Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza (partie 2 du 18 au 27.12.2023 )

Brigitte Challande, 30 décembre 2023. La première partie des témoignages concerne la période du 20 novembre au 15 décembre 2023. Retrouvez-la ici.

Les réfugiés du nord et du centre de la bande de Gaza entassés à Rafah. L’occupation israélienne a procédé comme en 1948 : massacrer la population, anéantir les villages (Deir Yassine ou Tantura à l’époque et plus de 500 autres – aujourd’hui Gaza-ville) pour terroriser les Palestiniens et les pousser à fuir.

Marsel d’Ibsn Sina le 18 Décembre par WatsApp

« Une action importante est mise en place par l’équipe Ibn Sina en direction de la foule de familles installées à l’arrache sur les zones non construites autour de Rafah, à savoir la construction de toilettes, éléments indispensables pour tenter de freiner les dangers sanitaires liés à la misère physiologique des familles ainsi entassées sans aucune infrastructure. »

Abu Amir, 18 décembre matin, par téléphone conversation retranscrite par Sarah

A l’échange rituel « comment ça va ? », Abu Amir répond : « nous sommes toujours vivants… pour nous ça va, on a la maison, on est beaucoup mieux que les familles installées dehors…

Le pire des pires c’est le nord. On abat les ânes pour les manger… »

Dans la maison d’Abu Amir, la famille s’habille le plus chaudement possible chaque soir et se rassemble dans une pièce la plus éloignée des fenêtres. Ils sont ainsi prêts à s’enfuir si la maison est attaquée. Internet est coupé à répétition. Abu Amir a mis une solution en route avec son fils hors Gaza… Rien n’est sûr pour les jours qui viennent.

1) La situation au sud

L’armée d’occupation est dans Khan Younis. Les soldats demandent à la population de se déplacer vers Rafah. Mais les gens ne le veulent pas : ils savent qu’il n’y a plus de possibilité d’abris, ils seront en plein air, et complètement à la merci des mini-hélicoptères dont je vais parler ci-dessous.

Alors ils s’efforcent de remonter vers Deir-al-Balah et Nuseirat, et donc là, le nombre de déplacés, déjà aberrant, grossit sans cesse.

La surveillance de l’armée israélienne s’effectue par un grand nombre de tout-petits hélicoptères, des quadcopters. De diverses tailles, très maniables, espionnant avec caméras et photos, repérant les visages, pouvant transporter des charges explosives ou être munis d’armes automatiques. Commandés comme l’étaient les tours tueuses depuis des centres de contrôle bien à l’abri. Ces engins se faufilent jusque devant les fenêtres. Le soldat s’adresse aux personnes, donne des ordres, exige l’ouverture des fenêtres. Et documente avec caméra en direct tous les mouvements.

Les familles encore à Khan Younis ne veulent pas aller s’installer dans le rectangle, entièrement nu et sans la moindre infrastructure, déclaré « zone sûre » par l’armée israélienne (cette zone, Al-Mawasi, s’étend du bord du governorat de Khan Younis jusqu’à Rafah, le long de la côte, sur une largeur d’à peu près 2 km). Ils craignent trop le fait que, là-bas, ils seront entièrement visibles, y compris leurs visages. Ils savent les quadcoptères extrêmement dangereux. On a pu les voir agir sur l’hôpital Kamal Adwan.

Ces quadcopters sont des centaines au-dessus de la bande de Gaza. Abu Amir en a vu voler une vingtaine autour de sa maison.

2) La zone d’action d’Abu Amir

L’équipe (formée de ses fils et de proches) s’efforce de tenir le compte du nombre de familles installées sur la zone où ils rayonnent. Mais avec l’invasion de Khan Younis, le nombre augmente sans cesse. Certaines familles peuvent être organisées avec leur mokhtar, ceux-ci envoient alors quotidiennement à l’équipe les nouveaux noms à prendre en compte.

Toutes les tentes ont été distribuées, c’est ce qui manque le plus, mais pour l’instant l’équipe n’arrive plus à en dénicher nulle part. Ils continuent à distribuer et rechercher les jerricans d’eau. Et ils arrivent à servir des centaines de repas.

Aucune aide institutionnelle n’arrive. Ce qui entre est presque exclusivement distribué à Rafah.

De plus, nous dit-il, nous nous efforçons d’organiser les familles autour de nous, et nous avons mis sur pied un groupe de défense de notre zone.

