Partager la publication "« Nous avons trop souffert » : les manifestations se poursuivent vendredi à Kafr Qaddum"
ISM-Palestine, 1er mars 2024. Nous sommes vendredi et on entend l’appel à la prière dans le village rural de Kafr Qaddum, à l’ouest de Naplouse, dans la partie nord de la Cisjordanie. Les rues sont calmes, vides, à l’exception de quelques enfants qui jouent et de quelques voitures se dirigeant tôt vers la mosquée. Vers 11 heures du matin, des hommes et des garçons se rassemblent et boivent du café près de la route principale voisine. Les plus jeunes jouent et rient. La scène semble calme, quoique en attente, avec une tension sous-jacente. Comme chaque vendredi, après la prière, les villageois défilent pour protester contre la fermeture de la route principale de leur village et contre l’occupation israélienne.
Les manifestations font partie de la vie dans les villages ruraux de Palestine – certaines depuis le début de la deuxième Intifada. Mais dans la plupart des régions de Cisjordanie, les manifestations non armées se sont arrêtées après le 7 octobre, lorsque les soldats et les colons ont profité des attaques du Hamas pour déclencher une vague de violence, de terrorisme et de vol de terres et de ressources contre leurs voisins palestiniens. Alors qu’auparavant, l’armée utilisait principalement des gaz lacrymogènes, des bombes assourdissantes et des balles en acier recouvertes de caoutchouc pour disperser les manifestants, depuis le 7 octobre, les villageois de Kafr Qaduum rapportent avoir été confrontés exclusivement à des tirs à balles réelles.
Mais les manifestations à Kafr Qaddum n’ont jamais cessé. Abu Masseib, ancien maire du village, déclare fièrement qu’ils marchent pour l’ouverture de leur route principale tous les vendredis depuis 13 ans – depuis que les tribunaux israéliens ont refusé de faire respecter leurs droits [l’occupation a bloqué la route principale qui mène au village pour privilégier le trajet pour les colons israéliens de Kadumim, NdT]. Il rapporte que même si l’agression militaire a rendu les manifestations plus dangereuses, les villageois ont persisté, adaptant leurs pratiques pour minimiser les dommages. Moins de villageois sortent chaque semaine, ils se déplacent avec prudence, signalent ce qui se passe et se retirent rapidement s’ils observent des mouvements militaires. Malgré ces précautions, Masseib rapporte que les militaires ont causé de graves blessures. Depuis 2011, il précise que plus de 100 villageois ont été blessés à balles réelles. Plus de 150 personnes ont été arrêtées, dit-il, pendant plusieurs semaines, voire un an. Bien qu’aucun ne soit mort, deux enfants ont subi de terribles lésions cérébrales suite à des balles « moins mortelles » à la tête. Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune a reçu une balle au visage, mais a survécu lorsque la balle a rebondi dans sa mâchoire. De nombreux autres villageois ont perdu la vue ou ont subi de graves blessures aux jambes ou au ventre. Dans un groupe de 14 jeunes et adultes palestiniens assis avec nous, il dit : « 10 d’entre nous ont été touchés par des balles réelles ».
Lorsqu’on lui demande pourquoi il pense que les habitants de Kafr Qaddum continuent de protester alors que d’autres villages ont interrompu leurs manifestations, il répond :
« Notre problème remonte à avant le 7 octobre ; nous voulons libéré notre route. Nous avons trop souffert. »
Plus de 50 % du village se trouve dans la zone C – des parties de la Cisjordanie annexées par Israël, mises à la disposition des colons israéliens et interdites aux Palestiniens. Cela comprend la plupart des oliveraies des villageois, leur production agricole primaire et leur immense valeur symbolique. « Cela fait mal à tous les habitants du village », dit Abu Maseib.
Aujourd’hui, la présence militaire est pour l’essentiel cachée. Un drone volant à basse altitude surveille le ciel, et les casques et les cheveux de quatre soldats apparaissent au-dessus de la colline la plus proche. La manifestation se déroule de manière prudente, silencieuse, sans slogans ni jets de pierres. L’ambulance et les médias du Croissant-Rouge palestinien sont néanmoins prêts à réagir et à documenter l’agression militaire. La manifestation se termine brusquement lorsque des informations font état de mouvements militaires, et nous – les seuls internationaux présents – sommes emmenés en toute sécurité hors du village avant que les choses ne dégénèrent.
Il est difficile de deviner si la présence d’activistes solidaires a un effet dissuasif de nos jours. En effet, l’organisateur Murad Shtaiwi rapporte qu’aucun autre militant solidaire n’est présent depuis le 7 octobre. Les villageois craignent d’exposer les étrangers au niveau de violence dont ils sont eux-mêmes victimes chaque semaine, voire quotidiennement. Murad rapporte qu’une grande partie de la violence se produit pendant la semaine, lorsque les soldats entrent dans le village pour endommager des biens, arrêter des manifestants identifiés sur des photos de drones ou simplement tirer avec des armes à feu au hasard. Il partage une vidéo sur son portable qui montre clairement des soldats tirant avec leurs armes à hauteur de tête et vers des immeubles résidentiels. Il ne s’agit pas de tirs destinés uniquement à effrayer ou à disperser, mais à blesser et tuer.
Avant que les militants solidaires ne soient chassés, tout le monde retourne ensemble vers la relative sécurité de son foyer. Murad affirme que c’est le bon moment.
« C’est un honneur, dit-il, pour nous d’avoir des martyrs ; mais c’est un plus grand honneur d’avoir des enfants vivants ».
Article original en anglais sur Palsolidarity.org / Traduction MR