Reconstruire le Gush Katif : le projet de renvoyer les colons juifs à Gaza

William Van Wagenen, 13 décembre 2023. Près de trois semaines après le début de l’invasion terrestre sanglante de Gaza par Israël, un soldat israélien a filmé une vidéo depuis l’intérieur de l’enclave bombardée et assiégée s’exclamant : « Nous terminerons la mission qui nous a été assignée. Conquérir, expulser et s’installer. Tu entends ça, Bibi ? »

Deux mois après le début de l’attaque de Tel Aviv contre Gaza, ses objectifs finaux ne sont toujours pas clairs. CNN a révélé que le « plan initial » d’Israël pour la guerre était de « raser Gaza ». Et le ministre israélien Ron Dermer a proposé un plan visant à « réduire » la population de Gaza en forçant les civils à fuir vers l’Égypte par voie terrestre, ou vers d’autres régions d’Afrique et d’Europe par bateau, parce que « la mer leur est ouverte ».

Ce qui est certain, c’est que cela ne ressemble à aucune autre série de bombardements israéliens sur Gaza. Lors de campagnes précédentes, les Israéliens ont fait appel à des médiateurs internationaux « dès le premier jour » pour négocier un cessez-le-feu en quelques jours ou semaines.

Mais cette fois, les Israéliens et leurs partisans américains ne veulent absolument pas d’un cessez-le-feu. Même si leurs objectifs finaux pour Gaza ont changé dans le cadre de ce conflit, il est tout aussi important de noter que les plans de Tel Aviv pour cet avenir pourraient être totalement différents de ceux de Washington. Simplement, Israël n’a jamais eu de gouvernement aussi à droite que celui actuel concocté par son Premier ministre Benjamin Netanyahu ; un cabinet plein de fondamentalistes religieux et de ferveur messianique.

Projets pour « reconquérir » Gaza

Les racines de la campagne actuelle d’Israël pour conquérir Gaza et nettoyer ethniquement ses 2,3 millions d’habitants palestiniens remontent à près de deux décennies, avec l’évacuation du bloc de colonies de Gush Katif en 2005.

Cette décision, orchestrée par Ariel Sharon, alors Premier ministre, visait à poursuivre la colonisation juive et l’occupation militaire en Cisjordanie occupée, mais a été considérée comme une trahison par le mouvement d’extrême droite et religieux des colons israéliens.

C’est Ariel Sharon, « le père des colonies », qui a conçu le désengagement de Gaza pour assurer la poursuite des colonies juives et de l’occupation militaire de la Cisjordanie, mais le mouvement religieux des colons le considérait comme un traître pour avoir renoncé à la « terre juive », tout comme ils considéraient l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin comme un traître pour avoir signé les accords d’Oslo visant à établir un État palestinien.

Rabin a été assassiné par l’extrémiste juif Yigal Amir en 1995, dans un acte publiquement encouragé par un jeune mais éminent activiste religieux des colons, Itamar Ben Gvir.

Un autre jeune colon religieux, Bezalel Smotrich, a été arrêté pour son opposition à la politique de désengagement de Sharon. Pour arrêter le désengagement de Gaza, Smotrich voulait faire exploser des voitures sur l’autoroute d’Ayalon, aux heures de pointe, avec 700 litres d’essence.

Les deux hommes sont aujourd’hui des alliés et des idéologues éminents au sein du gouvernement de coalition extrémiste de Netanyahu.

Au cours des 18 années suivantes, le parti Likoud et le mouvement religieux des colons, dirigés par des personnalités telles que Ben Gvir et Smotrich, ont nourri le rêve de reconquérir Gaza pour reconstruire Gush Katif. Cette entreprise impliquerait d’achever l’expulsion initiée par les milices sionistes en 1948, comme le note l’historien israélien Benny Morris, en forçant les Gazaouis à l’exil et en empêchant leur retour.

En 2010, le Premier ministre Netanyahu et la députée Gila Gamliel, tous deux membres du Likoud, ont proposé au défunt président égyptien Hosni Moubarak l’installation de Palestiniens dans la péninsule du Sinaï dans le cadre d’un échange de terres lié à un accord de paix.

Après avoir insisté : « Je ne veux même pas écouter ce genre de propositions », Moubarak a été renversé lors d’une révolution de couleur orchestrée par les États-Unis, dans le cadre du « Printemps arabe » régional, comme on l’a appelé.

Netanyahu a proposé un accord similaire au successeur de Moubarak, Mohammad Morsi en 2012, et au successeur de Morsi, Abdel Fatah al-Sisi en 2014, mais ceux-ci ont abouti aux mêmes résultats.

En 2014, lors de l’assaut brutal d’Israël sur Gaza, qui a duré 51 jours, Netanyahu a demandé une intervention américaine auprès de Sissi pour proposer d’installer des Palestiniens dans le Sinaï, mais n’a abouti à rien. Plus de 2.300 civils ont été tués dans cette opération militaire – encore une autre des campagnes israéliennes visant à « tondre l’herbe » et à infliger des revers à la résistance, sans réaliser de progrès significatifs contre le Hamas.

Le projet prend forme

En juin 2018, des articles ont fait état d’un nouveau plan de l’armée israélienne pour « créer un changement considérable de la situation s’il est nécessaire de lancer une campagne majeure à Gaza ». Cela impliquerait d’aller au-delà des bombardements temporaires vers des missions offensives impliquant des unités d’élite qui « entreraient dans Gaza et la diviseraient en deux, et en occuperaient même des parties importantes ».

Pendant ce temps, en 2019, des colons fondamentalistes comme Ben Gvir ont continué d’exprimer un fervent désir de raser Gaza et de revenir reconstruire le Gush Katif.

À la veille des élections à la Knesset de 2022, trois partis politiques d’extrême-droite se sont unis pour former la Coalition du sionisme religieux. Il s’agissait notamment du parti Sionisme religieux, dirigé par Smotrich, du parti Otzma Yehudit (Pouvoir juif), dirigé par Ben Gvir, et de Noam, un petit parti ultra-orthodoxe.

En juillet 2022, le candidat sioniste religieux Arnon Segal a écrit lors de son annonce de campagne : « Il est temps de commencer à planifier un retour à Gush Katif. »

« Oui », a-t-il écrit, « pour y revenir physiquement et le reconstruire ».

En septembre, alors que les élections approchaient, i24 News, un média proche de Netanyahu, abordait la question du Goush Katif, la qualifiant de « blessure persistante », encore ouverte et fraîche pour les Israéliens.

« C’est un traumatisme », a déclaré un Israélien nommé Hillel cité par i24 News. « Le pays tout entier souffre. »

La « légalité » du retour des colons

La tentation de reconstruction du Goush Katif a convergé avec un changement significatif dans la situation à Gaza lorsque Netanyahu est devenu Premier ministre pour la sixième fois après les élections de décembre 2022. Après un an d’absence du pouvoir, Netanyahu a formé une coalition entre son parti, le Likoud, et la Coalition du sionisme religieux.

L’accord avec Netanyahu a permis à Ben Gvir de devenir ministre de la Sécurité nationale, tandis que Smotrich a été nommé à la fois ministre des Finances et ministre de la Défense, responsable de l’administration civile en Cisjordanie occupée.

Sous leur direction, l’État d’occupation a rapidement intensifié ses raids militaires contre les groupes de résistance palestiniens, accéléré la construction de colonies juives et lancé des appels à l’annexion de la Cisjordanie.

Alors que la violence s’intensifiait en mars 2023, la coalition Likoud-sionisme religieux a discrètement inversé un aspect crucial du désengagement de Gaza de 2005. Le plan de retrait initial de Sharon impliquait l’abandon de quatre petites colonies dans le nord de la Cisjordanie en raison des problèmes de sécurité.

Cependant, la Knesset a adopté un amendement à la législation sur le désengagement le 21 mars, qui a permis aux colons juifs de retourner dans ces colonies évacuées et a permis leur reconstruction.

Après le vote, le député Limor Son Har-Melech, du parti Pouvoir juif, a déclaré : « Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers ou sur l’euphorie du moment. » Nous devons également nous mobiliser pour « retourner chez nous, dans la région de Gush Katif, qui a été abandonnée [en 2005] dans un acte d’une terrible folie ».

La ministre des Missions nationales, Orit Strock, du parti Sionisme religieux, a lancé un appel similaire, en déclarant à la chaîne israélienne 7 :

« Je crois qu’en fin de compte, le péché du désengagement sera inversé. »

Elle a suggéré que cela nécessiterait de faire la guerre, ajoutant que « Malheureusement, un retour dans la bande de Gaza entraînera de nombreuses victimes. » En réponse, l’ONG de gauche Peace Now a averti que :

« Une révolution messianique est en train de se produire. Ce gouvernement va inévitablement déetruire notre pays. Ils vont aussi intensifier l’occupation, mettre le feu à la région et établir un régime suprémaciste juif du fleuve à la mer. »

La Nakba à Gaza

Au lendemain de l’opération de la résistance palestinienne Déluge d’Al-Aqsa le 7 octobre, une vague de propagande et de fausses informations a suscité l’indignation du public, nécessaire pour justifier le recours à une violence écrasante non seulement contre le Hamas, mais contre tous les habitants de Gaza, et pour mettre en œuvre des plans de retour à Gush Katif.

Les appels publics à commettre un génocide contre les habitants de Gaza se sont répandus parmi les hommes politiques, les journalistes et les célébrités israéliens.

Israël a saisi l’occasion et a lancé une campagne de bombardements massifs sur Gaza, accompagnée d’exigences selon lesquelles les Palestiniens évacuent la moitié nord de l’enclave assiégée, une région abritant 1,1 million d’habitants – environ la moitié de la population du territoire – dans les 24 heures.

