Veto sur la justice à Gaza : l’effondrement du Conseil de sécurité de l’ONU

Mohamad Hasan Sweidan, 7 février 2024. L’article 1 de la charte fondatrice de l’ONU proclame hardiment l’objectif principal de l’organisation :« Maintenir la paix et la sécurité internationales et, à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement des différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix. »

Malgré cette noble aspiration, l’ONU a systématiquement et massivement échoué à prévenir la guerre et à maintenir la paix. De 1946 – un an après la création de l’ONU – à 2022, le monde a été témoin de 285 conflits armés distincts, ainsi que de nombreuses affrontements à petite échelle.

Le génocide actuel à Gaza, lancé en octobre 2023, est le dernier sombre rappel de l’échec de l’ONU à remplir sa mission fondamentale, la transformant d’une lueur d’espoir de paix en un simple fournisseur d’aide pour atténuer les conséquences de ses manquements.

Depuis sa création, des dizaines d’agences onusiennes coûteuses ont vu le jour en raison de l’incapacité de l’organisation internationale à contrecarrer les conflits. Il s’agit notamment de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA), dédié uniquement aux soins des réfugiés palestiniens en Asie occidentale, dont beaucoup vivent encore sous des tentes suite à un conflit que l’ONU n’a pas résolu depuis 77 ans.

Et la situation empire à l’échelle mondiale. Selon les données de l’Université d’Uppsala en Suède, les conflits armés de toutes sortes – qu’il s’agisse de guerres interétatiques, de guerres civiles alimentées de l’extérieur ou d’affrontements entre divers groupes et États – sont en augmentation depuis la création des Nations Unies. En fait, « plus de décès liés aux conflits étatiques ont eu lieu en 2022 que n’importe quelle année depuis 1994 ».

Déséquilibre des conflits mondiaux

Il est troublant de constater que cette tendance ne montre aucun signe de ralentissement, en particulier en Afrique et en Asie, notamment en Asie occidentale. On note que les seules régions où l’incidence des conflits a diminué sont l’Europe et les Amériques. Sans surprise, les populations des continents qui subissent de plein fouet les conflits armés nourrissent des doutes sur l’efficacité de l’ONU et de son Conseil de sécurité.

Ces statistiques confirment le principal grief du Sud : dans la période post-Seconde Guerre mondiale, l’Occident s’est concentré sur la réduction des tensions dans sa propre sphère tout en jouant un rôle de premier plan dans l’alimentation des conflits dans d’autres parties du monde. Et cela explique la réaction indignée de l’Europe face à la guerre par procuration menée par l’Occident contre la Russie en Ukraine, qui a ramené la guerre sur les côtes européennes.

Un examen plus approfondi révèle un changement dans la nature des conflits, les « guerres directes » ne constituant qu’une fraction du total. En 2022, les guerres directes représentaient 17 % de tous les conflits, ce qui représente une augmentation significative par rapport aux 9 % de l’année précédente. Ce changement souligne la prolifération des guerres par procuration, des conflits internes soutenus de l’extérieur et des affrontements entre acteurs non étatiques et États souverains.

L’année 2022 a été marquée par une augmentation inquiétante de 142 % des morts liées aux combats par rapport à l’année précédente, avec plus de 204.000 vies perdues.

Le coût humain de ces conflits est atroce. Depuis 1946, d’innombrables vies ont été perdues et des communautés brisées, sous la surveillance d’une ONU incapable – ou peu disposée – de freiner l’effusion de sang. Les statistiques donnent à réfléchir, avec des millions de morts attribuées à des conflits que l’ONU n’a pas considérés.

Comment les États-Unis protègent Israël au Conseil de sécurité

En théorie, le Conseil de sécurité de l’ONU est chargé du maintien de la paix et de la sécurité mondiales, mais se retrouve entravé par l’exercice récurrent du droit de veto, notamment lorsqu’il s’agit de questions concernant Israël.

En tant qu’État membre permanent, les États-Unis ont utilisé leur droit de veto avec une fréquence sans vergogne pour protéger l’État d’occupation de toute responsabilité pour ses nombreuses atrocités contre le peuple palestinien et ses actes d’agression répétés contre ses voisins d’Asie occidentale.

En effet, les États-Unis ont eu recours à leur droit de veto 89 fois depuis la création du Conseil, et plus de la moitié de ces veto ont été utilisés pour contrer des résolutions critiquant Israël. Au 18 décembre 2023, les États-Unis ont utilisé leur privilège de veto 45 fois pour bloquer des mesures concernant l’occupation des territoires palestiniens par Israël et le traitement qu’il réserve au peuple palestinien.

Étonnamment, sur les 36 projets de résolution relatifs à Israël et à la Palestine depuis 1945, 34 ont été victimes du veto américain, protégeant ainsi Tel Aviv de toute responsabilité pour ses violations du droit international – y compris du droit humanitaire et des droits de l’homme.

La plupart des résolutions ont été rejetées par les veto de Washington qui appelaient à « fournir un cadre de paix dans le conflit israélo-palestinien qui dure depuis des décennies », notamment à « exiger qu’Israël respecte les lois internationales, en appelant à l’autodétermination d’un État palestinien » et /ou « condamner Israël pour avoir déplacé des Palestiniens ou construit des colonies dans les territoires palestiniens occupés ».

Soutenir le génocide

L’attaque militaire en cours de Tel Aviv contre Gaza démontre ce parti pris bien ancré. Malgré une condamnation généralisée des atrocités israéliennes, qui incluent le ciblage de civils, d’hôpitaux, de journalistes, d’écoles et de mosquées – et même un arrêt de la Cour internationale de Justice (CIJ) appelant l’État d’occupation à « prévenir les actes de génocide » – Washington a obstinément opposé son veto à toute résolution critiquant Israël ou plaidant pour un cessez-le-feu militaire.

Le projet de résolution proposé par l’Algérie fin janvier, qui appelait sans équivoque à un cessez-le-feu immédiat, s’est heurté à l’opposition des alliés d’Israël au sein du Conseil de sécurité, prêts à exercer leur droit de veto pour protéger Israël de la censure.

Le soutien indéfectible de Washington à Tel-Aviv l’emporte toujours sur son engagement à faire respecter le droit international et à protéger les civils. L’incapacité du Conseil de sécurité de l’ONU à agir de manière décisive – ou à se réformer – face à des violations aussi flagrantes mine non seulement la crédibilité des institutions internationales, mais perpétue également une violence incontrôlée dans les zones de conflit comme Gaza.

L’attaque brutale et sans précédent d’Israël contre la bande de Gaza a « causé plus de destructions que la destruction d’Alep en Syrie entre 2012 et 2016, que Marioupol en Ukraine ou… le bombardement allié de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale », a rapporté l’AP en décembre.

Le nombre actuel de morts parmi les civils a dépassé celui des neuf mois d’assaut mené par Washington contre la ville irakienne de Mossoul en 2017.

De plus, trois semaines seulement après le début de sa campagne de bombardements massifs, Israël a tué plus d’enfants à Gaza que le nombre d’enfants tués dans tous les conflits du monde sur une année entière.

Cette hausse inacceptable des pertes en vies civiles à Gaza constitue une condamnation accablante du soi-disant « ordre mondial fondé sur des règles », révélant qu’il n’est guère plus qu’une façade pour faire avancer les intérêts impériaux occidentaux.

L’obstruction systématique des résolutions critiquant Israël révèle le besoin urgent d’une réforme au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et d’une réévaluation des principes sur lesquels il fonctionne. D’ici là, les victimes du conflit continueront de payer le prix de l’inertie du Conseil et de l’opportunisme politique de ses membres.

Ironiquement, l’indifférence du Conseil de sécurité des Nations Unies à l’égard du droit international renforce l’idée de plus en plus répandue selon laquelle l’anarchie ne peut être combattue que par la force. À Gaza, où près de 30.000 Palestiniens ont été brutalement tués au cours des quatre derniers mois, la résistance armée palestinienne est le seul moyen d’obtenir justice contre un État d’occupation « protégé ».

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR

A propos de l’auteur : Mohamed Sweidan est chercheur en études stratégiques, écrivain pour différentes plateformes médiatiques et auteur de plusieurs études dans le domaine des relations internationales. Mohamed se concentre principalement sur les affaires russes, la politique turque et la relation entre la sécurité énergétique et la géopolitique. Son compte X : @mhmdsweidan