Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 425 / 6 juin – Ce qui se passe à Gaza interroge le droit international"
Brigitte Challande, 7 juin 2025.- Le 6 juin, un texte d’ Abu Amir détaille la justice perdue et demande qui devra rendre des comptes pour les crimes de guerre commis à Gaza ? Le réel du droit serait-il d’être tordu ?
« Chaque fois que les blessures de Gaza se rouvrent et que des images d’enfants déchirés, d’hôpitaux bombardés et de civils pris au piège sous les décombres sont montrées, une question résonne dans l’arène juridique et internationale. Si simple dans sa formulation, elle est d’une complexité frustrante dans sa réalité : Qui devra rendre des comptes pour les crimes de guerre ? Cette question n’est plus seulement une question juridique ; elle est devenue un cri moral, mettant à l’épreuve la crédibilité de l’ensemble du système international. Il est devenu clair, dans la conscience collective des Palestiniens et du monde entier, que la justice dans la cause palestinienne est non seulement intentionnellement absente, mais qu’elle est progressivement effacée par des outils de légitimation politique et d’hypocrisie diplomatique.
À chaque cycle d’agression contre Gaza, le même récit se répète : documentation méticuleuse des violations, condamnations internationales formelles, puis l’affaire est classée sans suite sous la pression d’intérêts et d’alliances particulières. Les Palestiniens, notamment à Gaza, sont traités comme des victimes dénuées de toute valeur politique, de simples chiffres dans des rapports sans valeur juridique. Alors que la communauté internationale poursuit activement les crimes de guerre ailleurs dans le monde, les crimes de l’occupation à Gaza restent protégés par un mur de protection politique où le meurtrier est présenté comme une victime ; la victime criminalisée lorsqu’elle crie.
Cette contradiction flagrante entre les textes juridiques et la pratique réelle a conduit à la conviction croissante que la justice, en Palestine, est soumise à des normes sélectives et perd son caractère universel, portant ainsi un coup sévère aux principes du droit international humanitaire.
De la définition juridique à l’évasion politique
D’un point de vue juridique, il n’y a aucune ambiguïté dans la description des souffrances des civils dans la bande de Gaza. Selon la Quatrième Convention de Genève et les Protocoles additionnels au droit international humanitaire, cibler des civils, détruire des infrastructures vitales et imposer un blocus complet les privant de nourriture, de médicaments et d’eau constituent des crimes de guerre clairement définis. Le recours à la famine comme arme, le ciblage du personnel médical et le bombardement d’écoles, d’abris et d’hôpitaux constituent également de graves violations du droit international, imprescriptibles et non sujettes à interprétation politique.
Cependant, malgré ce cadre juridique solide, la réalité pratique révèle une fragilité alarmante dans la capacité du système international à faire respecter ces dispositions quand Israël commet ces violations.
Le système international, sous l’égide de la Cour pénale internationale, du Conseil de sécurité et des Nations Unies, n’a jusqu’à présent pas pris de mesures décisives contre les crimes répétés à Gaza. Malgré des centaines de rapports publiés par des organisations internationales crédibles telles que les Nations Unies, Human Rights Watch et Amnesty International, documentant les violations des droits humains et du droit international par Israël ; ces documents demeurent dans les tiroirs, oscillant entre reconnaissance verbale et silence de fait. Cela est dû en grande partie à la pression politique exercée par les grandes puissances, notamment les États-Unis et certains pays européens, qui usent de leur influence diplomatique pour protéger Israël de toute responsabilité juridique, même au sein des instances onusiennes.
Il en résulte que la justice devient une exception, appliquée uniquement lorsque l’auteur est une partie faible ou échappe aux calculs des intérêts internationaux. En revanche, lorsque l’auteur est un allié stratégique de l’Occident, les textes sont suspendus et la responsabilité est différée, voire abolie. Dans ce cas, les lois de la guerre deviennent de simples outils sélectifs, utilisés au gré des humeurs politiques, et non conformément aux principes qui les ont fondées. Ce glissement de l’obligation juridique à l’évasion politique constitue une menace existentielle pour la crédibilité de la justice internationale elle-même et laisse des peuples entiers – comme le peuple palestinien – face à une machine de guerre immunisée contre toute responsabilité, aussi brutale soit-elle.
Impunité : politique de protection ou échec international ?
