Des prisonniers palestiniens libérés de Gaza racontent la torture « infernale » dans une prison israélienne

Sally Ibrahim, 22 décembre 2023. Les autorités israéliennes ont récemment libéré des dizaines de Palestiniens de lGaza-ville et d’autres parties du nord de la bande de Gaza qu’elles avaient raflés et emmenés, les yeux bandés, déshabillés et maltraités sous prétexte qu’ils appartenaient au mouvement de résistance armée islamique Hamas.

Dans des entretiens séparés avec The New Arab (TNA), plusieurs Palestiniens ont décrit comment ils ont vécu des « jours d’enfer » dans les salles d’interrogatoire au cours de leurs semaines d’arrestation, y compris la torture. Ils ont été privés des droits humains les plus fondamentaux et sans accès à des avocats ou à des organisations de défense des droits humains.

« Les enquêteurs israéliens, qui se sont donnés des noms arabes, nous ont soumis à une torture physique et psychologique systématique pour obtenir de nous des informations liées au Hamas et à la résistance palestinienne », a déclaré à TNA un prisonnier palestinien récemment libéré.

Avichai Adraee, porte-parole de langue arabe de l’armée israélienne, a publié plusieurs fois, sur son compte X, de courtes vidéos documentant les arrestations de plusieurs Palestiniens dans le nord de la bande de Gaza, décrivant des scènes clairement inhumaines dans lesquelles ils ont été déshabillés et forcés à poser avec des armes.

Parmi les détenus identifiés dans les images se trouvait le journaliste arabe de TNA, Diaa Al-Kahlout.

Le processus d’arrestation

Mohammed, un Palestinien déplacé de Beit Lahia, faisait partie des personnes apparaissant dans les vidéos partagées par Adraee. Il a expliqué comment lui et d’autres ont été contraints par l’armée israélienne de se déshabiller, de porter des armes et de marcher pieds nus avant d’être transportés dans de gros camions militaires vers Israël.

« Ils nous ont bandés les yeux avec des morceaux de tissu, nous ont attaché les mains avec des liens en plastique et nous ont obligés à garder la tête baissée tout le temps pendant notre transfert vers les centres d’interrogatoire », décrit Mohammed, qui a préféré garder son nom de famille anonyme pour des raisons de sécurité.

Mohammed raconte : « Nous avons été durement frappés sur tout le corps. Ils (les soldats israéliens) nous ont craché dessus et nous ont injuriés avec des mots obscènes. Ils parlaient couramment la langue arabe et ont délibérément insulté nos mères et nos pères. »

« J’avais peur car les soldats menaçaient tous de nous exécuter après avoir obtenu des informations relatives au Hamas et à sa force militaire », a-t-il ajouté.

Cependant, la situation allait empirer pour Mohammed après son transfert dans une prison israélienne. Là, il a décrit comment l’armée israélienne a rassemblé les détenus dans une cour après les avoir déshabillés de tous leurs vêtements et les avoir tous battus sans exception.

« Ils (les soldats israéliens) nous ont laissés dans le froid, sans nourriture ni eau et sans même pouvoir relever la tête. Ils nous ont traités comme si nous étions des animaux. Ils nous ont dit que nous étions des animaux et des porcs et que nous ne méritions pas de vivre. » dit-il, la voix brisée par l’émotion.

Pour Mohammee, le plus affreux fut que les enquêteurs israéliens ont délibérément forcé les détenus, y compris lui-même, à se tenir devant les portes des salles d’interrogatoire pour entendre les cris et la douleur des hommes et des femmes interrogés à l’intérieur.

Torture « infernale »

À l’intérieur de la pièce, Mohammed se souvient d’une expérience « infernale ». « Les premiers jours, quatre interrogateurs m’ont torturé physiquement à tour de rôle, jour et nuit. Ils m’ont craché au visage et m’ont insulté sans rien me demander », a-t-il expliqué.

« Je criais tout le temps à cause de l’intensité de la torture. Ils m’ont obligé à les supplier de me tuer, mais ils ne l’ont pas fait. Ils m’ont dit qu’ils ne nous laisseraient pas mourir facilement, car nous ne méritions pas l’euthanasie », a-t-il ajouté. .

Après des jours de torture continue, les enquêteurs ont emmené Mohammed, les yeux bandés, dans un endroit à l’air libre où étaient rassemblés d’autres détenus torturés.

« Nous n’avons pas osé parler. J’entendais seulement le bruit de leur respiration, qui gémissait de douleur comme moi », a-t-il déclaré, soulignant qu’ils sont restés dans cet endroit pendant deux jours sans nourriture, sans boisson et sans même pouvoir utiliser le toilettes.

Ensuite, a-t-il poursuivi : « Les enquêteurs m’ont ramené à nouveau dans la salle d’enquête, les yeux bandés et menotté. Là, ils m’ont retiré la cagoule pour la première fois, et j’ai rencontre un enquêteur nommé Abu Dawood et un autre qui n’a pas mentionné son nom tandis qu’un troisième se tenait derrière moi sans que j’ose le regarder ni même voir son visage. »

Selon Mohammed, les enquêteurs lui ont demandé son nom, son âge et des informations personnelles. Ensuite, ils lui ont demandé à tour de rôle les noms des dirigeants du Hamas, de leurs familles et proches, ainsi que de leurs voisins, en plus des dirigeants du Hamas morts lors des guerres précédentes et des sources de leur richesse et de leur argent.

« Ils savaient très bien que je n’appartiens pas au Hamas. Ils collectaient des informations supplémentaires par rapport à ce qu’ils savaient. Je leur ai répondu, mais à chaque réponse, l’un d’eux m’a battu sans aucune justification », a souligné Mohammed.

De même, Abdul Salam, un autre Palestinien capturé dans le nord de Gaza, décrit les circonstances exactes dans lesquelles lui et son frère ont été arrêtés et interrogés par les Israéliens.

Abdul Salam, qui a la trentaine, a perdu son frère dans ce processus ; il est mort alors qu’il était torturé par des enquêteurs israéliens.

« Je n’oublierai jamais la voix de mon frère alors qu’il criait fort ‘à l’aide’ pendant les premiers jours de torture. Mais après cela, mon frère a commencé à demander la mort (…) Il voulait échapper à la torture par la mort », a déclaré Abdul Salam. « Souvent, nous étions torturés dans la même pièce, mais lorsqu’il s’agissait d’enquêter sur le Hamas et sa force militaire, nous étions séparés », a-t-il ajouté.

Le moment le plus cruel pour Abdul Salam fut lorsque les enquêteurs lui ont annoncé la mort de son frère.

« L’enquêteur est venu vers moi avec une expression de colère sur le visage. Il a frappé la table et m’a dit que mon frère était mort, mais avant sa mort, il a admis que j’appartenais au Hamas. À ce moment-là, mes sentiments étaient mêlés, la tristesse à cause de la mort de mon frère et ma défense en affirmant que j’étais juste un fonctionnaire travaillant comme enseignant du gouvernement pour subvenir aux besoins de ma famille », a-t-il déclaré.

Abdul Salam a ensuite connu de nouveaux jours de torture.

Destin inconnu de centaines d’entre eux

Mohammed et Abdul Salam n’ont pas pu y croire lorsqu’un enquêteur israélien leur a annoncé qu’ils seraient libérés et retourneraient à Gaza.

« Je pensais que les propos des enquêteurs israéliens n’étaient qu’une couverture pour notre exécution, d’autant plus que nous avons été emmenés avec des dizaines de prisonniers dans un camion militaire ; ils nous ont laissés à des kilomètres de Kerem Shalom sans nous donner nos téléphones ni notre argent », a fait remarquer l’un d’eux à TNA.

Ils ont été contraints, avec des dizaines d’autres prisonniers libérés, de parcourir à pied des dizaines de kilomètres avant d’atteindre la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, sans savoir où se trouvaient leurs proches, s’ils étaient encore en vie ou s’ils avaient été tués lors des frappes aériennes aveugles d’Israël.

Jusqu’à présent, il n’existe pas de nombre précis de Palestiniens à Gaza capturés par l’armée israélienne, mais selon les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme, plus de 1.000 Palestiniens ont été enlevés par l’armée israélienne et emmenés vers des lieux inconnus.

Pendant ce temps, Israël continue également de détenir dans ses prisons 7.000 Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie occupée, dont 200 enfants et 62 femmes, selon des groupes de défense des droits humains.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR