Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 582 / 22/23.11 – Soutien psychologique, éducation sanitaire et chaleur intérieure

Brigitte Challande, 24 novembre 2025.- Compte rendu de l’atelier de soutien psychologique et d’éducation sanitaire pour les femmes du camp des Amis à l’ouest de Deir al-Balah, le 22 novembre.

« Par un matin froid enveloppant le camp des Amis, sous des nuages lourds et une teinte grise tombant sur la terre comme un voile triste, les femmes se sont réveillées au son du vent qui fouettait les abris de toile, les secouant de droite à gauche comme s’il voulait les arracher de leurs racines. L’odeur de la terre mouillée se glissait sous chaque pas, comme si le ciel avait passé la nuit à pleurer au-dessus de toutes les têtes. Entre les tentes malmenées durant la nuit, les femmes avançaient avec retenue. Ce matin-là n’avait rien de normal : il mélangeait le bruit de la pluie aux pleurs des enfants qui n’avaient pas bien dormi à cause du froid. Les femmes portaient plusieurs couches de vêtements, elles tentaient malgré tout de se tenir debout. Aujourd’hui, elles n’avaient d’autre choix que la résilience, seules face aux lourdeurs de la vie, portant tout le fardeau de la famille, ramassant le bois, essayant de sécher des vêtements qui n’avaient pas séché depuis des semaines, cherchant ce qui restait de nourriture, et apaisant les enfants à chaque crise de froid ou de peur.

L’atelier mis en œuvre par l’équipe de l’UJFP a eu lieu dans la tente dédiée, en tissu comme les autres tentes, mais quelque chose y était plus chaleureux. Aux alentours de 10h, les femmes commencèrent à affluer. L’une tenait son enfant agrippé à sa poitrine, effrayé par l’air glacial ; une autre guidait sa mère âgée qui s’appuyait sur elle, redoutant que son corps épuisé ne cède à tout moment ; une troisième regardait autour d’elle à la recherche d’un visage familier pour se rassurer avant d’entrer. La tente se remplit progressivement de voix discrètes, de petits rires, de regards hésitants et de conversations interrompues chaque fois qu’une bourrasque plus forte que la précédente secouait les toiles. Vingt-cinq femmes étaient présentes, entourées de couches de boue à l’entrée de la tente.

L’une des animatrices se tenait debout, souriante, montrant sur son visage les traces de fatigue de la nuit précédente, qu’elle tentait de dissimuler pour que les femmes se sentent dignes de tout cet effort. Les visages commencèrent à changer, laissant apparaître un léger sentiment de soulagement. Une femme leva timidement la main et dit d’une voix douce mais claire : « Merci d’être venus… nous avons besoin que quelqu’un nous écoute. »

Après les présentations, l’équipe invita les femmes à commencer un exercice simple de respiration pour réduire le stress. Un silence profond, semblable à celui de la prière, envahit la tente. En quelques minutes, la tension visible dans leurs yeux au début de la séance avait disparu, et même la femme qui tremblait de froid semblait plus stable.

Après cette activité, l’équipe passa à la partie d’éducation sanitaire. Les membres expliquèrent l’importance de maintenir une hygiène personnelle malgré le manque d’eau, et présentèrent des méthodes pratiques et applicables dans le camp, comme l’utilisation de petites quantités d’eau de manière calculée ou le remplacement du lavage complet par des techniques de nettoyage ciblé en cas de pénurie. Elles abordèrent aussi les façons d’améliorer l’immunité des enfants dans ces conditions, en utilisant les aliments simples disponibles. Une formatrice expliqua l’intérêt de porter plusieurs couches de vêtements au lieu d’un seul vêtement épais, précisant que cette méthode aide mieux à conserver la chaleur corporelle. Elle présenta ensuite des mouvements corporels simples que les femmes peuvent pratiquer dans la tente pour activer la circulation sanguine et augmenter la chaleur du corps sans aucun matériel.

Le discours se dirigea ensuite vers la tente elle-même, cet abri constituant à la fois la première et la dernière ligne de défense contre la pluie. L’équipe expliqua comment isoler le sol avec de vieux tissus ou des morceaux de nylon, et comment boucher les petits trous laissant passer l’eau. Elles insistèrent aussi sur l’importance de laisser une petite ouverture pour l’aération afin d’éviter l’humidité, cause de nombreuses maladies. Les femmes commencèrent à partager leurs propres astuces : l’une mentionna que les sacs de farine vides étaient le meilleur isolant qu’elle avait trouvé ; une autre expliqua qu’elle avait utilisé une grande bâche en nylon qui avait rendu sa tente plus étanche. Une femme plaisanta : « Je crois que je vais rentrer et reconstruire toute ma tente avec ce que j’ai appris aujourd’hui ! »

L’équipe s’assit parmi les femmes et demanda à chacune de partager un sentiment, une peur ou un souvenir qui les accompagne durant cet hiver. Une femme commença en racontant sa peur que son enfant tombe malade la nuit, car elle ne possède qu’une seule couverture. Une autre confia que le son du vent lui rappelle la nuit où elle a perdu son mari. Une femme âgée dit d’une voix tremblante qu’elle craint de quitter ce monde sans que personne ne s’en rende compte. L’atelier avait offert à chacune la permission d’avouer ce qu’elle endure sans crainte.

Pour que la séance ne se termine pas sur cette charge émotionnelle, l’équipe avait préparé une activité ludique qui transforma l’atmosphère d’un coup. Il s’agissait d’un jeu collectif basé sur le mouvement, la rapidité et le plaisir. L’équipe expliqua les règles de manière amusante, puis demanda aux femmes de se tenir en cercle, laissant un peu d’espace pour bouger. Le premier défi consistait à faire passer rapidement un morceau de tissu d’une femme à l’autre, tandis que l’animatrice donnait des consignes changeantes : « en haut », « à droite », « plus vite ». Les femmes commencèrent à jouer avec enthousiasme ; l’une trébucha dans la boue, déclenchant un fou rire général, et elle-même riait sincèrement, comme elle ne l’avait pas fait depuis des années. L’équipe ajouta ensuite des défis supplémentaires : marcher en tout petits pas, applaudir rapidement à un mot donné, essayer d’attraper le tissu avant qu’il ne tombe. L’ambiance monta, les voix s’élevèrent, même les enfants observant de l’extérieur se mirent à rire, comme si une vague de joie avait débordé de la tente. La scène ressemblait à une petite fête au milieu d’une grande tempête — une fête qui avait redonné de la lumière à des visages presque éteints.« C’est la première fois depuis longtemps que mon cœur se sent léger. » Une autre ajouta : « Vous ne nous avez pas seulement donné de l’information… vous nous avez donné de la chaleur. » Les femmes quittèrent la tente d’un pas ferme malgré la boue qui freinait leur marche.

Ainsi, l’atelier prit fin, laissant derrière lui une trace impossible à mesurer. »

Photos et vidéos ICI.

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La chaleur intérieure malgré le froid de la guerre

Compte rendu du deuxième atelier de soutien psychologique pour les femmes du camp d’Al-Hurriya : quand le froid s’incline devant les cœurs des femmes. 23 novembre.

« Au cœur des camps de déplacés à l’ouest de la ville de Gaza, où les tentes fragiles s’entremêlent avec les vents glacés, où l’odeur de la pluie se mêle à celle de la peur et de l’inquiétude, les histoires des femmes vibrent comme des braises sous la cendre. Ici, dans le camp Al-Hurriya, les femmes affrontent une réalité qui dépasse les limites du supportable ; une réalité façonnée par l’absence d’infrastructures, le manque d’intimité, la rareté de l’eau et l’infiltration d’un froid mordant dans chaque recoin de tentes qui ne connaissent pas la chaleur. Dans cet endroit où les traces de la guerre assiègent les détails du quotidien, les responsabilités se multiplient sur les épaules des mères et des épouses, qui se retrouvent à assurer la nourriture, l’eau, la recherche de médicaments et le réconfort des enfants durant les longues nuits, en l’absence d’époux emportés par la guerre vers des destins multiples : mort, disparition ou arrestation. Et malgré ce fardeau écrasant, la femme palestinienne reste debout, défiant la dureté du contexte avec une force inébranlable, continuant de prendre soin de ceux qui restent, tel un tronc d’arbre refusant de tomber malgré la tempête.

Au milieu de ce tableau, l’équipe de l’UJFP a entamé la deuxième séance, intitulée Chaleur intérieure malgré le froid de la guerre, un espace psychologique sûr, un refuge affectif pour trente femmes déplacées assises ensemble, portant leurs histoires et leurs douleurs, partageant de rares moments d’apaisement.

Au début de l’atelier, l’équipe demanda aux femmes de s’asseoir en un grand cercle, afin que chacune puisse voir le visage de l’autre. « Offrons à nos corps quelques instants de détente… Nous avons besoin de respirer profondément, car notre respiration est la dernière chose qui nous appartient entièrement dans ce monde saturé de pertes. » Les femmes fermèrent les yeux et entamèrent l’exercice de respiration lente, inspirant profondément pour remplir leur poitrine, puis expirant lentement comme si elles se libéraient d’un lourd fardeau. Une femme âgée respira si profondément que ses épaules en tremblèrent, puis murmura : « J’avais oublié comment respirer depuis que nous avons perdu notre maison»

Le premier exercice commença. On demanda à chaque femme de parler de ce qui l’effrayait le plus durant les nuits d’hiver dans le camp. L’une parla de sa peur de voir la tente s’effondrer sur ses enfants à cause de la pluie, une autre évoqua la panique lorsque le vent souffle soudainement en portant un bruit qui rappelle les bombardements. Une mère ayant perdu son mari décrivit des nuits semblables à un labyrinthe, où elle ne sait comment rassembler ses enfants autour d’elle, se sentant comme la seule capitaine d’un navire dans une mer déchaînée. Et plus l’une parlait, plus les autres écoutaient : la reconnaissance qu’elles partageaient la même peur.

Ensuite, l’équipe passa à une activité La flamme de l’espoir intérieur. Des feuilles blanches et des crayons simples furent distribués« Dessinez ou écrivez quelque chose qui vous apporte de la chaleur, quelque chose qui vous rappelle qu’une force intérieure reste vivante en vous, malgré le froid extérieur. L’une dessina la paume d’une petite main d’enfant, une autre écrivit le mot « Maman », tandis qu’une jeune fille dessina une bougie fondant lentement mais éclairant la pièce sombre.

Une fois accumulée cette énergie émotionnelle, l’équipe organisa une séance de partage profond mêlant soutien psychologique et expression intime. Chaque femme fut invitée à parler librement de ses problèmes, de ses peurs, de ses rêves suspendus, et même des petites choses qui lui donnent de la force. Une femme d’une quarantaine d’années parla de son rêve de dormir une nuit entière sans être interrompue par un cri d’enfant ou une fuite d’eau. Une autre évoqua son désir de retourner, ne serait-ce qu’un instant, dans sa maison, juste pour en respirer les murs. Une jeune fille exprima sa volonté de reprendre ses études, ainsi que sa crainte de perdre son avenir avant même de l’avoir commencé. Lorsque l’une d’elles pleurait, les autres tendaient leurs mains vers elle, comme pour tisser autour d’elle un filet de tendresse.

Ensuite une grande activité récréative conçue pour sortir les femmes de l’atmosphère de douleur vers un espace de rire et de joie. L’activité commença par un léger exercice de mouvement, suivi de jeux collectifs interactifs, tels que des jeux de rôles courts, de petites compétitions demandant rapidité d’esprit, et des gestes inattendus provoquant le rire. Une femme d’une cinquantaine d’années rit aux larmes, disant à l’équipe :« C’est la première fois que je ris ainsi depuis des mois… C’est comme si ma voix reprenait vie. » Les femmes applaudissaient, se taquinaient, et participaient à des jeux qu’elles n’avaient pas vécus depuis le début de la guerre.

La tente s’était transformée en un autre monde, un monde par les rires des femmes se libérant — même temporairement — de la peur et du chagrin. Les activités de dessin collectif, les chansons légères, l’imitation de voix, et la reconstitution de scènes amusantes de la vie d’avant-guerre créèrent une vague de chaleur qui envahit l’espace, permettant aux femmes de sentir qu’elles n’étaient pas seulement des survivantes, mais capables de générer de la joie au cœur même de la douleur.

À la fin de l’atelier, tout le monde se rassit en un grand cercle. L’une des femmes dit : « Aujourd’hui, j’ai senti que je n’étais pas seule. J’ai senti qu’il y avait quelqu’un pour m’écouter, pour partager mon fardeau, pour me rendre une partie de moi que j’avais perdue. » Une autre ajouta : « J’espère que vous reviendrez bientôt… Nous avons besoin de cet espace, besoin que quelqu’un nous rappelle que nous sommes encore en vie. »

L’atelier se conclut par un message court de l’équipe aux femmes, « La force ne réside pas dans le fait de ne jamais tomber, mais dans la capacité à se relever encore, et ensemble, nous pouvons nous relever. » Les femmes sortirent de la tente avec des pas plus légers, comme si elles tenaient entre leurs mains un fil fragile d’espoir reliant leurs cœurs au ciel.

L’atelier Chaleur intérieure malgré le froid de la guerre toute une histoire humaine, une histoire dont l’empreinte demeure comme une petite flamme qui ne s’éteint pas dans leurs âmes, aussi glacial que puisse être le froid extérieur. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre. Partie 562 : 29 octobre. Partie 563 : 31 octobre. Partie 564 : 2 novembre. Partie 565 : 3 novembre. Partie 566 : 4 novembre. Partie 567 : 4 novembre (1). Partie 568 : 6 novembre. Partie 569 : 7 novembre. Partie 570 : 8-9 novembre. Partie 571 : 9-10 novembre. Partie 572 : 11 novembre. Partie 573 : 13 novembre. Partie 574 : 14 novembre. Partie 575 : 14 novembre (1). Partie 576 : 16 novembre. Partie 577 : 16 novembre (1). Partie 578 : 17 novembre. Partie 579 : 19 novembre. Partie 580 : 21 novembre. Partie 581 : 22 novembre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing