Partager la publication "« Ils appellent cela une intervention. Moi, j’appelle cela le compromis silencieux de la conscience. »"
Dr Ezzideen, 4 mai 2025.- Dans les décombres de Gaza, où le corps humain est devenu à la fois cible et terrain d’action, l’Organisation mondiale de la Santé (@OMS) a lancé une campagne, censée, selon elle, sauver des enfants. Le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO), vivant et atténué, est administré en masse aux nourrissons dont le système immunitaire est déjà au bord de l’effondrement.

Des vaccins périmés mais pas de nourriture. Une photo de Jenan Saleh al-Skafi, 4 mois, prise quelques jours avant qu’elle ne succombe à la malnutrition le samedi 3 mai 2025, à l’hôpital Al-Rantisi de la ville de Gaza.
Ils ont choisi un vaccin retiré des pays aux noms qui ont du poids. L’Allemagne. Les États-Unis. La France. Des pays où l’enfant est surveillé, où la surveillance post-vaccinale n’est pas un luxe, mais la norme. Où un seul événement indésirable peut provoquer l’indignation nationale et un changement de politique.
Mais à Gaza ?
À Gaza, les données ne circulent pas, elles sont enterrées. La transparence est un cadavre depuis longtemps abandonné. L’enfant ici est sans nom, sans numéro, sans voix.
Il n’y a pas de suivi. Pas de registre des événements indésirables. Aucun neurologue ne vient si un bébé cesse de bouger les jambes. Pas d’IRM.
Pas de deuxième avis. Aucune vérité.
Et pourtant, la science est là, sur papier, dans des revues trop volumineuses pour les cliniques de terrain. Le VPO comporte un risque connu et calculable : la poliomyélite paralytique associée au vaccin (PPAV) et le poliovirus circulant dérivé d’une souche vaccinale (PVDVc).
Chez les populations immunodéprimées, celles qui souffrent de malnutrition chronique, d’exposition aux toxines liées à la guerre et de surcharge infectieuse, ce risque n’est pas théorique. Il est amplifié. Il est probable. Il est statistiquement prévisible. Il est cruel.
La Somalie le savait. Plus de 3.300 enfants ont été infectés par le vaccin même censé les protéger. Une tragédie de santé publique. Une leçon, peut-être. Mais à Gaza, il n’y a pas de leçons, seulement des répétitions.
Et qu’est-ce que le consentement dans un endroit sans électricité, où les tracts tombent du ciel plus souvent que les explications médicales ? Qui explique la PPAV à une mère qui tient son enfant dans ses bras, quand elle en a déjà enterré quatre ? Qui lui dit que son bébé pourrait ne plus jamais marcher, non pas à cause de la guerre, mais à cause du « médicament » ?
On nous dit que c’est une nécessité.
Mais l’éthique médicale – comme toute éthique – n’a de valeur que lorsqu’elle est mise à l’épreuve. Non pas lorsqu’elle est facile, mais lorsqu’elle est coûteuse. Et ici, dans ce cimetière à ciel ouvert, le coût n’est pas supporté par les décideurs politiques. Il est supporté par une jambe inerte, un système immunitaire muet, le silence d’une mère.
Le serment d’Hippocrate commence par un appel : ne pas faire de mal.
Et pourtant, je crains que nous soyons désormais au-delà de tout mal. Nous sommes au royaume de la complicité silencieuse. De l’anesthésie géopolitique.
J’examine la littérature. Je consulte des collègues. Les preuves sont minces. Le risque est réel. La justification est vague.
Il n’y a pas d’infrastructure de surveillance.
Il n’y a pas de surveillance indépendante.
On suppose seulement qu’ils ne se plaindront pas, et s’ils le font, qui entendra ?
La médecine sans justice n’est pas une guérison, c’est de la domination. La santé publique sans autonomie n’est pas une protection, mais un contrôle.
Et moi, médecin, je suis hanté.
Hanté non pas par le virus, mais par le vaccin.
Par le silence.
Par cette question qui ne me quitte jamais : Quelle est la valeur du corps d’un enfant dans un pays que l’éthique a abandonné ?
Article en anglais sur le compte X du Dr Ezzidin Gaza / Traduction MR