dix ans plus tard, ce n’était plus le cas. Et nous voilà, 30 ans plus tard, et j’ai du mal à trouver une seule personne qui dise que l’apartheid fut une bonne chose.
Quelque chose vous a-t-il surprise dans l’avis consultatif ?
Je n’ai pas été très surprise, mais j’étais contente que certains éléments soient là. L’un de ces éléments était l’accent mis sur Gaza, car depuis 2005, Israël a adopté ce discours de « désengagement », affirmant qu’il n’y a pas d’occupation là-bas. De nombreuses organisations de défense des droits humains se sont battues pour faire valoir que Gaza est effectivement occupée – qu’il existe un contrôle israélien effectif et que les responsabilités d’Israël sont liées au niveau de ce contrôle. J’ai été heureuse de voir que le tribunal a confirmé cela et a mis cet argument de côté, d’autant plus qu’il n’y a pas eu, à ma connaissance, de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur cette question.
La deuxième chose que j’ai été très heureuse de voir, c’est que le tribunal a déclaré que des réparations devaient être payées, et pas seulement sous la forme de la destruction de toutes les colonies, mais également du départ des colons. Et la troisième chose était l’idée de permettre le retour des réfugiés [dans les foyers d’où ils ont fui ou ont été expulsés en 1967]. C’est une reconnaissance du mal causé par 57 années d’occupation militaire.
J’ai été assez surprise d’entendre la juge australienne [Hilary Charlesworth] dire très clairement qu’Israël ne peut pas invoquer la légitime défense pour maintenir une occupation militaire, ou en relation avec des actes de résistance contre l’occupation ; c’est un argument que je défends depuis longtemps et cela fait du bien de voir un juge faire les mêmes remarques. Et bien qu’elle soit globalement d’accord avec l’opinion du tribunal, la nouvelle juge américaine, Sarah Cleveland, a exprimé une opinion individuelle très intéressante : elle a soutenu que la décision aurait dû accorder plus d’attention aux responsabilités d’Israël en vertu du droit de l’occupation spécifiquement à l’égard de Gaza, tant avant le 7 octobre que maintenant.
Les hommes politiques israéliens, tant au sein du gouvernement que de l’opposition, ont rejeté l’avis de la CIJ, le qualifiant d’antisémite et de partial. Pensez-vous que ces réactions cachent de véritables inquiétudes ou craintes ?
Oui, la crainte est qu’ils soient dénoncés pour les racistes qu’ils sont et qu’ils doivent en réalité mettre fin à l’occupation. Il pourrait également y avoir des actions à l’échelle mondiale [pour faire pression sur Israël]. Ils sont également inquiets parce que ce sont eux qui ont placé les colons là-bas en premier lieu, et les colons pourraient exiger une compensation pour leur départ.
Netanyahu n’a jamais reconnu le droit de la Palestine à exister. Nous avons vu l’autre jour le vote de la Knesset contre la création d’un État palestinien. Et ce ne sont pas seulement les Likoudniks, ou les [Itamar] Ben Gvirs, ou les [Bezalel] Smotrichs qui l’ont signé, mais aussi d’autres députés, dont [Benny] Gantz. Ils n’ont jamais reconnu ce qu’ils ont fait en 1948 ni le mal qu’ils commettent aujourd’hui. Au lieu de cela, ils sont guidés par ce concept de suprématie juive – selon lequel eux seuls ont droit à cette terre.
Israël a toujours vendu l’occupation comme étant d’une certaine manière légale, et ses actions comme étant d’une certaine manière justes et correctes, avec ces stupides affirmations d’une « armée morale ». Il n’y a pas d’armée morale dans le monde – comment tuer moralement des gens ? Ils prétendent que vous pouvez vous adresser à la Haute Cour israélienne, mais chaque Palestinien sait qu’il n’y a aucune justice à obtenir de la part d’un tribunal qui a été créé comme un bras de l’occupation. Aujourd’hui, lorsqu’un tribunal regarde de l’extérieur et déclare que ce qu’ils font est illégal, cela les terrifie bien sûr.
L’Afrique du Sud de l’apartheid s’est comportée de la même manière lorsqu’elle a dû faire face aux avis de la CIJ. À la fin de chaque avis de la CIJ, le gouvernement de l’apartheid avait pour habitude de formuler la même phrase : seule l’Afrique du Sud peut juger l’Afrique du Sud, ce qui signifie que seul un système raciste peut juger si le système est raciste. C’est ce que dit Israël : seul nous, le système raciste, pouvons déterminer s’il est raciste. Mais ensuite, vous sortez et voyez les règles internationales confirmer que le système est raciste et doit être démantelé. C’est effrayant pour Israël.
Quelques experts israéliens en droit international minimisent l’importance de l’avis de la CIJ en soulignant qu’il n’est pas contraignant et en affirmant que la Cour n’a pas déclaré que l’occupation était illégale, mais seulement qu’il est illégal pour Israël de désobéir aux règles de l’occupation. Comment percevez-vous ces affirmations ?