3) « la désagrégation de la société, une possibilité ? » Ce sont les propos d’Abu Amir

« Quand des camions d’aide sont en déplacement, il peut arriver qu’ils soient attaqués et leur cargaison volée. A Deir-el-Balah, la police ayant pris place dans un camion a ouvert le feu et tué les voleurs.

Il faut comprendre qu’il y a des milliers et des milliers de familles affamées. Les coupeurs de route revendent le butin à 200 % du prix… Comprenez qu’on en est là pour la nourriture : en famine.

Les familles puissantes, appuyées sur 2.000, 3.000 personnes, s’organisent en mafias. La police ne peut pas contrôler l’ensemble. J’ai vu, à Deir-al-Balah, la police entrer dans une école-abri et en ressortir avec de nombreuses personnes arrêtées.

Netanyahou l’a dit : “nous amènerons les Gazaouis à se manger les uns les autres”.

Pour les jours qui viennent

Nous devons inscrire 10 à 15 familles nouvelles par jour, venant de Khan Younis, de Burej, etc.

Nous voulons vérifier le nombre de personnes, établir des listes fiables. Il nous faudrait absolument plus de tentes, une cinquantaine, mais nous n’en trouvons pas, et toujours davantage de jerricans d’eau potable.

Et tout ce qui peut permettre d’étanchéifier les abris, du film de nylon, n’importe quoi… Il pleut et il fait froid, là je parle depuis la maison, mes mains sont gelées.

Nous continuons sur la fabrications des repas, très importants pour les familles bien sûr.

Pour la question du paiement des fournitures, je tiens une liste précise, Ismail en a un double, pour que, quoiqu’il arrive, vous, donneurs, honoriez les factures.

Nous considérons la possibilité de faire du pain, avec l’aide de deux personnes compétentes.

Et aussi la possibilité de faire quelque chose de sucré, comme des bonbons, pour les enfants.

Pour que vous compreniez la question des prix : une boite d’œufs qui coûtait normalement 30 ILS se trouve aujourd’hui à 600 ILS… 1.000 $ ont actuellement la puissance d’achat de 20$ autrefois… »

Ci-dessous un état des lieux au 17/12/23 concernant les pêcheurs transmis à Sarah par Zacharia, qui est le délégué du syndicat des pếcheurs à Gaza, l’équivalent de l’UAWC pour les paysans, d’ailleurs ils travaillent ensemble.

Un grand nombre de pêcheurs ont été tués pendant la guerre

Environ 70 % des pêcheurs ont été déplacés vers des centres d’hébergement. 30 % restent piégés par les bombardements dans la ville de Gaza.

Le port de Gaza a été complètement détruit en plus de toutes les installations des pêcheurs, du marché aux poissons et de la destruction de 99% des grands navires

La plupart des grands bateaux de pêche ont été détruits, et il ne reste plus que 7 grands bateaux sur 96. Ce qui reste à ce jour se répartit comme suit :
– 5 grands bateaux à Gaza
– 1 grand bateau à Khan Yunis
– 1 grand bateau à Rafah
Par ailleurs, il ne reste qu’environ 25 petits bateaux sur les quelque 450 bateaux que compte la bande de Gaza.Toutes les installations du port ont également été détruites, y compris les entrepôts des pêcheurs et le principal marché aux poissons du port. Les ports de la région nord de Gaza ont été complètement détruits.
Pour le reste des gouvernorats, le pourcentage de destruction partielle se situe entre 40 et 50 %.

Message téléphonique d’ Abu Amir à Sarah le 21/12/23

C’est le premier soir, depuis longtemps où il fait nuit : pas de bombardements en ce moment sur Nusseirat. Nous savons qu’il y a au Caire des discussions, pour un tout petit moment de calme ? Les nouvelles qui arrivent de la ville de Gaza, par plusieurs familles en fuite, sont terribles : tant de cadavres jonchant les rues. Nombreux bombardements, puis les soldats qui ont pris pied dans la ville arrivent, ils ordonnent aux gens de sortir des maisons, et les abattent directement.

Un récit parmi d’autre : un appel à la Croix Rouge, pour des gens blessés, et la réponse : « Nous ne pouvons répondre après 8h le soir, nous n’avons plus ni infirmières ni médecins. Mais d’où appelez-vous ? – de Moldavie ».

Les communications internes sont coupées, les deux réseaux téléphoniques principaux, l’Internet.

