GÉNOCIDE DU PEUPLE PALESTINIEN – LETTRE D’INFORMATION N° 6 / Communication des avocats – 30 décembre 2023

L’AFRIQUE DU SUD SAISIT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE DANS LE CADRE DE LA CONVENTION SUR LA PRÉVENTION DU GÉNOCIDE, ET DEMANDE DES MESURES URGENTES. ISRAËL A RENDEZ-VOUS AVEC LA JUSTICE

I – LA PROCEDURE ENGAGEE PAR L’AFRIQUE DU SUD DEVANT LA CIJ

Le 9 novembre 2023, nous avons déposé plainte devant la Cour pénale internationale pour imposer le débat sur le génocide, et obtenir une enquête approfondie immédiate (ce qui est fait), afin de pouvoir prononcer des mandats d’arrêt (Ce qui est en débat).

Il existe à La Haye une autre juridiction internationale, la Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, une juridiction civile qui ne peut être saisie que par les États.

Israel a ratifié la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et tout État ayant ratifié cette convention peut saisir la CIJ pour demander que soient ordonnées des mesures urgentes afin de protéger le peuple palestinien du génocide en cours.

L’Afrique du Sud affirme que « les actes et omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire car ils s’accompagnent de l’intention spécifique de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique » et que, « par son comportement à l’égard des Palestiniens de Gaza, Israël manque aux obligations qui lui incombent au titre de la convention contre le génocide ».

L’Afrique du Sud demande à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires comme « protection contre un nouveau préjudice grave et irréparable aux droits que le peuple palestinien tient de la convention contre le génocide », et de « faire en sorte qu’Israël respecte les obligations que lui fait la convention de ne pas commettre de génocide, et de prévenir et de punir le génocide ».

II – QUELLE ANALYSE ?

1/ D’abord, les mesures urgentes

La requête déposée par l’Afrique du Sud contre Israel est très solide. Les deux États ont ratifié la convention sur le génocide et ils ont accepté la juridiction de la CIJ en cas de différend. Il n’y a donc aucune question de recevabilité ou de compétence : la CIJ va se prononcer, et dans un délai très rapide s’agissant de la demande de mesures provisoires.

Il y aura donc, sans doute dès janvier 2024, une décision de la CIJ qui se prononcera sur la qualification de génocide, et sur la nécessité de mesures provisoires pour prévenir ce génocide. Vu la

jurisprudence de la CIJ et la situation actuelle à Gaza, il est prévisible que ce soit dans un sens favorable à la demande de l’Afrique du Sud.

Israël doit faire un choix : soit ignorer la procédure, soit se défendre. Dans les deux cas, il y aura une décision de la CIJ, et ce très rapidement s’agissant des mesures provisoires.

Il faut souhaiter que les États qui ont adopté cette juste analyse sur le crime de génocide apportent par des déclarations publiques leur soutien à cette procédure. Alors que la phase des mesures urgentes va être rapide, de telles déclarations rapides et fortes seraient un soutien puissant à la procédure et une marque de solidarité avec le peuple palestinien.

2/ Ensuite, la procédure au fond

Dans un deuxième temps, la procédure sera notifiée à tous les États signataires, et ceux qui ont accepté sans réserve la compétence juridictionnelle de la CIJ pourront officiellement intervenir dans la procédure, c’est-à-dire en soutenant l’une des deux thèses : génocide ou pas.

Ces déclarations auront pour effet d’amplifier le débat général. Le risque pour les États qui soutiennent Israel est clairement de se retrouver dans le mauvais camp, celui des génocidaires.

En effet, cette procédure oblige les États occidentaux à prendre position, et le choix est limité.

La première solution est d’ignorer ce contentieux.

Mais pour les précédents récents (Ukraine, Rohingyas), plusieurs dizaines d’États avaient fait le choix d’intervenir, avec un mémoire écrit et la présence à l’audience. Aussi, pourquoi rester extérieur cette fois-ci ? Et comment rester absent devant un débat de cette importance devant la juridiction de l’ONU ? Comment des États qui s’affirment défenseurs du droit peuvent-ils assumer de ne pas prendre position ?

S’ils ne font rien, ils se verront reprocher d’avoir abandonné leur allié, et aussi d’avoir déserté le terrain du droit international. C’est l’Afrique qui deviendrait la terre des droits de l’homme.

Deuxième solution : soutenir la position israélienne, et alors assumer un gros risque de condamnation par la Cour au titre des mesures urgentes

Les États occidentaux, jusqu’à ce jour, soutiennent l’action militaire d’Israël. Or, dans les précédents récents, les États Occidentaux étaient largement intervenus contre la Russie et le Myanmar… avec d’excellentes analyses… qui contredisent leur point de vue actuel sur Gaza.

Un basculement juridique est à prévoir si la CIJ donne raison à l’Afrique du Sud et à la Palestine, et condamne le camp occidental comme violant les principes les plus essentiels du droit.

Troisième solution : se démarquer de la politique suivie par Israël.

A ce jour cela parait difficile, mais les États occidentaux peuvent-ils prendre le risque de se trouver dans le camp des génocidaires ? Peuvent-ils être incohérents avec leurs précédents argumentaires ?

Aussi, cette prise de distance serait la seule solution réaliste. Elle serait rédigée pour se démarquer des dirigeants israéliens actuels, et maintenir le soutien à une autre politique israélienne (non définie…). D’ailleurs, depuis quelques jours, on voit s’amorcer un prudent discours de « prise de distance ».

Et pour la procédure devant la CPI ?

La plainte déposée le 9 novembre 2023 suit son cours. Elle reste une priorité avec une enquête approfondie, car est en débat la délivrance de mandats d’arrêt.

Nous apportons un ensemble d’arguments et de documents, au nom de 40 hôpitaux, syndicats et associations de Gaza. Ce volumineux mémorandum sera prêt début janvier.

L’Afrique du Sud avait appuyé notre action devant le CPI en formalisant une plainte devant la CPI en tant qu’État membre (avec les Comores, Djibouti, le Bangladesh et la Bolivie).

Cette excellente procédure civile devant la CIJ à nouveau conforte la procédure pénale devant la CPI.

D’abord, les arguments de l’Afrique du Sud sont parfaitement en phase avec les nôtres. Cette présentation juridique très forte est un appui pour recadrer les écarts du procureur de la CPI.

Ensuite, si la CIJ adopte des mesures urgentes, ce qui est l’hypothèse crédible, cela renforcera notre plainte et la demande urgente de mandats d’arrêt.

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Vous trouverez ci-dessous le communiqué de presse : “L’Afrique du Sud introduit une instance contre l’Etat d’Israël et prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires“.

Le peuple palestinien souffre comme jamais, mais il a dans les mains deux très belles armes : le droit et la justice internationale.

Lyon, le 30 décembre 2023.

Gilles DEVERS, Khaled AL SHOULI, Abdelmajid MRARI