Dans le contexte palestinien, et notamment dans le contexte des agressions répétées contre la bande de Gaza, l’impunité n’est plus perçue comme une simple négligence internationale ou un manquement à l’application du droit. Elle représente plutôt une approche politique systématique, soutenue par un système de protection international, porté par les États-Unis et certaines puissances européennes influentes. Ces pays refusent non seulement de tenir Israël responsable de ses violations, mais vont plus loin : ils fournissent une couverture politique et diplomatique pour empêcher tout processus sérieux de responsabilisation au sein des institutions internationales. Par exemple, des outils tels que le veto du Conseil de sécurité sont utilisés pour bloquer toute résolution condamnant Israël, et une pression considérable est exercée sur la Cour pénale internationale dès qu’elle s’apprête à ouvrir une enquête officielle ou à engager des poursuites contre des dirigeants israéliens.
Cette position est promue sous le prétexte du « droit à la légitime défense », une expression devenue un faux bouclier juridique pour justifier l’agression et ignorer le véritable contexte de l’occupation et du colonialisme de peuplement. Alors que d’autres peuples – comme les victimes de la guerre en Ukraine, au Myanmar ou au Rwanda – bénéficient d’un large espace de solidarité internationale et d’enquêtes impartiales, les Palestiniens, malgré la diffusion en direct de leurs souffrances en audio et en vidéo, sont exclus de cette solidarité internationale en matière de droits humains et de compassion humanitaire, traités comme de simples numéros d’information. Cette discrimination flagrante révèle non seulement une double application du droit, mais aussi un système de discrimination politique qui traite les victimes en fonction de leur situation géographique et des alliances qui leur sont associées.
Cette impunité répétée non seulement sape la confiance des Palestiniens dans le système international, mais encourage également Israël à poursuivre sa politique sans se soucier des conséquences. Elle transforme la justice, concept universel, en un outil sélectif servant à consolider le pouvoir, et non à protéger les êtres humains. Ainsi, le droit international, autrefois bouclier des faibles, devient une couverture pour les puissants, et la responsabilisation des auteurs de crimes devient une question d’intérêt personnel, et non de justice.
La Cour pénale internationale : espoirs déçus ou cheminement interminable ?
Depuis l’adhésion de l’État de Palestine à la Cour pénale internationale en 2015, de grands espoirs étaient placés dans cette étape, la considérant comme le début d’un processus juridique international susceptible de mettre fin à l’impunité et d’ouvrir la voie à la responsabilité des acteurs israéliens pour les crimes commis contre les civils palestiniens, notamment dans la bande de Gaza. L’ancienne procureure, Fatou Bensouda, a ouvert une enquête préliminaire sur d’éventuels crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens occupés. Cependant, les progrès dans cette affaire se sont rapidement heurtés à une pression politique et à des menaces directes, notamment de la part des États-Unis et d’Israël. Non seulement les États-Unis ont rejeté la compétence de la Cour, mais ils se sont également livrés à une campagne systématique d’incitation à la haine et de diffamation contre la procureure et son équipe juridique, gelant de fait la procédure sans aucune annonce officielle.
Avec l’arrivée de Karim Khan au poste de nouveau procureur général, rien n’indique réellement, jusqu’à présent, une quelconque intention d’accélérer le traitement du dossier palestinien, malgré l’augmentation des crimes, la disponibilité d’une quantité considérable de preuves de terrain, de rapports documentés sur les droits humains et les demandes répétées des organisations internationales et locales de défense des droits humains d’ouvrir une enquête officielle complète. Ce retard, malgré l’urgence inhérente aux crimes de masse, renforce l’impression dominante parmi les Palestiniens que la justice internationale reste sélective, soumise à des calculs géopolitiques plutôt qu’à des valeurs et principes juridiques.
Plutôt que de servir de forum aux victimes pour faire valoir leurs droits, dans le cas palestinien, la CPI est devenue un symbole supplémentaire de frustration. Elle est perçue comme l’incarnation d’une incapacité chronique de la communauté internationale à affronter les systèmes de pouvoir, même lorsque les crimes sont documentés par des enregistrements audio et vidéo et se produisent au vu et au su de tous. De plus, l’absence de mesures concrètes de la part de la Cour, contrairement à ses actions actives dans d’autres affaires internationales moins documentées et peut-être moins graves, renforce le sentiment que la question palestinienne est gérée selon une politique de deux poids, deux mesures, même sur le plan juridique. Cela érode encore davantage la confiance dans les institutions internationales et creuse le fossé entre les slogans internationaux et la réalité.