Comment comprendre cet acharnement ? La résistance a tué beaucoup de leur gens, ils veulent tuer un maximum de Gazaouis à leur tour. Les résistants se battent ensemble, le Hamas, le Jihad Islamique, le Fatah, le FPLP ; mais le leader est le Hamas, au sens où c’est lui seul qui publie les informations.

Ici à Nusseirat on voit toujours arriver de nouvelles nombreuses familles, quittant Burej, Magazi, les abords de la route Salah ad-Din. Hier, nous sommes allés dans une partie de Nusseirat où s’entassent, s’abritant dans les ruines, de nombreuses familles. Ils ont appelé l’UNRWA, pour expliquer qu’ils n’avaient rien à manger depuis plusieurs jours, mais l’UNRWA ne pouvait rien faire. Nous avons pu distribuer 100 repas, ce n’est pas beaucoup mais il n’y avait pas de possibilités supplémentaires.

Les cuisines qui préparent les repas ne peuvent plus travailler chaque jour, plus de matériel, plus de produits, plus de bois pour cuire. Elles fonctionnent un jour sur deux. C’est pourquoi nous n’avons pu faire préparer que 100 repas, en n’en distribuant qu’un seul par petites familles.

Nous cherchons toujours des tentes, soit des stocks non encore trouvés (on nous en a promis une dizaine, pas plus, et on ne les a pas encore), soit même des particuliers ayant encore une maison et vendant leur tente. Nous trouvons encore des jerricans à remplir d’eau potable, c’est très important pour les familles.

Recouvrer l’argent de la solidarité est toujours aussi difficile. Les envois Western Union depuis la France sont extrêmement limités, pour le prochain je dois attendre un délai de 30 jours. Les banques « palestiniennes » sont très lentes à enregistrer les virements de l’étranger. Passer par un compte étranger d’un pays d’où WU applique moins de restriction est pour l’instant le plus efficace.

Il faut comprendre l’extrême fatigue des Gazaouis. « Je pense que si maintenant, une porte s’ouvrait pour la sortie de Gaza, les gens sortiraient ». Abu Amir décrit ses discussions avec les nombreux déplacés installés au long de la rue qu’il a emprunté hier pour se rendre dans une des écoles-refuge, à deux km de chez lui : des gens épuisés, se parlant tout seuls, constatant que leurs autorités les ont laissé complètement seuls. Oui, s’ils peuvent, ils s’échapperont.

Au seul hôpital restant, à Deir al Balah, il n’y a plus la place de poser un pied. C’est bondé de médecins, de réfugiés, de blessés qui ne peuvent même plus être pris en charge, allongés par terre, pour lesquels les médecins ne peuvent plus rien.

L’un des médecins a dit à Abu Amir : « cela fait trois jours que je n’y vais plus, je n’y trouve rien à faire, on ne peut plus rien pour les blessés. A l’appel : ‘venez docteur, ce blessé a besoin de soins’, l’un des médecins a répondu : ‘laissez-le mourir tranquillement, nous ne pouvons pas l’aider’. Je jure que dès que je ferme les yeux je rêve de ces gens, je ne peux plus dormir ».

Car les survivants des bombardements sont dans des conditions épouvantables, une histoire parmi d’autres : un médecin qui venait de tenter d’installer des enfants, aux visages entièrement noircis, sort un instant, et voit sa femme à la porte. ‘Que fais-tu là ?’. ‘Mais c’est nos enfants que tu viens de recevoir là’. Il a fallu qu’il tente de nettoyer les visages pour les reconnaître…

L’occupation s’acharne contre les soignants. Chaque jour on apprend la mort d’un médecin. Vous pouvez trouver des listes sur Internet.

Message d’ Abu Amir le 22/12/23 au matin annonce une nouvelle terrible

Abu Amir a reçu l’ordre d’évacuer sa maison qui abrite des centaines de personnes sans savoir ni où aller ni comment se protéger.

Message de Mariam à Pierre le 22/12/23

Bonsoir mon ami je ne comprends pas la France La situation à Gaza est catastrophique C’est inimaginable Je me sens folle et opprimée, dans quelle époque nous sommes, où est la conscience mondiale En tout cas, nous gagnerons la Palestine. Nous gagnerons malgré le nez des sionistes néo-nazis. Tu me manques beaucoup et je t’aime. Ma situation au Caire est difficile pour le logement et la vie. J’espère que la guerre prendra fin immédiatement et que nous reviendrons à Gaza. Salutations chaleureuses à vous et à tous vos amis.

Abu Amir au téléphone le 23/12/23 au soir

Toute sa famille et ses frères sont entassés dans la maison de Tasnim, entre Nusseirat et Deir al-Balah. Il y a maintenant deux grandes poches de déplacés, une au centre et une à Rafah, 1 million de personnes chacune. Il décrit les rues comme des rivières de gens, qui ne savent absolument pas où aller, allant, revenant. Toutes les personnes qui s’abritaient dans sa maison sont à la rue.

Il envoie ici le compte rendu des repas distribués. Il va essayer coûte que coûte de continuer.

Abu Amir au téléphone avec Sarah le 24/12/2023

Un nouveau jour où les souffrances de la population de la bande de Gaza augmentent. Chaque matin, il y a un nouveau déplacement de milliers de personnes. Ces gens ne savent pas où aller. Certains habitants se rendent à Deir al-Balah et certains habitants de Deir al-Balah se rendent à Nuseirat, et un état de panique et de confusion règne parmi la population. Dès que l’armée d’occupation a annoncé l’évacuation de la zone au nord de Nuseirat, des milliers d’habitants ont commencé à fuir par peur, non pas des bombardements, mais de l’arrivée des soldats d’occupation avec des chars pour commencer des exécutions sur le terrain, comme dans les zones du nord. Après le retrait des mécanismes d’occupation de la région de Beit Lahia, le Croissant-Rouge a découvert des dizaines de cadavres exécutés. Directement, certains d’entre eux ont été jetés dans les rues et d’autres dans des trous, de sorte que la plus grande peur de la population est devenue les besoins et les exécutions sur le terrain.

Avant-hier, des milliers d’habitants ont été déplacés précipitamment de la région de Nuseirat après les avertissements envoyés par l’occupation. La plupart d’entre eux se sont installés dans la région d’Al-Sawarha, qui est la zone la plus proche d’Al-Nuseirat depuis le sud. Nous avons donc suivi leur localisation et une équipe de deux personnes a commencé à leur distribuer des repas, mais 10 minutes après la distribution, des centaines de réfugiés ont commencé. En attaquant la voiture transportant les repas, ils ont commencé à crier et à menacer l’équipe, à tenter de voler les repas et à se rassembler autour de la voiture. Cependant, l’équipe a pu entrer dans la voiture dans un entrepôt voisin, fermer les portes et distribuer les repas depuis l’intérieur du magasin jusqu’à ce que les repas soient terminés. Après cela, l’équipe a annoncé la fin des repas, l’entrepôt a été ouvert et le coffre de la voiture a été ouvert à la vue des gens. Plus de repas et puis les gens ont commencé à s’éloigner et l’équipe est alors repartie en toute sécurité. Cela signifie que la situation est catastrophique et que les gens commencent à se battre pour obtenir de la nourriture en raison d’une faim extrême. Le personnel ici travaille donc rapidement pour fournir aux gens ces repas qui permettront à ces familles de rester en vie. Aujourd’hui, l’équipe de travail a fourni 300 repas et ceux-ci ont été distribués, mais le nombre de repas fournis n’est malheureusement pas suffisant pour le grand nombre de réfugiés.

Le lien des photos et vidéos : comme dit Sarah les vidéos brisent le coeur…..

Abu Amir, 25 décembre matin, au téléphone avec Sarah

« Ce matin, très forts bombardements sur l’est de Burej et Maghazi, on compte déjà plus de 70 morts, et le bilan va s’alourdir.

Nous sommes toujours sans électricité ni essence, avec de l’eau impropre à la consommation, des enfants qui vont dans les rues sans rien sur eux.

Hier nous avons pu distribuer 300 repas, distribution marquée par l’attaque sur l’équipe. Quand, une fois la distribution terminée, j’ai pu m’entretenir avec certains, leur demander pourquoi cette attaque, la réponse a été : « c’est parce que nos enfants n’ont rien à manger, et nous voulons qu’ils survivent ».

Je suis allé dans une zone où de très nombreux déplacés, 350 familles, s’entassent dans une école qui était en chantier, sans encore de portes ni de fenêtres. Cela correspond à un millier de personnes. Ils m’ont demandé de venir et m’ont montré leur locaux, pour faire la preuve de ce qu’ils disaient, qu’il n’y a plus là la moindre nourriture depuis la veille.

Il faudrait préparer 1.000 repas, on a la possibilité de le faire avec les cantines avec lesquelles on fonctionne depuis la première distribution de repas le mois dernier, mais il faut se coordonner avec les responsables de ces lieux, obtenir un ordre de leur part, parce qu’il s’agit de l’engagement d’une somme très importante, probablement de l’ordre de 25.000 ILS. Nous allons le faire. »

Message d’Abu Amir retranscris par Sarah le 26/12/23 : bombardements incessants, flot de réfugiés, absence de protection et pas d’approvisionnement.

Dans la zone centrale où nous sommes, il n’arrive absolument aucune aide, strictement rien de l’aide internationale, qui est absorbée en entier par Rafah, et, déjà dans une moindre part, Khan Younis. Quant à la ville de Gaza et tout le nord, ils n’ont rien de rien. Les troupes israéliennes quittent semble-t-il les villes (Gaza et les villes du nord), se dirigeant vers l’est.

Au contraire, les troupes terrestres envahissent la zone centrale, les tanks sont entrés dans les centres d’al-Burej et de Maghazi. Toute la nuit il y a eu d’intenses bombardements sur l’est de Burej, de Maghazi, et aussi un peu sur l’est de Deir al-Balah. Ce sont des bombardements depuis des tanks. À l’ouest de Nusseirat, ils ont bombardé depuis la mer, très près de la maison que nous avons abandonnée il y a deux jours. Comprenez que les tanks sont maintenant au centre d’al-Burej. Cette nuit les bombardements étaient si intenses que personne n’a pu dormir. Et maintenant, ils bombardent aussi le camp de Nusseirat, par avion.

Sur la route c’est un flot de réfugiés, des voitures à ânes, transportant des matelas, etc., s’échappant du camp d’al-Burej, du nord de Nusseirat, c’est comme une rivière. Ils essaient d’échapper vers Rafah. J’ai demandé à une personne : – vous allez où ? – Vers Rafah. – Vous resterez où à Rafah ? – On n’en sait rien du tout.

Imaginez qu’un petit emplacement, je ne dis pas un appartement ni une maison, un emplacement à Rafah, vous allez devoir payer quelques 4.000 ILS (1000 euros), pour avoir le droit d’y entrer. Parce que c’est tellement surchargé de gens.

J’attends une bouteille de gaz, ou de l’essence. L’essence maintenant est à 80 ILS le litre, la bouteille de gaz à 300 ILS (on m’en a promis une, mais je ne la vois pas venir). Parce que maintenant les troupes israélienne sont si près, à 1 km de la route Salaadin, à quelques 2 km de là où nous vivons maintenant. Je voudrais beaucoup mettre ma famille plus à l’abri à Rafah.

Marsel le 27/12/23 écrit en sous texte d’une vidéo de destruction qu’il envoie

Les photos sont arrivées il y a quelques minutes de notre région. Tout a été détruit. Notre maison, la maison de ma grand-mère, l’école de l’agence Unwra en face de chez nous. La Clinique de l’agence, le Puits d’eau. Cette zone de Beit Hanoun s’appelle Haret Abu Odeh. Elle a été entièrement détruite en 2014, y compris l’école de l’agence à cette époque. Les maisons et l’école ont été reconstruites et maintenant elles ont été de nouveau détruites.

Marsel a visité ses parents cet après-midi :

Ensuite, je suis allé chez mon père et ma mère. Leur état psychologique était mauvais. Un ami de la famille du Nord a envoyé des photos de notre maison. Pour eux, la maison est un souvenir. C’est l’endroit qui nous a réunis contre vents et marées, c’est notre petite patrie, selon ma mère. J’espère que cette crise passera et que tout ira bien pour nous et tous.

Ils sont forts et nous l’avons appris d’eux. La maison, ce sont les souvenirs que nous avons vécus pendant l’occupation, essayer de supprimer cela. Comme vous le savez, nous avons construit notre maison à la mi-2012 et l’occupation l’a démolie lors de la guerre de 2014. Nous sommes retournés la reconstruire en 2015, et maintenant ils l’ont démolie, et comme mon père me l’a dit ce soir, nous la reconstruirons encore et encore.