L’ancien vice-ministre israélien des Affaires étrangères et diplomate principal Danny Ayalon a écrit sur les réseaux sociaux que les habitants de Gaza devaient non seulement se rendre dans le sud de Gaza, mais aussi fuir vers l’Égypte :

« Nous ne disons pas aux Gazaouis d’aller sur les plages ou de se noyer… Non, à Dieu ne plaise… Allez dans le désert du Sinaï… la communauté internationale leur construira des villes et leur donnera de la nourriture… L’Égypte devrait jouer le jeu. »

Les demandes israéliennes que les Palestiniens fuient vers l’Égypte se sont accompagnées de la publication, le 13 octobre, d’un rapport du ministère israélien du Renseignement, dirigé par le député du Likoud Gamliel.

Préparé à l’évidence avant les événements du 7 octobre, le rapport recommandait l’occupation de Gaza et le transfert total de ses 2,3 millions d’habitants vers la péninsule égyptienne du Sinaï, tout en insistant sur le fait qu’ils ne seraient jamais autorisés à revenir.

En outre, le plan stipule que le gouvernement devrait lancer une campagne de relations publiques dirigée vers l’Occident qui promouvrait le nettoyage ethnique d’une manière qui n’alimente pas l’hostilité internationale envers Israël ni ne porte atteinte à sa réputation déjà ternie.

« La déportation massive de la population de Gaza doit être présentée comme une mesure humanitaire nécessaire pour recevoir un soutien international, » indique le rapport. Une telle déportation pourrait être justifiée si elle entraîne « moins de victimes parmi la population civile par rapport au nombre attendu de victimes si elles restent ».

L’horrible campagne de bombardements d’Israël s’est poursuivie, garantissant que le nombre de victimes serait effectivement massif.

Le 27 octobre, après la mort de 7.028 Palestiniens – dont 2.913 enfants –, Israël a lancé son invasion terrestre tant attendue de Gaza.

Une semaine plus tard, le rabbin d’une unité de l’armée israélienne a prononcé un discours enflammé devant les troupes : « Cette terre est à nous… la terre entière, y compris Gaza, y compris le Liban, y compris toute la terre promise ! … Gush Katif est minuscule comparé à ce que nous réaliserons avec l’aide de Dieu ! »

 

Comme indiqué dans le plan de 2018 des dirigeants militaires, les troupes d’invasion israéliennes ont rapidement coupé la bande de Gaza en deux, tout en envahissant également le long de la côte depuis le nord.

Après avoir planté un drapeau israélien dans le sable de la plage de Gaza, un commandant israélien a déclaré à ses troupes : « Nous sommes revenus, nous avons été expulsés d’ici il y a presque 20 ans… C’est notre terre ! Et c’est la victoire, retourner sur nos terres. »

Alors que les soldats israéliens faisaient la fête à Gaza, les députés du Likoud ont soumis le 8 novembre un projet de loi visant à modifier à nouveau la loi de désengagement de 2005 – cette fois pour « abroger la loi qui interdit aux Juifs d’entrer dans la bande de Gaza ».

Trois jours plus tard, Danny Danon, ancien ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU, et Ram Ben Barak, ancien directeur adjoint du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, publiaient un article dans le Wall Street Journal prônant l’expulsion des Palestiniens de Gaza, tout en feignant des motivations humanitaires, comme indiqué dans le plan du Ministère du Renseignement.

Sentant que son rêve de nettoyer ethniquement Gaza et de reconstruire le Gush Katif sur les cadavres d’enfants palestiniens morts était sur le point de se réaliser, Bezalel Smotrich a salué la proposition, déclarant que « c’est la solution humanitaire ».

L’ancienne ministre de la Justice Ayelet Shaked a également salué cette décision, mais s’est montrée moins diplomate, s’exclamant à la télévision israélienne :

« Après avoir transformé Khan Yunis en terrain de football… nous devons profiter de la destruction [pour dire] aux pays que chacun d’eux devrait prendre un quota, cela peut être de 20.000 ou 50.000… Nous avons besoin que 2 millions s’en aillent. C’est la solution pour Gaza. »

Au-delà de la tâche monumentale de résister aux forces d’occupation soutenues par les États-Unis, il incombe au Hamas et aux autres factions de la résistance palestinienne de contrecarrer tout progrès réalisé dans la « révolution messianique » israélienne à Gaza.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR

William Van Wagenen est écrivain pour le Libertarian Institute. Il a beaucoup écrit sur la guerre en Syrie, avec un accent particulier sur le rôle des planificateurs américains dans le déclenchement et l’exacerbation du conflit. William est titulaire d’une maîtrise en études théologiques de l’Université Harvard et a survécu à un enlèvement dans la région de Sinjar en Irak en 2007.