La responsabilité morale de la communauté internationale
Face aux crimes commis contre les civils palestiniens, l’absence de justice est indissociable de la responsabilité de la communauté internationale, avec ses différentes composantes politiques et juridiques, à commencer par les Nations Unies et le Conseil de sécurité, puis par les grandes puissances influentes et enfin par les États signataires des Conventions de Genève, qui les obligent à protéger les civils en temps de conflit armé. Les positions internationales qui se contentent d’exprimer leur « préoccupation » ou de formuler des déclarations de condamnation non contraignantes ne convainquent plus personne. Elles sont désormais perçues comme faisant partie d’un système de complicité silencieuse qui permet aux crimes de se poursuivre sous le couvert d’un silence légitime.
En vertu du droit international, les États sont tenus non seulement de s’abstenir de commettre des crimes, mais aussi de les prévenir et d’en punir les auteurs. Cela signifie que l’inaction internationale dans le cas de Gaza n’est pas une simple attitude passive ; elle constitue une violation morale et juridique flagrante des obligations internationales.
La récurrence des massacres, le ciblage des civils et la destruction des infrastructures à Gaza, dans un contexte de silence international généralisé, ne peuvent être justifiés par la neutralité ou la non-ingérence. Face à des crimes récurrents, la neutralité est devenue une forme de complicité indirecte, contribuant à créer un climat d’impunité. Pire encore, ce silence a clairement encouragé l’escalade des crimes et le franchissement de nouvelles lignes rouges, l’agresseur réalisant qu’il est à l’abri de poursuites, quelle que soit l’horreur de ses actes. Ce déséquilibre porte gravement préjudice non seulement au peuple palestinien, mais aussi à la crédibilité du système international lui-même, censé être fondé sur les principes de justice, de protection des civils et des droits humains.
L’absence de responsabilité dans le cas palestinien crée également un dangereux précédent qui pourrait être imité par des régimes autoritaires ou des forces d’occupation ailleurs dans le monde. Nombreux sont ceux qui voient dans le « modèle israélien » un exemple de violation du droit international et du recours au soutien des grandes puissances pour dissuader toute éventuelle responsabilisation. Ainsi, la responsabilité morale de la communauté internationale ne se limite plus à rendre justice aux Palestiniens, mais concerne plutôt l’avenir de la justice internationale dans son ensemble et la capacité de ce système à protéger les êtres humains face à l’usage excessif de la force, à l’occupation illégale et aux violations systématiques.
Les voix des victimes ne s’éteignent pas
Malgré toutes les manifestations d’injustice, de complicité et de silence, les voix des victimes de Gaza demeurent présentes, immortelles, non enfouies sous les décombres des maisons ou le silence des tribunes politiques. Des milliers de témoignages vivants de survivants, des images d’enfants morts dans les bras de leurs mères et des clips vidéo capturant l’instant, les larmes et la douleur, constituent une archive morale et juridique qui ne peut être effacée ni ignorée. Cette mémoire collective accumulée, préservée dans des documents, des plaidoiries et des rapports sur les droits humains, entoure les auteurs et attend le moment où la justice s’ouvrira, même tardivement. Exiger des comptes n’est pas une question de vengeance ; c’est un droit inhérent qui ne s’éteint pas avec le temps, et un outil pour construire un avenir plus juste et plus humain.
Dans un monde dominé par les rapports de force et les intérêts particuliers, la justice peut sembler différée, mais elle n’est pas impossible. L’histoire a prouvé que les crimes majeurs sont poursuivis, quel que soit le temps nécessaire, et que la vérité émerge toujours des décombres, pourvu qu’il y ait des voix pour raconter l’histoire, des consciences pour ne pas oublier et des générations pour porter la mémoire comme une confiance et une responsabilité. La justice à Gaza n’est pas une option politique, mais plutôt un devoir moral et humanitaire pour protéger ce qui reste de crédibilité du droit international et empêcher que le territoire palestinien ne devienne un lieu autorisé de massacres systématiques sans que personne n’ait à rendre de comptes. Chaque retard dans la justice non seulement prolonge la douleur, mais aggrave la blessure de toute l’humanité. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.