Mon témoignage des années 2001-02 quant à l’impunité régnante en Palestine

Claudine Chaouiya, Marseille, le 23 novembre 2023Monsieur le Procureur de la Cour Pénale Internationale,

Apprenant que les statuts de la Cour me l’autorisent, je me permets de vous apporter ce témoignage qui me semble digne de s’ajouter aux plaintes déposées, dans l’espoir de mettre fin à l’impunité d’Israël et d’assurer les droits individuels et collectifs des Palestiniens.

Siège de la Muqata’a par les troupes d’occupation, mars 2002 (source Institute for Palestine Studies)

En Août 2001, avec une de ces missions civiles internationales organisées à l’époque, je me suis rendue en Palestine. Nous avons manifesté devant la Maison d’Orient, emblématique bâtisse dont le gouvernement d’Ariel Sharon venait d’imposer la fermeture. Lors des accords d’Oslo, Israël s’était pourtant engagé à préserver les institutions palestiniennes à Jérusalem-Est. Ce fut un concert international de protestations, des États-Unis aux pays arabes, en passant par l’Europe. Je croyais que cette fermeture ne serait que provisoire, qu’il n’était quand même pas possible de contrevenir à ce point aux accords internationaux. J’étais bien naïve.

Alors que j’étais bien informée des injustices faites aux Palestiniens, ce premier séjour en Palestine m’a profondément transformée. J’ai vu de près l’iniquité, la toute puissance des soldats armés mais aussi la résistance citoyenne des Palestiniens et de quelques Israéliens documentant les exactions aux check-points. J’ai ainsi cotoyé le pire et le meilleur de l’humanité. Nous avons rencontré des bédouins dans la région de Masafer Yatta qui, déjà à cette époque, étaient soumis à des exactions, destructions de campements et de puits. Nous avons été hébergés dans le camp de réfugiés de Deisheh, près de Bethléem, avons manifesté sur le check-point de Qalandia et rencontré Yasser Arafat.

Mais c’est au printemps 2002 que j’ai été témoin de ce dont l’armée israélienne est capable, et aussi de l’impuissance coupable de la communauté internationale et ses institutions. 

Le 31 mars au matin, j’étais avec des volontaires et au prix de détours incroyables, conduits par des Palestiniens, nous sommes arrivés dans un hôtel de Ramallah où nous avons rejoint d’autres délégations internationales. La ville était assiégée, sous couvre-feu, des destructions étaient visibles partout, des chars circulaient et on entendait des tirs d’armes automatiques. Partant de l’hôtel, un groupe d’une cinquante de personnes s’est rendu à l’hôpital qui était cerné par des chars. Nous avons négocié notre passage pied à pied, et là, j’ai assisté à des scènes terribles de militaires voulant entrer dans l’hôpital, de soignants faisant barrage, et de blessés mourants. Quand le calme est quelque peu revenu, les soignants nous ont demandé de rester pour protéger l’hôpital, mais nous avions des nouvelles alarmantes de la Muqata’a, siège de l’autorité palestinienne, qui avait été attaquée et où Yasser Arafat était assiégé. Certains parlaient d’un assaut imminent. Décision a été prise de diviser le groupe, certains internationaux sont donc restés et nous avons poursuivi à pied vers la Muqata’a, avançant lentement dans une ville fantôme, groupés, silencieux, portant haut nos drapeaux blancs. Je me souviens du canon d’un char suivant notre progression, d’une équipe de télévision (CNN je crois) filmant notre arrivée et de l’accueil des Palestiniens retranchés dans la Muqata’a. 

Je ne vous raconterai pas les 32 jours de siège, les privations, le manque d’eau, de nourriture, d’électricité, les conditions d’hygiène déplorables, la peur. Je ne vous raconterai pas non plus la solidarité, les échanges inoubliables avec les Palestiniens avec qui nous partagions ces moments difficiles. Si vous le souhaitez, je me tiens à votre disposition pour vous en dire plus.

Je voudrais seulement mentionner l’horreur des nouvelles qui nous parvenaient de l’assaut contre le camp de réfugiés de Jénine du 3 au 11 avril 2002, qui a conduit à la destruction totale d’un quartier du camp et des centaines de morts (Israël a refusé que l’ONU enquête sur ces événements). Dire aussi que lorsqu’on a appris que l’église de la Nativité à Bethléem était assiégée, j’ai encore voulu croire que les puissances occidentales allaient réagir, cela n’a pas été le cas.

31 mars 2002 : devant l’hôpital de Ramallah (photo Claudine Chaouiya)

Pour finir, je reproduis ci-dessous l’appel diffusé le 5 avril par notre groupe que nous avions baptisé « Les quarante de la Muqata’a » :

« Nous sommes plusieurs centaines d’internationaux engagés dans une campagne civile pour la protection du peuple palestinien présents en Palestine, à Ramallah, dans le palais présidentiel, dans les hôpitaux, à Jérusalem-Est et dans les camps de réfugiés de Bethléem et de Gaza.

Nous voulons depuis notre arrivée protéger le peuple palestinien contre les massacres commis sous nos fenêtres par les forces d’occupation israéliennes : bombardements des villes, des camps, des hôpitaux, des habitations et des infrastructures, rupture totale en approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments, exécutions sommaires de civils et de résistants, arrestations massives et arbitraires, attaques systématiques des ambulances, du personnel médical et des lieux de culte, exclusion des journalistes et des observateurs des zones occupées et ceci très souvent par la force.

Face à la faillite des Etats et des institutions internationales nous appelons les centaines de milliers et les millions de personnes qui se mobilisent dans le monde entier à faire le siège de toutes les représentations israéliennes ainsi que celles des instances internationales concernées et des gouvernements jusqu’à :

1 – la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens ;

2 – l’application immédiate de toutes les résolutions des Nations Unies et de la 4ème convention de Genève ;

3 – la mise en place d’une force internationale de protection du peuple palestinien.

Nous appelons les citoyens et citoyennes israéliens à manifester contre la politique criminelle de leur gouvernement.

Nous appelons chacun et chacune dans le monde entier à venir, ici et maintenant, en Palestine, pour participer aux actions de protection du peuple palestinien jusqu’à sa libération.

La résistance à l’occupation et à l’oppression est un droit et un devoir universel.

Signature : Les 40 citoyens internationaux présents en solidarité dans la résidence du Président Arafat. »

31 mars 2002 : avant l’entrée à la Muqata’a (photo Claudine Chaouiya)

Ce texte a été transmis par téléphone le vendredi 5 avril à 16 heures, après la visite de l’émissaire américain, le général Zinni, au président Arafat. Vous serez peut-être frappé comme moi de son actualité. Les exactions qui ont été tolérées il y a vingt ans sont aujourd’hui perpétrées avec une ampleur démesurée et le soutien affiché des gouvernements occidentaux.

Monsieur le Procureur, j’espère de tout cœur que la Cour Pénale Internationale fera preuve d’efficacité et poursuivra Israël pour les crimes commis depuis si longtemps. Les mots Justice, Égalité, Paix ont été vidés de leur sens, et l’humanité désabusée, désespérée, a vraiment besoin de voir ces valeurs de nouveau défendues avec honnêteté et détermination.

Veuillez recevoir l’expression de mes salutations respectueuses. 

Marseille, le 23 novembre 2023

Claudine Chaouiya

cchaouiya25@gmail.com