Comment les coûts de la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza s’accumulent

William Booth et Itay Stern, 31 décempbre 2023. Il peut paraître obscène d’évaluer le coût financier croissant de la guerre d’Israël à Gaza alors que les bombes continuent de tomber sur l’enclave assiégée, alors qu’ en moyenne, des centaines de Palestiniens meurent chaque jour – aux côtés d’un nombre inférieur, mais historique, de soldats israéliens.

Destruction de véhicules militaires de l’occupant israélien dans le quartier Al-Tuffah de Gaza-ville (source Al-Mayadeen)

Pourtant, l’économie qui sous-tend cette agression, qui dure depuis des semaines, a de sérieuses implications pour Israël, les Palestiniens et le Moyen-Orient.

On n’a pas encore commencé à évaluer le coût pour Gaza, bien que clairement dévastateur. Environ la moitié des bâtiments et deux tiers des habitations de la bande de Gaza ont été endommagés ou détruits, 1,8 million déplacés et plus de 21.000 morts, selon le ministère de la Santé de Gaza.

L’économie israélienne a aussi été affectée – et c’est Israël, plus que le Hamas, qui décidera de l’arrêt des hostilités. Certains économistes comparent le choc subi par l’économie israélienne à la pandémie de coronavirus en 2020. D’autres estiment que la situation pourrait être pire encore.

Depuis le 7 octobre, lorsque les combattants du Hamas et de ses alliés sont sortis de Gaza pour tuer environ 1.200 personnes en Israël et prendre 240 otages, les dépenses et les emprunts du gouvernement ont grimpé en flèche, les recettes fiscales ont chuté et les notations financières pourraient bien s’avérer désastreuses.

Le produit intérieur brut va chuter, passant d’une prévision de croissance de 3 % en 2023 à 1 % en 2024, selon la Banque d’Israël. Certains économistes prédisent une récession.

L’impact sur le secteur israélien de la haute technologie – moteur de l’économie – donne à réfléchir.

De nombreux réservistes de l’armée israélienne travaillent dans le secteur de la technologie. Chaque jour passé à combattre à Gaza, leurs employeurs luttent pour poursuivre leurs investissements en recherche et développement et pour maintenir leur part de marché.

Dimanche, le contre-amiral Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, a déclaré que certains réservistes appelés à combattre à Gaza rentreraient chez eux « auprès de leurs familles et de leur travail », au moins temporairement.

« Cela permettra de soulager considérablement l’économie », a-t-il déclaré lors d’un point de presse.

Les décideurs politiques et les leaders d’opinion se demandent maintenant : comment le coût de la guerre influencera-t-il sa durée ? Quand le gouvernement décidera-t-il de crier victoire, de mettre fin à l’hémorragie fiscale et de reprendre ses efforts pour développer l’économie ?

Quel est le coût de la guerre ?

Au cours des longues guerres en Irak et en Afghanistan, les dirigeants américains ont habitué les Américains au principe de sang et trésor.

Israël a dépensé des trésors pour déployer en moyenne plus de 220.000 réservistes au combat pendant les trois derniers mois et subventionner leurs salaires.

Bon nombre de ces réservistes travaillent dans les domaines de la haute technologie, dans les domaines de la cybersécurité, l’agriculture, la finance, la navigation, l’intelligence artificielle, produits pharmaceutiques et solutions climatiques. Le secteur technologique israélien dépend des investissements étrangers. Toutefois, ces investissements diminuaient déjà avant la guerre, en partie parce que les investisseurs craignaient l’instabilité générée par le gouvernement de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu – et ce malgré l’annonce récente d’Intel de la construction prochaine d’une usine de puces électroniques, pour un montant de 25 milliards de dollars dans le sud, plus gros investissement jamais réalisé par une entreprise en Israël.

Non seulement Israël doit payer les réservistes, les bombes et les balles, mais il doit aussi subvenir aux besoins des 200.000 personnes évacuées des villages le long de la frontière de Gaza et de la frontière nord avec le Liban, que le Hezbollah bombarde quotidiennement.

