Mohammed El-Kurd, 22 novembre 2022. Le 24 octobre, j’ai participé à une conférence sur la solidarité entre Noirs et Palestiniens à la Harvard Kennedy School aux côtés de Marcus McDonald, l’organisateur principal d’une section indépendante de Black Lives Matter en Caroline du Nord.
Comme on pouvait s’y attendre, les sionistes ont été consternés par cet événement, invoquant la malveillance qui serait tapie dans mon âme et le sang que j’aurais sur les mains. Ils ont fait circuler des tracts truffés de pseudo-faits fournis par l’Anti-Defamation League, une organisation de “droits civils” pro-israélienne que j’appelle affectueusement l’Apartheid Defence League.
Quelques heures avant l’événement, les polices de Cambridge et de Boston ont reçu des appels insinuant vaguement une alerte à la bombe, ce qui a obligé la sécurité de l’université à rechercher des explosifs.
Je n’étais pas surpris ; ce n’était pas mon premier rodéo. Quelqu’un fait une déclaration mystérieuse, un autre peut écrire dans le journal étudiant que ma présence menace directement sa vie, alors l’université déploie la police et les détecteurs de métaux.
Il s’agit, à mon avis, de tactiques de peur destinées à étouffer les événements de défense de la Palestine ou à les annuler complètement. En fin de compte, l’événement de la Kennedy School n’a pas été annulé, mais la participation de personnes non affiliées à Harvard – une partie considérable des inscrits – a été interdite.
Pendant les questions-réponses, un étudiant a posé la question à un million de dollars : est-ce que je soutiens ou est-ce que je suis prêt à condamner les violences « commises par des militants palestiniens » ?
Dès que je suis descendu de l’estrade, j’ai appris que, pendant l’événement, des soldats israéliens avaient tué six Palestiniens lors d’un raid massif en Cisjordanie occupée qui a fait des dizaines de blessés. Il s’agissait de six des 199 Palestiniens tués par les forces israéliennes et les colons cette année.
Les six hommes tués étaient Qusai Tamimi, 20 ans, à Nabi Saleh, et Hamdi Sbeih Qaim, 30 ans, Ali Antar, 26 ans, Hamdi Sharaf, 35 ans, Mashaal Baghdadi, 27 ans, et Wadee Al-Houh, 31 ans, dans la ville de Naplouse, qui est assiégée depuis des semaines.
Al-Houh était un haut responsable du groupe de résistance de la guérilla récemment apparu, “la Tanière des Lions”, qui a revendiqué la responsabilité de diverses opérations de tir visant les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie.
Mon instinct, en tant qu’auteur qui écrit en anglais, est d’offrir un contexte expliquant pourquoi un groupe de jeunes hommes voudrait prendre les armes contre leurs occupants, mais le monde anglophone, ces derniers mois, a montré qu’il n’a pas besoin de contexte pour justifier la résistance aux occupations, tant que les occupants ne sont pas israéliens.
Si la remise en question de mon sentiment sur la violence peut sembler évidemment ironique compte tenu des faits sur le terrain, elle est trompeuse à dessein – un faux-fuyant flagrant. Comique, parfois. Prenez, par exemple, les anciens soldats israéliens qui assistent à mes conférences pour poser des questions moralisatrices, étant maintenant à la retraite après avoir participé à des raids sur les maisons et bandé les yeux d’enfants.
Ou lorsqu’un journaliste de la chaîne de télévision CNN, qui s’avère ironiquement être un Afrikaner, m’a demandé si je « soutenais les protestations violentes » alors que la chaîne diffusait des images vidéo de soldats et de colons armés agressant ma famille et mes voisins.
À ce moment-là, lorsque j’ai appris que les six hommes avaient été tués, il y avait deux mondes : le monde de l’occupation militaire brutale dans lequel ces gens vivaient et le monde tel qu’imaginé par l’étudiant qui m’a posé la question.
Mais cet étudiant, ce présentateur de télévision, ainsi que les diplomates et les observateurs du monde entier, ne sont pas seulement indifférents à la cause profonde de nos rébellions, après plus de sept décennies de confrontation à des canons de fusil ; ils sont aussi le plus souvent indifférents à la violence qui nous est infligée. À leurs yeux, notre mort est banale et habituelle, sanctionnée par des héros en uniforme qui suivent joyeusement les ordres. Au mieux, nous tuer est un mal nécessaire.
Mais même s’ils ne nous tuent pas, l’occupation reste violente. Et si le régime sioniste ne bombardait pas régulièrement la bande de Gaza ? Cela rendrait-il pacifique le fait de garder des millions de personnes dans une prison à ciel ouvert ? Les effusions de sang sont-elles le seul indicateur de la violence ?
Qu’en est-il des Palestiniens qui vivent près de la mer mais ne peuvent jamais y aller ? Que doivent-ils faire face au supplice de sentir son humidité salée qui pénètre dans leurs cuisines l’été, et aux vieilles photos des maisons de leurs grands-parents qui se dressent encore sur le rivage ? Dans quel monde la résistance à ces dépossessions est-elle condamnable ?
Je préfère me concentrer sur la dénonciation de la brutalité sioniste plutôt que sur les campagnes de diffamation ou le harcèlement et les menaces de mort. Ces diversions font inévitablement pâle figure en comparaison de la répression, la répression systémique et tangible, dont sont victimes les Palestiniens sur le terrain.
Mais cette répression sur le terrain est précisément la raison pour laquelle je dois aborder la situation ridicule dans laquelle se trouvent les défenseurs de la libération palestinienne dans le monde occidental.
Aujourd’hui, aux États-Unis, le militantisme politique et le sentiment national palestiniens sont tellement censurés que les militants se retrouvent à combattre des accusations sans fondement au lieu de s’organiser. Des adultes salariés de grandes institutions sionistes s’en prennent aux étudiants par des campagnes de dénigrement pour les décourager de participer à des actions de plaidoyer, menaçant parfois leur carrière et leurs perspectives universitaires.
L’ancien directeur général du ministère israélien des Affaires stratégiques (qui fait aujourd’hui partie du ministère des Affaires étrangères) a appelé cela « mener une campagne holistique contre l’autre camp. Le faire sortir de sa zone de confort. Faites en sorte qu’il soit sur la défensive ». Ils font de nous des criminels de la pensée, coupables de notre rage et de nos rancœurs, de nos réactions naturelles à la brutalisation – acculés et jugés.
Pourtant, d’une manière ou d’une autre, ceux qui poussent des cris d’orfraie devant les actions de la résistance la louent lorsque des Blancs y ont recours ou, plus précisément, lorsqu’elles sont menées par des personnes qui ne sont pas les ennemis de leur principal allié et qui ne menacent pas leurs intérêts régionaux.
Ces derniers mois, un titre du New York Post a fait l’éloge d’un kamikaze ukrainien « héroïque ». Un psychologue interrogé par le New York Times a décrit « la colère et la haine » dans le contexte de l’occupation comme « une réaction normale et importante à valider », déclarant que cette haine devrait être « canalisée vers quelque chose d’utile », comme « fabriquer des bombes incendiaires ».
Dans l’esprit du courant dominant américain, la violence semble être un concept en perpétuelle mutation. Elle est normalisée lorsqu’elle est sanctionnée par l’État, formalisée et exercée par des hommes et des femmes en uniforme. Les politiques de « tirer pour tuer », la détention administrative sans inculpation ni procès et le vol de terres sont souvent légaux et toujours effectués selon le protocole.
Les barrières militaires, les statuts juridiques codés par couleur et les murs de béton qui séparent les familles sont excusables. Et la liste est encore longue. Non seulement il existe des justifications pour tout cela, mais 3,8 milliards de dollars de l’argent des contribuables les sponsorisent chaque année.
Je ne vais donc pas essayer de convaincre qui que ce soit de notre droit à résister. Je ne vais pas citer le droit international. Je ne vais pas invoquer Malcom X ou Assata Shakur. Ni même la justification des émeutes par Martin Luther King. Je ne vais pas plaisanter sur la sensibilité morale des gens qui ont inventé les lois “Stand Your Ground” [Défendez votre territoire]. Parce qu’il ne faut pas chercher bien loin pour voir qu’ils peuvent comprendre que ceux qui sont frappés riposteront.
Ceux qui résistent, ceux qui sont nés et ont grandi dans la violence, n’ont pas besoin de l’approbation des étudiants de l’Ivy League ou des présentateurs de télévision qui ferment régulièrement les yeux sur les décennies de violence écrasante, systématique et matérielle du régime israélien.
Alors, est-ce que je crois en la violence ? Eh bien, je ne crois pas à la violation.
Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR
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