Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 15, 25 & 26.01.2024

Brigitte Challande, 25 janvier 2024. 1ère partie des témoignages : du 20.11 au 15.12.2023. 2ème partie : du 18 au 27.12.2023. 3ème partie : du 30.12.2023 au 01.01.2024. 4ème partie : les 3 et 4 janvier 2024. 5ème partie : les 7 et 8.01.2024. 6ème partie : les 9 et 10 janvier 2024. 7ème partie : du 11 au 15 janvier 2024. 8ème partie : du 16 au 18 janvier 2024. 9ème partie : nouveaux récits, du 16 au 18 janvier 2024. 10ème partie : les 18 et 19 janvier 2024. 11ème partie : les 19 et 20 janvier 2024. 12ème partie : les 21 et 22 janvier 2024. 13ème partie : 22 janvier 2024. 14ème partie : 23-24 janvier 2024.

Marsel envoie des photos des agriculteurs le 25/01 au soir et une vidéo dont voici les commentaires le 26/01 :

« Les travaux se poursuivent également pour installer les quatre salles de bains. Le fournisseur s’est excusé du retard dû au martyre de plusieurs membres de sa famille et nous a informés qu’il assurerait le suivi et terminerait les travaux prochainement.

Pendant que nous tournions un reportage sur les pertes des agriculteurs, l’agriculteur disait qu’ils prenaient des risques en travaillant dans ces zones. Un obus d’artillerie près de nous interrompit notre conversation avec le bruit de sa gigantesque explosion. Le fermier dit que les bombardements sont généralement beaucoup plus proches. L’agriculteur a conclu en disant que les récoltes ne sont pas importantes car elles ont été détruites. En effet, ce qui importe désormais, c’est d’approvisionner en eau les déplacés de la zone. A noter que le puits d’eau destiné à l’irrigation des terres a été installé par le propriétaire foncier pour approvisionner en eau les personnes déplacées, car il y a environ 300.000 personnes déplacées autour des terres agricoles à l’ouest de Rafah. Le propriétaire terrien a sacrifié ses terres et ses récoltes pour fournir un peu d’eau aux déplacés. »

La vidéo montre et explique qu’actuellement l’eau est nécessaire pour les déplacé.e.s et pas pour les cultures…..

Cette vidéo je ne peux l’envoyer que par Watts’app…..

Propos d’Abu Amir avec Sarah par Messenger le 24/01 et par téléphone le 25/01

« Les communications sont enfin rétablies, même si l’Internet est très lent.

Je voudrais dire d’abord qu’il y a un très grand nombre de familles dans la zone où nous agissons, que le nombre de familles a augmenté depuis que nous avons commencé à distribuer des repas, et donc que la quantité nécessaire a augmenté. Nous avions l’habitude de distribuer l’équivalent d’une grande marmite de collectivité, ce qui correspondait à deux marmites moyennes. Cela ne suffit plus du tout, on en est arrivé à ce qu’une cinquantaine de familles repartent sans rien – sachant que certaines familles marchent 2 km pour rejoindre notre point de distribution. Aujourd’hui, nous avons augmenté la quantité à une grande marmite et demi, ce qui équivaut à trois marmites moyennes, comme le montrent les photos. C’est le minimum nécessaire.

Deux groupes locaux sont venus nous voir travailler, ils ont beaucoup apprécié ce que nous faisons. Ils étaient si contents, ils ont proposé de prendre en charge les jours où nous n’intervenons pas. Ce sont des groupes locaux, pas des associations enregistrées, ils sont en relation avec des donneurs, pour l’un en Jordanie et pour l’autre en Turquie.

Nous pourrions alors travailler deux jours au lieu de trois, et nous nous sommes mis d’accord avec les deux groupes qui couvriront la même quantité (3 marmites moyennes) pour le reste de la semaine. Ainsi, nous pouvons distribuer une plus grande quantité de nourriture pour les personnes déplacées sur nos deux jours, au prix que nous avions défini pour trois jours de distribution, donc en restant dans le budget, et les deux autres institutions garantiront le reste de la semaine. Est-ce acceptable ?

S’ils le peuvent, les deux groupes essaieront de fournir un deuxième repas certains jours.

Le pire est à venir. Les tanks de l’occupation sont entrés dans la zone à l’ouest de Khan Yunis avant hier, ils ont détruit de nombreuses maisons et installations, et ont tué plus de 50 personnes déplacées dans cette zone. Les soldats sont entrés dans l’université Al Aqsa, qui était pleine de déplacés, ils les ont chassés vers le centre de Khan Younis, puis obligés de continuer vers l’ouest. De nombreuses écoles sont assiégées, y compris l’école où se trouvent les agriculteurs de Khuza’a – Abu Taïma.

Il y a ainsi de mauvaises nouvelles pour les agriculteurs déplacés dans l’école de Khan Yunis. Hier, quand les tanks de l’occupation ont encerclé l’école, ils ont tué 3 personnes qui étaient assises devant l’école. Les écoles assiégées ont demandé l’aide de la Croix Rouge, mais personne n’est venu, les cadavres des tués sont restés dans les cours des écoles.

Je suis allé à l’Hôpital Européen pour avoir des nouvelles. Le dernier contact avec les paysans déplacés a eu lieu cet après-midi, et ils nous ont déclaré que les tanks étaient stationnés à dix mètres de l’école : ils ne peuvent que difficilement sortir des salles de classe ou des tentes. »

Une question posée par Sarah : comment trouve-t-il encore de la nourriture à acheter ?

« Il y a une grande pagaille avec l’entrée des camions transportant l’aide alimentaire, pagaille favorisant des vols et détournements, qui aboutissent à ce qu’une partie des denrées se retrouvent proposées à la vente… à des prix que les familles ne peuvent pas envisager : de la nourriture on en trouve, mais les gens ne peuvent pas l’acheter.

Depuis hier, il y a un effort de la police gazaouie pour enrayer le phénomène, mais c’est sans espoir. De son côté, l’armée israélienne dépouille les gens, leur argent, leurs objets en or, et fait des razzias dans les bâtiments des organisations, comme au siège du Croissant Rouge, où ils ont tout volé. »

Cette conduite de pillage de l’armée israélienne entraîne une situation inattendue. Sarah demande à Abu Amir comment il se débrouille pour acheter les denrées, puisque l’argent collecté arrive bien sur son compte, mais pas « dans sa main », car le système bancaire est à l’arrêt ?

« Il y a de l’argent liquide en circulation, les trésoreries des entreprises, les derniers salaires, les réserves… Tous comprennent que cet argent liquide a de grande chance d’être volé par l’armée d’occupation, mais ils ne peuvent pas le déposer en banque, puisque rien ne fonctionne dans ce domaine. Les gens qui me connaissent préfèrent me le donner, sachant à quoi je l’utilise, et que je pourrai leur rendre quand les banques rouvriront. Ils me disent : « Prends ce dont tu as besoin, avec toi l’argent est en sécurité ! ».

Quand les banques reprendront leur travail, j’aurai accès à l’argent de la collecte et mettrai les comptes à jour. »

« Un mot sur l’état d’esprit d’amis non politisés, avec lesquels j’ai l’habitude de discuter. Ils expriment qu’ils considèrent qu’il y a un aspect positif à la situation, c’est la prise de conscience des peuples du monde entier sur la réalité de la Palestine. Ils envisagent aussi le cessez-le-feu comme un moment de changement radical nécessaire. Eux ne veulent plus entendre parler du Hamas, ils le considèrent failli, donnant l’exemple de l’incapacité du mouvement à rétribuer ses propres salariés. Ils sont très en colère contre les dirigeants.