Abu Amir au téléphone le 28/12 avec Sarah : retranscription de la conversation

Abu Amir appelle depuis sa maison de Nusseirat, où il est retourné pour un bref moment pour profiter de la connexion. Il doit faire vite, c’est un endroit très dangereux. Tous les alentours de la maison sont déserts. Abu Amir considère qu’il doit emmener sa famille à Rafah, quand même moins exposé. Mais tout le monde tente de se diriger vers Rafah, même ceux non directement visés par un ordre explicite d’évacuer : ce qui s’est passé à Gaza-ville en est une cause essentielle. Quand les tanks sont entrés, quand les gens ont voulu bouger de la ville, ils ont été massacrés dans la rue, du sang partout.

Abu Amir est le responsable de la famille élargie : 6 personnes chez son frère, 3 pour Tasnim, 6 pour sa famille directe. Dix-huit personnes, et juste une voiture, pour laquelle il n’a toujours trouvé ni essence, ni bouteille de gaz. Comment transférer tout ce monde ? Comment s’installer dans un Rafah entièrement recouvert d’abris de fortune ?

 Rapport d’activités oral

« Hier nous avons pu distribuer 950 repas aux personnes déplacées réfugiées dans l’école Zawaida (Al-Zawaida Joint Preparatory School for Refugees). Nous envoyons par mail la liste des bénéficiaires. Nous avons procédé ainsi : dans chaque classe de l’école, les gens sont organisés avec un responsable de la classe, et c’est ce responsable qui est venu à la voiture prendre tous les repas nécessaires pour la classe dont il est responsable.

On trouve parmi ces déplacés un grand mélange : des familles venant du nord de la bande de Gaza, mais aussi de Burej, Maghazi, Nusseirat.

Nous sommes ainsi passé dans toutes les écoles que nous pouvons atteindre.

Par contre j’ai vu hier un « jardin » surchargé de déplacés, on devrait leur servir aussi des repas, mais pour l’instant je ne trouve plus de riz, ni la plupart du matériel nécessaire. J’ai repéré des poulets dans une exploitation agricole, le propriétaire m’a dit : ‘puisque vous distribuez les repas gratuitement, je vous réserve tout ce que j’ai’.

Beaucoup de choses sont suspendues au fait que je trouve de l’essence ou du gaz. La situation devient intenable, et les prix fluctuent sans logique, car il y a aussi la revente par les familles qui tentent de descendre à Rafah et ne peuvent emmener certaines choses, mais alors ils découvrent que les prix qu’ils peuvent en tirer est bien inférieur à celui auquel ils les ont achetés.

Je le répète, la valeur de ce qu’on a dans la poche a été divisée par 4, à montant égal, depuis le début des bombardements : 1.000 $ correspondent maintenant à 250 $ d’avant.

Par contre les prix sont fous, on peut demander à Rafah 800 $ pour le droit de partager un petit appartement avec une famille déjà installée.

Nous ne savons pas où nous allons. Netanyahou insiste pour tuer. Les médias internationaux sont stupides, comment vont-ils justifier d’avoir soutenu cela.

Pour la Résistance, seul parle le Hamas, et très mal. Il a déclaré dans un média : protéger la population, ce n’est pas notre responsabilité, mais celle de l’UNRWA… Et les autres groupes de la Résistance suivent sans dire un seul mot, seul lui parle. Mais imagine, l’occupation a totalement détruit le nord de la bande de Gaza. Quand les gens pourront rentrer à ce qui était chez eux, ils vont les manger.

Il reste l’extrême misère. Quand les gens se sont déplacés du nord vers le sud, les soldats d’occupation les ont rançonnés, ont pris tout l’argent possible, tout ce qui pouvait se voler.

Du coup pour nous tous, en zone centrale, la question urgente est d’aller à Rafah. Parce que la peur est que l’occupation coupe la route, et que l’on sait ce que cela veut dire d’exactions et d’exécutions sur ceux qui essaieront alors de bouger, alors chacun voudrait passer avant. Les images de ce qui s’est passé à Gaza-ville nous hantent tous, par exemple ce stade avec des milliers de personnes entassés, sans vêtements.

Tant qu’on ne peut pas regarder la télé, on arrive à vivre, mais dès qu’on peut l’allumer, on ne peut plus que pleurer. »

Dans la région d’Al-Zawaida, plus précisément dans l’école préparatoire communale pour réfugiés d’Al-Zawaida, plus de 350 familles ont trouvé refuge dans cette école en cours de construction, s’abritant entre ses murs des bombardements, du froid et de la pluie.
La plupart de ces familles ont quitté les régions de Nuseirat et de l’est de Bureij. Les habitants du nord-ouest de Nuseirat, ainsi que des camps de Bureij et de Maghazi, ont été informés qu’ils devaient se diriger vers la région de Deir al-Balah.
Les habitants du nord-ouest de Nuseirat ont évacué, mais les habitants de l’est de Bureij et de Maghazy n’ont pas respecté cet avertissement, de sorte que l’occupation a commencé à bombarder la zone à l’est de Bureij le 24 décembre au soir et a continué jusqu’au matin du 25 décembre à bombarder les zones orientales du camp de Bureij d’une manière insensée, ce qui a entraîné le déplacement des habitants qui se sont réfugiés dans la zone Al-Zawaida, plus précisément vers cette école et quelques rues attenantes, à la recherche de sécurité.
Ces familles n’ont pas dormi ni mangé pendant deux jours. J’ai parlé à de nombreuses familles pendant leur déplacement et pendant les bombardements. Pendant deux jours, personne ne s’est soucié de ces familles et ni l’UNRWA ni aucune autre institution ne leur a fourni de nourriture ou d’aide.

Cette école est entièrement remplie de réfugiés et, pendant que j’y étais, certaines familles sont venues à l’école et n’ont pas trouvé de place dans les salles de classe, si bien qu’elles ont préféré s’installer dans la cour de l’école plutôt que de rester dans la rue.
Personne ne peut imaginer à quel point les conditions de vie des déplacés qui se trouvent dans cette école et dans les environs sont mauvaises. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni rien pour dormir. Ils ont quitté leur maison à la hâte et n’ont rien pu emporter avec eux.

Certaines familles ont pu apporter ce qu’elles pouvaient, mais la plupart des réfugiés sont partis sans rien.

La bande de Gaza à ce jour à cette heure

La bande de Gaza peut maintenant être décrite, si on la compare aux pays voisins ou à ce qu’elle était avant le 7 octobre, comme une zone qui est devenue hors du cadre de la civilisation.
La plupart des maisons, des magasins, des écoles, des hôpitaux, des laboratoires et des lieux de culte ont été entièrement ou partiellement détruits. On voit des décombres partout, et la plupart des rues sont fermées par les débris des maisons.
Les eaux usées sont partout, et pour parler franc dans toutes les rues, ce qui a conduit à la propagation d’épidémies. Les enfants marchent dans les rues sans chaussures, dans les eaux usées, car il n’y a pas d’endroit propre où ils peuvent marcher.
Les charrettes tirées par des animaux sont omniprésentes et ont remplacé les voitures, devenant le principal moyen de transport et d’acheminement des marchandises
L’électricité est presque inexistante, sauf dans certaines maisons équipées de panneaux solaires. Ce sont les rares maisons qui ont survécu aux bombardements ou qui n’ont pas été endommagées par les éclats d’obus.
De même, l’accès à l’internet est quasiment inexistant, sauf par le biais de cartes SIM électroniques achetées à l’étranger,  en envoyant des codes qui sont téléchargés sur les réseaux israéliens disponibles. Il faut pour cela qu’il y ait de l’électricité pour recharger le téléphone, et ces réseaux sont disponibles dans des zones très élevées, de sorte qu’il est possible de capter le réseau et de surfer en ligne par leur intermédiaire.
En bref, la bande de Gaza est revenue des décennies en arrière et devra être reconstruite pendant au moins dix ans, pour qu’elle redevienne ce qu’elle était avant le 7 octobre.
Sur le plan humain, tous les habitants de la bande de Gaza ont besoin d’une reconstruction psychologique, en particulier les enfants et les femmes. Voici un petit résumé de la situation dans la bande de Gaza.

 Aujourd’hui, mercredi 27 décembre, 950 repas ont été distribués aux réfugiés de l’école préparatoire commune d’Al-Zawaida et aux tentes situées autour du mur de l’école.
La veille de la distribution, l’équipe de travail a procédé au recensement de ces réfugiés, et les repas ont été distribués en fonction des listes enregistrées (la liste des familles auxquelles les repas ont été distribués sera incluse).
La distribution de ces repas a bénéficié à 392 familles, soit 2.069 personnes.
Les responsables de cette école ont remercié pour ce don qui a permis à ces réfugiés de tenir bon, en espérant que cette institution continuera à donner.

Article original sur Altermidi.