Ils ont raison, mais minimiser cela est aussi insensé. Selon le droit international, une colonisation peut être légale mais uniquement à titre temporaire pendant une courte période afin de rétablir l’ordre public et de vous débarrasser des menaces. Le problème de l’occupation israélienne n’est pas seulement sa durée, mais aussi le fait qu’elle n’a jamais été conçue pour être temporaire. Depuis 1967, Israël a déclaré qu’il n’abandonnerait jamais la Cisjordanie. Ils ont nié que les Palestiniens aient un droit sur cette terre et ont presque immédiatement commencé la construction et l’expansion des colonies. C’est la durée et les pratiques qui rendent l’occupation israélienne illégale.
Ces mêmes juristes israéliens ne reconnaissent pas ce que signifie le mal. Maintenir une occupation nécessite de la violence. Prendre des terres, installer des postes de contrôle, construire des colonies, gérer un système judiciaire militaire et un régime de permis, enlever des enfants au milieu de la nuit, démolir des maisons et voler de l’eau : tout ce qu’implique cette occupation est violent. Les experts israéliens peuvent donc essayer de minimiser la décision autant qu’ils veulent, mais ils seraient bien avisés, au lieu de trouver des moyens de rendre l’occupation plus jolie, d’y mettre enfin un terme.
Vous dites que les actions d’Israël étaient illégales dès le premier jour de l’occupation de 1967. Considérez-vous le gouvernement actuel, ou les 15 dernières années du règne de Netanyahu, comme plus dangereux que le précédent ? Ou bien continue-t-il fondamentalement les mêmes politiques envers les Palestiniens et les territoires occupés que celles que nous connaissons depuis plus d’un demi-siècle ?
C’est pareil et c’est différent. C’est la même chose parce qu’aucun gouvernement israélien depuis 1967 n’a arrêté l’expansion des colonies. Vous pouvez examiner n’importe quelle autre question en Israël, et les gouvernements ont des politiques différentes, mais cela les unit. Peu importe donc qu’il s’agisse du Parti travailliste, du Likoud ou de Kadima ; Netanyahu n’est pas différent à cet égard.
La seule chose qui est nouvelle, c’est que ce gouvernement ait pris une position aussi éhontée. Alors que dans le passé, certains parlaient d’une solution à deux États, Netanyahu a été très clair tout au long de son mandat qu’il n’y aura jamais d’État palestinien et que les Palestiniens n’ont aucun droit.
Vous critiquez depuis longtemps l’Autorité palestinienne pour ses échecs. Comment la voyez-vous gérer cette décision et les autres procédures récentes devant la CIJ et la CPI, tant sur la scène diplomatique que sur le terrain ?
L’un des gros problèmes de 2004 était que nous n’avions pas de dirigeants palestiniens qui fassent pression pour la mise en œuvre de la décision de la CIJ [sur le mur de séparation]. Ils étaient encore dans ce qu’ils pensaient être l’apogée des négociations, vivant toujours dans un univers imaginaire. Et c’est pourquoi le mouvement BDS a fini par se manifester et faire pression.
Cette fois-ci, je suis vraiment inquiète, car s’il y a une chose que l’on peut retenir de cette décision, c’est [une critique de] toutes ces soi-disant « offres [israéliennes] généreuses » dont les Palestiniens ont souffert. La CIJ indique clairement que [les territoires palestiniens occupés] ne sont pas des territoires israéliens avec lesquels ils peuvent être généreux. De plus, l’avis de la CIJ constitue un acte d’accusation contre Oslo : elle affirme que peu importe ce qui a été signé, la Palestine a toujours le droit à l’autodétermination et aucun accord ne peut remplacer ce droit.
Ma crainte est qu’Abou Mazen [le président Mahmoud Abbas] ne connaisse qu’un seul concept, celui des négociations. Je crains que les États-Unis et l’Europe occidentale n’exercent suffisamment de pressions pour qu’il dise : tout cela est très bien, mais nous pensons que les négociations sont la seule voie à suivre.
Et si vous deviez conseiller l’Autorité palestinienne, comment lui suggéreriez-vous d’aller de l’avant ?
L’AP devrait aller de capitale en capitale pour obtenir le soutien de l’idée selon laquelle les colonies sont illégales et que les colons doivent partir. Je n’envisagerais pas l’idée d’échanges de terres, comme ils l’ont fait dans le passé. Je n’envisagerais pas l’idée de négociations maintenant ; ce n’est pas un mauvais outil, mais les négociations doivent porter sur quelque chose. S’ils devaient, par exemple, négocier sur les pesticides, ou sur l’économie, ou sur la circulation des personnes, tout va bien. Mais négocier sur ses droits est quelque chose de très répugnant, et je ne peux pas croire qu’il y ait encore des gens qui pensent en ces termes en 2024.
