L’alliance Israël-Inde : Une recette pour l’expansion mondiale de l’islamophobie

Ismail Patel, 17 juin 2022. La relation entre l’Inde et Israël met en évidence la frontière ténue entre principes et intérêts. L’Inde a historiquement été un allié politique contre l’occupation coloniale de la Palestine par Israël. Le Mahatma Gandhi, Nehru et d’autres ancêtres de la lutte pour l’indépendance de l’Inde ont contesté l’occupation israélienne.

Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, serre la main du ministre indien de la Défense, Rajnath Singh, à son arrivée pour une réunion bilatérale à New Delhi, le 2 juin 2022 (AFP).

Le soutien de l’Inde aux Palestiniens n’a pas faibli, même après la reconnaissance officielle de l’État d’Israël par l’Inde en 1950. Ce n’est qu’après la fin de la guerre froide et l’opportunité d’une expansion capitaliste que l’Inde a établi des relations diplomatiques officielles avec Israël en 1992. 

Au cours des décennies suivantes, les intérêts ont balayé les principes. En 2006, l’Inde et Israël ont signé le projet agricole indo-israélien afin de partager les meilleures pratiques en matière d’augmentation de la diversité et de la productivité des cultures, ainsi que des programmes de formation professionnelle. Le commerce bilatéral a commencé à se développer au même rythme que les liens militaires.

Depuis 2017, soit trois ans seulement après l’arrivée au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste de droite du Premier ministre Narendra Modi, l’Inde est un partenaire stratégique et un coproducteur d’armes israéliennes, les deux pays effectuant des exercices militaires conjoints et accueillant des visites d’échange de policiers et de militaires.

Depuis l’entrée en fonction de Modi en 2014, environ 42 % de toutes les exportations d’armes en provenance d’Israël sont allées à l’Inde. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les livraisons d’armes à l’Inde en provenance d’Israël ont augmenté de 175 % entre 2015 et 2019. Les deux pays ont également étendu leur coopération en matière de cyber-sécurité ces dernières années.

Sur le plan économique, entre 1992 et 2021, le commerce bilatéral est monté en flèche pour atteindre 6,35 milliards de dollars en 2021, contre seulement 200 millions de dollars en 1992.

Les musulmans sont visés

Sous le gouvernement du BJP, le renforcement des relations entre l’Inde et Israël a dépassé les intérêts économiques pour atteindre une synergie idéologique. 

Le fil conducteur qui les unit est le nationalisme d’extrême-droite, qui appelle à l’exclusion, voire à l’expulsion, de tous ceux qui n’adhèrent pas à l’identité exclusiviste qu’ils ont assignée à l’État.

Dans ce contexte, la figure du musulman est devenue une cible de violence en Inde, alors que pour l’État israélien, les Palestiniens sont un obstacle à l’expansion coloniale ; pour les nationalistes hindous du BJP, les musulmans représentent la dégradation d’une nation hindoue puriste. Il s’agit d’une palestinisation des musulmans indiens.

L’adoption des tactiques israéliennes a été explicitement encouragée par le diplomate indien Sandeep Chakravorty, qui a affirmé en 2019 que les hindous devraient adopter le modèle israélien au Cachemire occupé par l’Inde. Il n’est donc pas surprenant qu’au Cachemire, l’armée indienne utilise des civils comme boucliers humains, tout comme Israël le fait dans les territoires palestiniens occupés. Cette pratique illégale est condamnée au niveau international.

Lorsque l’Inde a adopté en 2019 un amendement à la loi sur la citoyenneté, offrant une amnistie aux immigrants illégaux non musulmans des États voisins, un groupe de défense pro-israélien appelé StandWithUs a offert son soutien au BJP. Le consul général d’Israël pour l’Inde du Sud de l’époque, Dana Kursh, a également défendu la démarche en déclarant que « l’Inde, en tant que nation souveraine, a le droit » de promulguer l’amendement.

Pratiques racistes et violentes

Selon Human Rights Watch, depuis que le BJP est arrivé au pouvoir, « il a pris diverses mesures législatives et autres qui ont légitimé la discrimination à l’encontre des minorités religieuses et favorisé le nationalisme hindou violent ». Cette institutionnalisation du racisme a permis aux extrémistes hindous en Inde et aux colons juifs en Palestine d’appeler publiquement à la mort de musulmans et d’Arabes, tandis que les extrémistes israéliens hindous et juifs jouissent d’une impunité quasi-totale.

Les Palestiniens en Israël et les musulmans en Inde ont fait l’objet de discriminations, d’agressions physiques et même de meurtres, car les forces de sécurité non seulement ne les protègent pas, mais participent parfois activement à ces attaques. Dans les deux États, le système judiciaire est devenu une extension de l’idéologie du gouvernement.

Les démolitions de maisons constituent un autre domaine de convergence. Israël démolit régulièrement des maisons palestiniennes en guise de punition collective, laissant des milliers de personnes sans abri. En Inde, les maisons de musulmans prétendument liés aux récentes manifestations antigouvernementales ont également été démolies.

En effet, au fil des ans, l’alliance entre l’Inde et Israël a dépassé le stade de la coopération économique pour s’étendre au partage de pratiques racistes et violentes, l’un aidant souvent à couvrir les méfaits de l’autre. Pendant ce temps, leurs alliés occidentaux restent spectateurs des violations des droits de l’homme qui continuent de se produire.

À l’échelle mondiale, avec l’émergence croissante d’un leadership populiste de droite, l’alliance Inde-Israël est une recette dangereuse pour l’expansion mondiale du racisme et de l’islamophobie.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR – Voir l’article original pour les nombreux liens.

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