Enfin, il y a une très grande attente à notre égard de la part des paysans impliqués dans les projets depuis 2016. Le travail va être énorme pour remettre les terres en culture, ce sera juste impossible sans aides conséquentes. Leur espoir est pour leurs terres, mais ils auront grandement besoin d’être appuyés. »

Une jolie anecdote.

« Il va aux nouvelles près de l’Hôpital Européen, rencontre un ami de la famille du mokhtar Abu Jamal et lui demande aussitôt : ‘Le château d’eau est-il toujours debout ? Quand même, réagit son interlocuteur, tu pourrais commencer par me demander des nouvelles, par exemple, de ma femme… Alors oui, aux dernières nouvelles, le château d’eau est toujours debout. »

Nous avons eu un échange par WatsApp avec Marsel sur la décision de la Cour Internationale de Justice rendue ce vendredi 27 Janvier, voici son analyse :

« Bien sûr, nous ne sommes pas satisfaits. Il faut appeler les choses par leur nom propre. La manipulation de la terminologie à la lumière de la cascade de sang qui saigne depuis 113 jours menace toutes les conceptions de l’humanité et de la protection des civils. De même, ne pas émettre de décision ou d’appel d’urgence pour forcer Israël à arrêter la guerre est une invitation à poursuivre l’effusion de sang. En tant que civil palestinien déplacé, j’ai perdu ma maison et 5 membres de ma famille, et je pourrais en perdre davantage. Je ne me soucie pas des lois, je ne me soucie pas de la compétence des tribunaux et je ne me soucie pas des preuves, des chartes et des lois. Ce qui m’importe, c’est que tout cela est un outil pour arrêter l’effusion de sang et protéger la vie des innocents qui tombent et sont tués à chaque instant alors que la guerre se poursuit. La question la plus importante est de savoir pourquoi nous en sommes venus à considérer la vérité comme un gain et une victoire. Tout le monde sait qu’Israël a commis des massacres de guerre. Même Israël et ses dirigeants militaires le savent, mais qu’avons-nous fait pour protéger ceux qui restent ? Condamner Israël est un droit légal pour protéger l’humanité des actes de génocide, et c’est un droit naturel garanti par les lois. Et quand on parle d’Israël, et qu’on se contente de dénoncer ou de condamner les actes de génocide, tout le monde applaudit comme s’il s’agissait d’une victoire. C’est un droit et le droit le plus simple. Cependant, il est d’usage que tout le monde considère Israël au-dessus des lois, jusqu’à ce que son procès pour les atrocités dont nous avons tous été témoins devienne une victoire pour nous, et que nous oubliions que le génocide continue. Je conseille que le procès soit reporté jusqu’à ce qu’Israël ait fini de perpétrer le génocide, afin de préserver le temps des membres du jury et de la communauté internationale.

Sous les tentes, les enfants dorment sur des matelas…

… posés sur le sol trempé à cause des grosses pluies hivernales.

J’espérais qu’une décision serait prise pour arrêter la guerre ou œuvrer pour l’arrêter. La poursuite de la guerre et le fait que je continue à regarder les visages de mes enfants, à penser à ce qui va se passer et à m’attendre au pire des scénarios m’ont toujours fatigué, fatigué tout le monde. Bien sûr, condamner Israël pour avoir commis des actes de génocide ou soupçonner Israël de commettre des actes de génocide est aussi une condamnation de l’Europe et de l’Amérique, car elles sont partenaires et ont soutenu dès le début la guerre contre Gaza, et elles sont partenaires dans des actes de génocide. Le tueur est un et le blâme est le même, que vous tuiez de vos propres mains ou que vous financiez la guerre avec des missiles qui provoquent le meurtre. C’est pourquoi l’Amérique et certains pays européens sont dans une situation pire qu’Israël lui-même. Israël est partie au conflit, mais l’Amérique a envoyé des avions chargés d’armes pour tuer les Palestiniens et elle n’est pas partie au conflit. L’Amérique et l’Europe tenteront par tous les moyens de se protéger en protégeant Israël et en veillant à ce qu’il ne soit pas condamné. »

En même temps, j’entendais Gilles Devers, avocat pénaliste à l’initiative de la peine à la Cour Pénale internationale interviewé à la télé par le Média dire « que quelque chose est en train de bouger. Les Palestiniens ont fait progresser le droit international… » A quel prix…

Au matin du 27 janvier, Marsel nous envoie cette photo (les enfants qui dorment dans l’eau) avec le commentaire suivant :

« C’est comme si le ciel les pleurait, certaines des souffrances vécues par les enfants palestiniens déplacés dans la bande de Gaza par temps pluvieux. »

et cette information : Pilonnages d’artillerie et frappes aériennes sionistes continus ciblant les zones ouest et sud de Khan Yunis et les environs de l’hôpital de campagne jordanien. Cela coïncide avec le déplacement continu de personnes de Khan Yunis vers Al-Mawasi et Rafah, à l’extrême sud de la bande de Gaza.

Marsel envoie le commentaire de cette décision aux conséquences très graves concernant l’ UNRWA :

«  Dans le cadre de la politique d’étouffement, de famine et d’humiliation, il y a eu une conspiration contre l’UNRWA et une nouvelle tentative de liquider la question palestinienne. L’UNRWA a été classée parmi les participants aux événements du 7 octobre, et l’Amérique et l’Australie et maintenant le Canada, l’ Italie (…) ont cessé ou décidé de cesser de soutenir financièrement l’agence. Chers camarades, c’est une déclaration dangereuse, comme si tout se passait selon un scénario préalable. Le ministre israélien des Affaires étrangères : ‘Nous saluons la décision de Washington de cesser de financer l’UNRWA’ et l’agence n’en fera pas partie au lendemain de la guerre. L’UNRWA n’est pas seulement une institution ou une porte d’entrée pour l’entrée de matériel de secours destiné aux réfugiés. La dissolution et la liquidation de l’UNRWA en tant qu’institution internationale qui s’occupe des réfugiés palestiniens signifie la dissolution de la reconnaissance internationale des droits des réfugiés palestiniens et de leur droit au retour et à l’autodétermination. Ce qui donne à l’UNRWA son importance et sa singularité, c’est le contenu politique de son activité, car c’est la seule agence des Nations Unies qui apporte un soutien à un groupe de réfugiés (les réfugiés palestiniens), et qui a été témoin de leur sort, en plus d’être le symbole de l’engagement international pour remédier à leur situation, en particulier la mise en œuvre de la résolution n° 194, qui stipulait que le paragraphe 11 de celle-ci prévoyait le retour des réfugiés dans leurs foyers ou la réinstallation avec compensation. »

Marsel nous envoie un extrait d’article publié dans l’édition imprimée du journal Al-Ghad et sur le site Internet du journal le 31 décembre 2023, duquel est cité le paragraphe suivant :

« Focus sur le plan préparé par Netanyahu pour liquider l’UNRWA, qui consiste en 3 étapes. Les experts en droit international considèrent que ce ciblage de la bande de Gaza est une tentative de liquider la cause palestinienne et la question des réfugiés, car les civils sont contraints à une migration forcée. Un reportage israélien révélait que le Premier ministre Benjamin Netanyahu préparait un plan visant à retirer l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) de la bande de Gaza, à la suite de la guerre actuelle. Elle a déclaré que ce rapport publié par le ministère des Affaires étrangères est « hautement confidentiel » et comprend des recommandations selon lesquelles ce plan devrait être exécuté en trois étapes, « dont la première consiste à révéler une prétendue coopération entre l’UNRWA et le mouvement Hamas, répertorié sur les listes terroristes américaines. La deuxième étape consiste à réduire les opérations de l’UNRWA et à rechercher différentes organisations pour fournir des services d’éducation et de protection sociale aux Palestiniens de Gaza. La troisième étape sera « le processus de transfert de toutes les fonctions de l’UNRWA à l’organisme qui gouvernera Gaza après la fin de la guerre ».