Je leur conseillerais donc de faire tout leur possible pour s’assurer que les colonies et les colons s’en aillent – ce qui ne devrait pas faire l’objet de négociations – et qu’Israël commence à en payer le prix. Je comprends que le président palestinien est sous occupation militaire et que l’économie est sous le contrôle d’Israël. Mais il faut rompre avec cette dépendance.
Comment les dirigeants palestiniens peuvent-ils utiliser cette décision de la CIJ pour insister davantage sur la fin de la guerre à Gaza ?
Je ne pense pas que les dirigeants actuels soient capables de faire quoi que ce soit pour Gaza. C’est très triste pour moi de le dire, mais j’ai l’impression que beaucoup d’entre eux ne se soucient pas de Gaza.
Et si nous parlons de la direction palestinienne dans son ensemble, pas seulement de l’Autorité palestinienne ?
Premièrement, il faut qu’un leadership palestinien émerge grâce aux élections. Ma crainte maintenant pour Gaza est qu’il y a tout ce discours [international] sur le « qui » [qui prendra le relais], et il n’y a pas vraiment de discussion sur le « quoi ». Les gens pointent du doigt en disant que telle ou telle personne serait bonne, puis cela finit par se consolider autour d’Abou Mazen, comme s’il n’y avait aucune autre personne en Palestine capable d’être un leader.
Personne ne voudra entrer et être à la tête de l’Autorité palestinienne [sous sa forme actuelle]. Il y a une raison pour laquelle il n’y a pas eu de coup d’État à Ramallah depuis qu’Abou Mazen a pris le pouvoir : c’est un travail ingrat et stupide dans lequel vous êtes en réalité le sous-traitant de la sécurité d’Israël.
Ce qu’il faut, c’est un leadership élu crédible doté d’une stratégie et d’une vision globales pour tous les Palestiniens, mais particulièrement dès maintenant pour Gaza. Et pour moi, cela se concentre sur l’idée de tenir Israël pour responsable de tout ce qu’il a fait, en particulier depuis le 7 octobre. C’est décourageant d’entendre encore et encore [de la part des commentateurs et hommes politiques internationaux] que rien ne justifie [l’attaque du Hamas du] 7 octobre et pourtant, tout ce qu’Israël fait à Gaza est justifié par le 7 octobre. Il faut que nous commencions à battre en brèche cette idéologie et demander des comptes à Israël – alors vous pourrez commencer à reconstruire Gaza.
J’espère qu’une nouvelle direction palestinienne unie et élue prendra du recul, évaluera Oslo et les erreurs qui ont été commises, et évaluera ce moment pour aller de l’avant. Je ne pense pas que les dirigeants actuels soient capables de mener cette réflexion interne.
L’OLP a toujours eu cette obsession que la prise de décision palestinienne soit entre les mains des Palestiniens, et l’Autorité palestinienne s’en tient aujourd’hui à cette même obsession. Mais si l’AP ne gère pas correctement cette situation, et je soupçonne qu’elle ne le fera pas, nous verrons beaucoup plus de militants, le mouvement BDS et d’autres à l’échelle internationale reprendre le flambeau.
La décision se concentre sur les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967. Certains diront que cette portée est très étroite parce qu’elle ignore les crimes et violations remontant à 1948, ou qu’elle pourrait forcer les Palestiniens à accepter un avenir uniquement sur ces lignes de 1967. Comment gérez-vous les limites de cette décision pour la cause palestinienne ?
C’était en premier lieu la critique de la question de la CIJ, et je partage cette critique : en se concentrant uniquement sur 1967, vous donnez un laissez-passer à Israël. La seule façon de comprendre l’occupation est de comprendre ce qu’Israël a fait pendant la Nakba et pendant l’ère du régime militaire [en Israël], sous lequel les citoyens palestiniens ont vécu pendant 19 ans jusqu’en 1966. L’idée qu’on puisse séparer les deux [1948 et 1967] est une fiction.
Pour l’Autorité palestinienne, il y a deux raisons principales de se concentrer sur 1967 : la première est qu’elle considère l’occupation comme le préjudice immédiat qui doit être réparé, et la deuxième est que je pense qu’elle a abandonné 1948 il y a plusieurs décennies – pas seulement avec la signature de l’accord d’Oslo, mais même avant cela, avec la Déclaration d’indépendance de l’OLP en 1988.
Pour l’AP, il existe également un contexte politique limitatif. À bien des égards, ils ont renoncé aux réparations pour la Nakba, ce qui signifie en réalité qu’ils renoncent au droit au retour. Ils peuvent dire qu’ils y sont favorables, mais je ne le vois tout simplement pas.
Il existe une manière de parler de 1948 tout en conservant cette idée de compromis politique. C’est la position palestinienne depuis de nombreuses années, mais au cours des 20 dernières années, telle n’a pas été la position de l’Autorité palestinienne. Quand je prends du recul et que je regarde où ils en sont, je pense qu’il existe une forte conviction politique selon laquelle nous allons tout simplement abandonner 1948 – non seulement le territoire mais aussi le récit – afin d’essayer de préserver ce qui reste de 67.
Article original en anglais sur 972mag / Traduction MR