Nombre de ces personnes évacuées sont logées et nourries dans des hôtels du nord et du sud, aux frais du gouvernement.

Beaucoup sont traumatisés.

Beaucoup ne travaillent pas.

Quoi d’autre?

Le tourisme stagne. Les plages de Tel-Aviv et la vieille ville de Jérusalem n’ont pas de visiteurs étrangers. Les célébrations de Noël à Bethléem, en Cisjordanie occupée, ont été annulées.

Le secteur du bâtiment, qui fait habituellement appel à la main-d’œuvre palestinienne de Cisjordanie, est pratiquement à l’arrêt. Depuis qu’Israël a lancé son assaut pour éradiquer le Hamas, il a suspendu les permis de travail de plus de 100 000 Palestiniens.

Les exportations sont en baisse dans tous les domaines. Les champs gaziers d’Israël en mer Méditerranée ont été fermés au début de la guerre et sont désormais partiellement opérationnels.

A ce jour, quel est le coût de la guerre pour Israël ?

Les économistes interrogés par le Washington Post estiment que la guerre a coûté au gouvernement environ 18 milliards de dollars, soit 220 millions de dollars par jour.

Zvi Eckstein, ancien gouverneur adjoint de la Banque d’Israël et économiste à l’Université Reichman, a récemment analysé les chiffres avec des collègues et a rapporté que l’impact sur le budget de l’État – y compris la baisse des recettes fiscales – pour le quatrième trimestre de 2023 était de 19 milliards de dollars et serait probablement de 20 milliards de dollars au premier trimestre de 2024.

Cela en supposant que la guerre ne s’étende pas au Liban.

Que se passera-t-il si une guerre plus large éclate avec le Hezbollah ?

Les coûts vont monter en flèche.

Quel sera le coût total ?

Une guerre qui durerait encore cinq à dix mois pourrait coûter jusqu’à 50 milliards de dollars à Israël, selon le journal financier Calcalist. Cela équivaudrait à 10 % du PIB.

La guerre pourrait se terminer plus tôt – ou pas. L’administration Biden s’attend à ce qu’Israël passe au cours de la nouvelle année de bombardements de haute intensité et combats de rue acharnés à des assauts plus ciblés. Mais Netanyahu a averti que la guerre « n’est pas près d’être terminée ».

« La guerre durera encore de nombreux mois », a-t-il déclaré samedi.

Comment ces coûts sont-ils mesurés ?

Yaron Zelekha, professeur à l’Ono Academic College et ancien économiste au ministère israélien des Finances, affirme qu’il est important de comprendre les répercussions de la guerre.

Il y a le coût de la guerre, le déclin brutal de l’activité économique et la chute des revenus qui en résulte. Les dépenses déficitaires entraînent des coûts d’emprunt qui pèseront sur le budget longtemps après la fin des combats.

Qu’en pensent les Israéliens ordinaires ?

Quarante-cinq pour cent des Israéliens reconnaissent craindre que la guerre ne leur cause des difficultés économiques, selon un sondage réalisé par l’organisation caritative Lalet.

Des économistes ont déclaré au Washington Post que les attaques du Hamas ont été une catastrophe, érodant la confiance des citoyens, des entreprises et des investisseurs dans le gouvernement et dans l’armée. Il faudra du temps pour regagner cette confiance.

Comment cette guerre de Gaza se compare-t-elle aux conflits passés ?

Les économistes disent de l’économie israélienne moderne qu’elle est remarquablement résistante. Le pays a mené des guerres régionales sur son territoire en 1967 et 1973 ; les guerres au Liban et le long de sa frontière nord en 1982 et 2006 ; une bataille de 50 jours à Gaza en 2014 ; et deux Intifadas, ou soulèvements, en Cisjordanie occupée, qui ont vu des combats soutenus entre Palestiniens et soldats israéliens.

