Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 570 / 8-9.11 – Les femmes de Deir al-Balah au bord de la vie"
Brigitte Challande, 10 novembre 2025. – Récit de deux ateliers de soutien psychologique pour les femmes ; le 8 novembre : entre la douleur du déplacement et l’espoir de survivre, et le 9 novembre : la lutte contre le sentiment d »insécurité.
« Au cœur de la région centrale, à l’ouest de Deir al-Balah, là où les tentes s’étendent comme des blessures ouvertes sur la terre, les femmes déplacées vivent une réalité brutale qui ne convient ni à leur dignité ni à leur féminité, épuisées par la misère. Depuis des mois, elles font face à des déplacements répétés qui ont transformé leur existence en une suite ininterrompue d’exils. D’un lieu à un autre, d’une peur à une autre, d’une tente usée à une autre encore plus étroite et plus glaciale. Ici, dans le camp Al-Asdiqaa, les journées se ressemblent au point qu’il devient difficile de distinguer le jour de la nuit, et les femmes deviennent des icônes de patience, dissimulées derrière un lourd silence et des visages qui ont perdu toute trace de sérénité. Elles vivent encore dans des tentes qui s’effondrent au moindre vent, incapables de retourner dans leurs maisons désormais réduites en décombres ou situées dans des zones inhabitables.
Dans cette réalité douloureuse, la femme ne pense plus aux rêves lointains : tous ses espoirs se résument à survivre, rester en vie et préserver ce qu’il lui reste de santé et de force.
Le déplacement est devenu une épreuve cruelle qui teste à la fois le corps et l’âme. Les femmes ne possèdent ni le luxe du choix, ni même le droit au repos. Une fatigue qui les accompagne du matin au soir, entre la recherche de rares gouttes d’eau, la tentative de préparer un repas simple, et la lutte contre le traumatisme qui a ancré en elles une peur chronique.
Beaucoup souffrent de malnutrition, de maladies gynécologiques silencieuses difficiles à soigner, d’une pauvreté qui consume leurs corps et d’un silence qui intensifie leurs douleurs. Dans chaque visage se lit une longue histoire d’abandon, et dans chaque regard se devine la nostalgie d’un foyer qui n’existe plus. Pourtant, au fond d’elles persiste un fil d’espoir, fragile mais solide, qui les rattache à la vie malgré sa dureté.
Au milieu de cette réalité brisée, s’est tenue la session : Santé maternelle et reproductive en situation d’urgence, organisée par l’équipe UJFP, une tentative de ranimer les forces restantes dans le cœur des femmes. Dans une modeste tente, vingt-cinq femmes déplacées se sont réunies, certaines enceintes, d’autres allaitantes, d’autres portant seules le fardeau de la vie sans soutien ni accès aux soins médicaux. L’équipe expliqua les objectifs de la séance : aider les femmes à préserver leur santé reproductive et leur fournir des connaissances pratiques leur permettant d’adopter des mesures préventives simples, même en l’absence de services médicaux.
Les intervenants abordèrent les questions de maternité en temps d’urgence, en expliquant les méthodes de nutrition adaptées malgré la rareté des ressources : la valeur nutritionnelle des aliments les plus simples, et la manière de diversifier les repas pour assurer les nutriments essentiels pendant la grossesse et l’allaitement. Aborder l’hygiène reproductive, un aspect crucial souvent absent dans les conditions de déplacement où l’eau est rare et les infrastructures inexistantes. Proposer des méthodes réalistes pour préserver l’hygiène personnelle dans le contexte de pénurie, et expliquer l’importance de la désinfection simple des outils féminins pour prévenir les infections. Détailler aussi les signes d’alerte pendant la grossesse et l’accouchement — hémorragies, fièvre, hypertension — et la nécessité de demander une aide immédiate si ces symptômes apparaissent, la sensibilisation peut faire la différence entre la vie et la mort.
Après le volet sanitaire, la session entra dans sa deuxième phase : le soutien psychologique et l’expression émotionnelle. Avant de prendre soin de nos corps, donnons à nos âmes une chance de se reposer. L’animatrice leur demanda de fermer les yeux et de respirer lentement, profondément, comme si elles goûtaient à une paix oubliée. Cet exercice respiratoire laissa un effet profond, comme si chaque expiration emportait une part de la peur accumulée.
Puis vint l’atelier d’expression émotionnelle. la liberté de s’exprimer, à travers l’écriture, le dessin ou même le silence. Des feuilles et des crayons furent distribués : elles dessinèrent des symboles de leur état intérieur — une tente, un nuage, une route sans fin, un cercle ouvert tel une attente infinie. Cet atelier était un miroir de leurs âmes épuisées, un espace où personne ne juge la douleur ni n’a honte de ses larmes. L’objectif était de libérer les cœurs du poids enfoui, et de leur faire sentir que leurs émotions étaient entendues et comprises, après tant de temps dans l’oubli.
L’accompagnatrice guida ensuite un autre exercice appelé : Moment de lumière, où les femmes étaient invitées à imaginer un endroit sûr qui leur apportait la paix. Certaines voyaient leur ancienne maison, d’autres la mer ou un arbre sous lequel elles se reposaient avant l’exil. Elle leur parla également de la gestion de l’anxiété quotidienne, de l’importance d’exprimer ses émotions, car un silence prolongé se transforme en douleur invisible qui consume le corps. Elle leur donna des techniques simples à pratiquer dans la tente : respiration régulière, écriture quotidienne, répétition de mots positifs pour nourrir l’espoir.
L’atelier dura trois heures, un moment pour retrouver un équilibre intérieur. Les femmes quittèrent la séance avec des visages plus apaisés, des épaules moins lourdes, comme si les mots avaient allégé le poids des jours. L’espoir ne disparaît pas, il sommeille jusqu’à ce que quelqu’un l’éveille. Une des intervenantes conclut : « Vous n’êtes pas seulement des victimes, vous êtes les mères de la vie. La force de se relever vit en vous, même dans les moments les plus sombres. »
Ce jour-là, dans le camp d’Al-Asdiqaa, le soir venu, lorsque le vent se mit à murmurer entre les tentes, les femmes repartirent avec la conviction que survivre n’est pas se résigner, et que la force ne signifie pas l’absence de larmes, mais la capacité à se relever après elles. Et tandis que la lumière s’effaçait à l’horizon, une faible lueur persistait dans leurs yeux — semblable à l’espoir que demain, même s’il se fait attendre, finira par arriver. »
Photos et vidéos ICI.
Un espace sûr pour les femmes
Second atelier de soutien psychologique pour les femmes, lutter contre l’insécurité, le 9 novembre.
« À l’ouest de la ville de Gaza, où la poussière ne quitte jamais le ciel et où les décombres sont devenus une composante quotidienne du paysage, des dizaines de milliers de femmes vivent dans des camps de déplacement, comme si le temps s’était arrêté au moment de la première explosion. Ces camps, bâtis à la hâte sur une terre lourde de tristesse, sont devenus un refuge provisoire pour des récits interminables de perte, de peur et d’errance. Entre des tentes usées qui gémissent sous le vent, vivent des femmes déplacées encore et encore, d’une tente à une autre, d’une rue à une autre, jusqu’à se retrouver confinées dans un espace si étroit qu’il ne peut contenir que leurs gémissements et le silence effrayé de leurs enfants.
Derrière chaque tente se cache une longue histoire de souffrance, débutant par un départ soudain et s’achevant par des nuits sans sommeil, où les lointains bombardements se mêlent aux pleurs des plus jeunes, rendant la nuit aussi interminable que la guerre elle-même.
Dans cet espace déchiré entre la vie et le néant, l’équipe de l’UJFP a organisé une séance intitulée : Mon espace sûr : une session pour s’exprimer et retrouver le calme, dans une tentative de semer une graine de sérénité dans une terre dépourvue de toute sécurité. Trente femmes, toutes déplacées, toutes brisées de l’intérieur, se sont présentées à la séance. En entrant dans la tente du camp Al-Hurriya, elles semblaient fuir l’enfer extérieur pour un instant d’oasis, un moment où l’âme pouvait respirer sans peur.
La séance s’ouvrit sur une introduction les invitant à nommer leurs émotions, à donner des mots à ce qui pesait sur leurs poitrines depuis plus de deux ans.
L’une d’elles murmura: « Le problème n’est pas que je suis triste, mais que je n’ai jamais trouvé un endroit où j’ai le droit d’être triste. »
Cette seule phrase résumait la douleur de tout un camp. Car ici, il n’y a pas le luxe de s’abandonner au chagrin ; la survie impose ses lois cruelles et la patience devient un rituel quotidien, comme le pain et l’eau.
Dans l’atelier Lettres dans le fleuve, les femmes écrivirent leurs peurs sur de petits papiers, puis s’imaginèrent les jeter dans un fleuve qui les emportait au loin. Certaines écrivirent les noms des êtres perdus, d’autres des phrases qu’elles n’osaient prononcer à voix haute. À cet instant, l’exercice était un rituel de purification, un souffle rendu à celles qu’un monde entier étouffait.
Puis vint l’exercice d’ancrage : elles furent invitées à se connecter à ce qu’elles voyaient, entendaient, ressentaient — à rappeler à leur corps qu’il existait ici et maintenant, après que leurs esprits aient longtemps erré dans les couloirs de la peur. Une jeune femme dit : « Quand j’ai fait l’exercice, j’ai senti mon esprit revenir dans mon corps… comme si je récupérais mon être des griffes de l’absence. »
Ses mots simples portaient une révolution silencieuse contre la terreur permanente. A Gaza, reprendre possession de son corps face à la peur est une forme de résistance.