« Lors de la deuxième Intifada, une grande partie des dégâts a été causée par une mauvaise gestion économique », a déclaré Zelekha. « Le gouvernement a dépensé beaucoup trop d’argent et a simultanément augmenté les impôts. »

« La principale différence entre hier et aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, la dette publique atteignait 100 % du PIB, et non 60 % comme aujourd’hui. Notre situation aujourd’hui est bien meilleure. »

Quel est le coût pour les travailleurs ?

Le service de réserve, les déplacements et les répercussions de la guerre ont entrainé l’inactivité de 20 % des travailleurs israéliens.

« L’économie israélienne a connu une onde de choc comparable au pic de la pandémie de COVID-19 », a déclaré Michal Dan-Harel, directeur général de Manpower Israël, la plus grande agence pour l’emploi du pays. « Des pans entiers de l’économie ont été mis à l’arrêt pendant près de deux semaines. Les gens étaient sous le choc. Chaque jour a révélé l’ampleur de la crise, et les discussions sur la normalité, comme le travail ou le fait de gagner sa vie, sont devenu presque illégitimes. »

L’impact des déploiements de réservistes a été particulièrement dramatique, a déclaré Dan-Harel, parce que « les personnes sont appelées sans savoir quand elles retourneront au travail… Personne ne s’attendait à ce que les gens soient enrôlés pour une période de trois mois ou plus. »

L’économie est-elle assez solide pour résister à la guerre ?

« Au cours des 25 dernières années, Israël a gravi la montagne avec des poids aux pieds », a déclaré Erel Margalit, entrepreneur en haute technologie et investisseur en capital-risque.

Il parlait des guerres et des intifadas – et des défis plus récents. La tentative du gouvernement Netanyahu, avant la guerre, de limiter le pouvoir du système judiciaire – qui a déclenché des manifestations massives pendant des mois – a nui aux investissements internationaux, a déclaré Margalit, ancien membre du parlement israélien.

« La guerre est un coup supplémentaire », a-t-il ajouté. Il préconise, après la fin de la guerre, un New Deal de type FDR (ndt : Franklin D. Roosevelt) pour favoriser l’innovation, l’éducation et la création d’entreprises dans les régions durement touchées du nord et du sud.

Quelle est l’importance de l’aide américaine pour l’économie israélienne ?

Très importante.

Les États-Unis fournissent à Israël un soutien militaire de 3,8 milliards de dollars chaque année. Les deux pays partagent des technologies de défense pour donner à Israël un avantage stratégique sur ses adversaires. Les États-Unis vendent aussi à Israël des centaines de millions de dollars de bombes, de missiles et d’obus.

La Maison Blanche fait pression pour l’adoption d’un projet de loi de financement supplémentaire pour une aide de14 milliards de dollars à Israël début de 2024. Le projet de loi est bloqué au Congrès alors que les républicains et les démocrates débattent du financement de la frontière américaine.

Itai Ater, économiste à l’Université de Tel Aviv et chercheur principal à l’Institut israélien pour la démocratie, a qualifié le financement américain de « crucial ».

« Nous parlons d’environ 50 milliards de shekels (13,8 milliards de dollars) », a-t-il déclaré. « Si les dépenses de guerre atteignent environ 150 à 200 milliards de shekels, elles constitueraient un quart des coûts de la guerre. Il s’agit d’une somme extrêmement importante qui donne au gouvernement américain la possibilité d’exercer une pression diplomatique sur nous, ce qui est une bonne chose, compte tenu de notre gouvernement. »

Zelekha a ajouté : « Si nous devions financer cela nous-mêmes, cela poserait un problème encore plus grand. D’autre part, le fait même de recevoir de l’aide signale aux marchés financiers que nous avons un soutien économique, ce qui les rassure. »

« Nous devons remercier chaleureusement le président Biden pour cette aide », a-t-il ajouté.

Article original en anglais sur The Washington Post / Traduction Chris & Dine