Le cercle de la résilience
Les participantes furent ensuite invitées à évoquer un acte humain accompli récemment qui leur avait rappelé qu’elles pouvaient encore tenir.
L’une déclara : « J’ai commencé à rassembler les enfants du camp chaque soir pour leur raconter des histoires, afin qu’ils oublient le bruit des bombardements et ne s’endorment pas avec la peur. »
Une autre ajouta :« J’ai préparé un petit sac avec des médicaments et des calmants. Quand l’une de nous fait une crise de panique, je l’aide. Ça m’a fait sentir que j’avais encore une valeur dans ce monde. »
Ensuite, l’animatrice invita une femme restée silencieuse à parler. Assise au fond, les mains emmêlées sur ses genoux, elle inspira profondément avant de murmurer : « La dernière nuit chez nous, nous pensions que nous allions survivre comme d’habitude. Mon mari m’a dit de partir avec les enfants chez ma sœur, dans un autre quartier, le temps qu’il prenne quelques affaires et nous rejoigne… »
Elle marqua une pause, puis continua :« La voiture a roulé quelques mètres… puis le missile est tombé. Je n’ai rien vu. J’ai juste entendu un bruit, comme si le temps se compressait sur ma poitrine. Il n’y a pas eu de place pour les larmes. »
« Quelques jours plus tard, je suis revenue avec une équipe de secours. On n’a pas trouvé son corps… seulement un morceau du manteau marron qu’il portait. Je l’ai gardé. Il est sous mon oreiller. Parfois je le serre contre moi quand j’ai peur, comme si c’était la dernière trace de sa chaleur. »
Elle porta sa main à sa bouche, puis murmura :« Chaque matin, je dis à mes enfants que leur père nous protège depuis le ciel… pour qu’ils ne voient pas le monde aussi cruel que je l’ai vu. »
À cet instant, son récit cessait d’être une histoire, elle était devenue un espace où l’humanité renaissait du silence.
Derrière ce moment, s’étend une réalité écrasante. Les femmes des camps vivent dans des conditions qui dépassent l’endurance humaine : des tentes qui ne protègent ni du froid ni de la chaleur, l’eau rare, la nourriture insuffisante. Elles tiennent leurs enfants contre elles toute la nuit par peur des effondrements ou des bombardements soudains. Beaucoup ont perdu leurs maris ; d’autres ignorent s’ils sont vivants ou sous les décombres. Le matin, elles marchent sur les ruines de leurs anciens foyers pour chercher du pain ou de l’eau, chaque pierre réveillant un souvenir.
À Gaza, le déplacement n’arrive pas une fois, mais encore et encore — du nord au centre, de l’est à l’ouest, jusqu’à ce que l’ouest de la ville devienne le dernier refuge possible. À chaque fuite, elles perdent quelque chose : un vêtement, une photo, une part de mémoire. Elles savent que la survie ici n’est toujours que temporaire, que la sécurité est un rêve insaisissable. La nuit, quand le monde se tait, la peur chuchote et les souvenirs prennent la forme de cauchemars.
Les séances de soutien psychologique initiées par l’UJFP deviennent un mince filet de lumière dans l’obscurité. Elles ne changent pas la réalité, mais offrent un espace où les émotions ne sont pas une faiblesse, où pleurer n’est pas une honte, où la peur n’efface pas le courage.
Cette séance fut comme une petite histoire d’espoir dans un long roman de souffrance. Les femmes ont compris que leurs réactions étaient normales, pas des signes de faiblesse. Dans la ronde qu’elles formaient, elles réalisèrent qu’elles n’étaient pas seules ; que la force pouvait naître du partage ; que la douleur racontée collectivement perd un peu de son pouvoir.
Dehors, les ruines demeurent. Mais en repartant, quelque chose avait changé en elles : respirer au milieu des gravats devient une victoire.
Ce rapport ne raconte pas seulement une séance ; il témoigne d’une communauté de femmes plongées dans la souffrance mais toujours debout. Dans chaque tente, une survivante. Malgré tout, elles continuent de bâtir la vie sur les cendres, de sourire à leurs enfants, de partager leur pain, de forger dans les larmes un bouclier contre l’effondrement.
Elles sont l’autre visage de Gaza : celui qui n’apparaît pas dans les journaux, mais qui est le plus authentique — le visage de la patience, de la survie et de la dignité »
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix. *Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance. Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546 : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie 552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre. Partie 562 : 29 octobre. Partie 563 : 31 octobre. Partie 564 : 2 novembre. Partie 565 : 3 novembre. Partie 566 : 4 novembre. Partie 567 : 4 novembre (1). Partie 568 : 6 novembre. Partie 569 : 7 novembre.
* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) * Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392) * Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing



