Crise psychologique en Israël : Pourquoi les Israéliens paniquent-ils et les Palestiniens tiennent-ils bon ?

Ahmed Kamel, 3 décembre 2023. Le « déluge d’Al-Aqsa » résonne encore fortement au sein de la société israélienne. Il semble que les jours de trêve aient permis de révéler les effets psychologiques de l’attaque de la résistance du 7 octobre 2023 et de l’agression israélienne contre la bande de Gaza qui a suivi, sur la société israélienne qui parait souffrir d’une « crise psychologique profonde » qui sera difficile à surmonter.

La fermeté persévérante ou sumud est une valeur palestinienne qui représente une voie vers la survie et la prospérité dans la patrie malgré les difficultés liées aux pratiques d’occupation (Shutterstock)

Dans ce contexte, Haaretz (1) a publié un reportage sur les scènes de libération des prisonniers israéliens lors de l’accord d’échange entre la résistance palestinienne et l’État d’occupation israélien, qualifiant cet accord de « torture psychologique nécessaire ». Chaque soir, Israël a été divisé entre ceux qui passaient la soirée à pleurer sur leur canapé en regardant la libération d’une tranche de prisonniers venant de Gaza (car le prisonnier qu’ils attendaient n’en faisait pas partie), et d’autres qui les réconfortaient, avant d’inverser les rôles le lendemain.

À son tour, (2) la Maccabi Health Maintenance Organization a déclaré que le nombre de prescriptions de tranquillisants, médicaments psychotropes pour traiter dépression, anxiété et traumatismes a augmenté de 20 % en octobre 2023 par rapport au mois précédent, alors que le psychiatre en chef du même établissement a indiqué que « tous ceux qui consultent ne repartent pas nécessairement avec une ordonnance, il y a ceux qui se contentent d’un appel téléphonique pour du réconfort ou une indication de traitement, et il y a aussi ceux à qui seront prescrits des tranquillisants naturels. » Cela signifie que le nombre réel de personnes en crise dans la société israélienne dépasse de loin celui qui est déclaré.

Dans le même contexte, les services de santé Clalit, la plus grande institution de santé en Israël prenant en charge plus de la moitié des Israéliens, ont annoncé que le nombre de prescriptions de psychotropes a augmenté de 11 % en octobre 2023. La fondation a déclaré que l’augmentation la plus importante concerne des antidépresseurs traitant la panique et l’anxiété, comme le citalopram, la sertraline et la fluoxétine, qui appartiennent à la famille des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), ainsi que les médicaments du groupe des benzodiazépines tels que l’alprazolam et le clonazépam.

Complexe de supériorité : Quand le mythe de l’occupant s’est retourné contre lui

La théorie du « complexe de supériorité » formulée par le psychologue autrichien Alfred Adler dans son livre Understanding Human Nature pourrait éclairer ce traumatisme psychologique observé en Israël. Adler définit le complexe de supériorité comme un comportement dans lequel une personne se croit supérieure aux autres, les personnes atteintes de ce complexe ayant souvent une attitude ostentatoire envers leur environnement. Adler explique que ce complexe est en fait un mécanisme de défense contre des sentiments d’infériorité et de faible estime de soi. En effet, il voit un lien étroit entre complexe de supériorité et complexe d’infériorité, et considère qu’une personne qui se comporte d’une manière suggèrant une supériorité sur les autres qu’elle juge moins dignes, tente fondamentalement de cacher son sentiment d’infériorité.

L’hypothèse d’Adler s’applique en grande partie aux groupes – y compris à l’entité sioniste – mais aussi aux individus, car le complexe de supériorité des Israéliens découle de slogans et d’un vocabulaire théologique tels que « le peuple élu de Dieu » et « la Terre promise » (3), et est cohérent avec les prétentions de l’actuelle puissance occupante concernant sa supériorité dans tous les domaines sur les pays voisins, se présentant comme le seul état démocratique du Moyen-Orient. Par ailleurs, la mémoire juive a une longue histoire émotionnelle de persécutions et de discours sur la diaspora, éléments promus par la machine médiatique sioniste pour gagner la sympathie et le soutien des Occidentaux, mais qui peuvent aussi générer des sentiments d’infériorité et de faiblesse dans le subconscient des individus.

Le conseiller en psychologie Michael Schreiner (4) souligne que la connaissance est dangereuse pour ceux qui souffrent d’un complexe de supériorité, car elle permet aux sentiments d’infériorité d’infiltrer la conscience collective. Le 7 octobre peut être considéré comme une sorte de connaissance imposée à Israël, puisque l’attaque de la résistance palestinienne a réussi à dévoiler l’illusion de sa supériorité sur l’Orient arabe (5) et à anéantir ses revendications à cor et à cri sur les principes démocratiques, les droits de l’homme, les accords de paix et les règles de la guerre. Cela a aussi provoqué, en Israël, panique et perte de confiance, comme en témoigne l’invocation par les médias israéliens de la prophétie de la huitième décennie (6), qui prédit la disparition de l’Etat juif. Ce qui montre l’étendue du pessimisme et de l’anxiété qui ont affecté Israel.

Ce pessimisme collectif reflète clairement la détérioration de l’état psychologique au niveau individuel, ce que confirment les données de l’ONG israélienne Natal spécialisée dans le domaine des traumatismes psychologiques (7). La sociologue Neera Kaplansky, superviseuse de la ligne d’assistance téléphonique de l’ONG, a rapporté que les demandes de soutien psychologique sont passées de 25 à environ 1200 appels quotidiens, et que l’établissement a dû former davantage de bénévoles pour répondre à l’énorme quantité de consultations psychologiques en ligne.

Un peuple laminé par les graines de la peur

Le monde a de nombreuses images d’Israël, mais Israël n’a qu’une seule image de lui-même : celle d’un peuple en voie d’extinction.”. Philosophe juif Shimon Ravidovitch

L’image pessimiste de l’invocation de la prophétie de la disparition fait partie d’une peur profondément enracinée au sein de la société israélienne, tandis que la peur constante d’un « génocide » chez les juifs met en lumière la façon dont Israël perçoit le monde, répond aux menaces et favorise les solutions violentes (8), comme en témoigne son agression brutale contre la bande de Gaza. L’universitaire israélien Daniel Bar-Tal (9) soulève la question de savoir pourquoi la peur l’emporte sur l’espoir au sein de la société israélienne. Bar-Tal soutient que le sentiment de peur provient souvent d’un passé préservé « en référence aux sources bibliques et aux récits d’oppression », ce qui conduit à ce qu’il définit comme « une agression préventive, ce que l’occupation fait de temps en temps lorsqu’elle bombarde les Palestiniens ». Bar-Tal souligne que l’espoir, par ailleurs, requiert une activité cognitive et de nouvelles idées, entravées par l’intervention spontanée et inconsciente de la peur, car les relations du système émotionnel (où la peur est centrée) au système cognitif sont plus fortes que celles en sens inverse.

Bar-Tal aborde un point intéressant de la littérature israélienne qui a fait de l’homme arabe un cauchemar maléfique, sur lequel le lecteur peut projeter ses peurs et ses horreurs. Le pire, c’est que la présence de l’individu arabe dans les livres pour enfants des années cinquante au début des années quatre-vingt du siècle dernier, selon la vision de Bar-Tal, se caractérisait par une déshumanisation et une entité menaçante. Ce qui révèle la stratégie d’inspiration de la peur très tôt chez les jeunes et, plus tard, cette même peur persiste, par l’intermédiaire des médias, accompagnant ces jeunes dans les différentes étapes de leur vie. Bar-Tal accuse la presse israélienne, arguant qu’elle a contribué au développement de la peur collective et à la propagation d’une mentalité d’assiégé en faisant référence de façon répétée à un monde antisémite et anti-israélien. Dans ce contexte d’intimidation généralisée, on peut comprendre les raisons de la notable fragilité psychologique qui frappe Israël depuis le début du « déluge d’Al-Aqsa ».

Palestine et résilience psychologique… Une invitation à méditer sans exagération

D’autre part, la résilience psychologique palestinienne est étonnamment présente depuis la Nakba de 1948, et un document de recherche intitulé « L’environnement social de la résilience et de la détermination chez les Palestiniens » (10) affirme que la ténacité (sumud) est un concept palestinien étroitement lié aux niveaux personnel et collectif, et qu’il renvoie aux moyens de survie dans le contexte de l’occupation, de l’adversité chronique, du manque de ressources et des infrastructures limitées. Ce travail de recherche pointe sur le fait que les racines de la résilience psychologique dans l’histoire arabe partent de la biographie du prophète Mohammed – que Dieu le bénisse et lui accorde la paix – qui est un modèle de résilience psychologique, alors que l’idée a été consciemment établie par le scientifique arabe Abu Zayd al-Balkhi au Xe siècle après JC dans son livre « Les intérêts des corps et des âmes ». Al-Balkhi est considéré comme le premier à avoir parlé des concepts de santé mentale et de sécurité psychologique dans la psychologie islamique, et à proposer des stratégies pour faire face aux adversités de la vie. À l’ère moderne, il convient de noter que l’Organisation de Libération de la Palestine en 1978 s’est concentrée sur l’idée de ténacité pour contrer la politique de déracinement pratiquée par l’occupation, ce qui s’est traduit par la présence de la ténacité en tant que concept et stratégie nationale de base pour les Palestiniens.

Une autre étude publiée en 2006 (11) montre l’importance de la vision spirituelle et son lien avec l’amélioration de la résilience psychologique chez la jeunesse palestinienne. Un échantillon de 114 jeunes palestiniens, hommes et femmes, de 16 à 21 ans, a confirmé que les croyances religieuses représentaient pour eux une source de force. Comme ces jeunes l’ont expliqué, leurs expériences face à l’adversité ont façonné leur résilience. L’étude indique que ces jeunes étaient sensiblement différents des autres jeunes interrogés, car ils n’utilisaient pas le pronom « je », mais se référaient plutôt à l’ensemble de la communauté lorsqu’ils indiquaient leur identité en utilisant l’expression « nous sommes Palestiniens ».

Rita Jaqman, professeur de santé publique à l’Institut de santé publique et communautaire de l’Université de Birzeit (12), affirme que cet esprit d’interdépendance est fortement présent dans le contexte palestinien, expliquant que l’exposition à la violence chronique est une expérience partagée, qui a contribué au soutien mutuel entre Palestiniens, leur donnant un sentiment de réparation. Jaqman affirme que le peuple palestinien n’est ni isolé ni dispersé. Jeunes et vieux sont soutenus par des réseaux de relations familiales et de voisinage, qui les aident également à accéder à une gamme de ressources pour supporter et résister aux abus et remodeler la vie quotidienne, un autre trait d’endurance et de résistance. Mais Jaqman attire l’attention sur un point central, affirmant que la surestimation de la résilience palestinienne est parfois utilisée comme un moyen d’éviter de reconnaître la grave injustice qui leur est infligée. Si la résilience et la fermeté psychologiques sont des idées palestiniennes très distinctes et représentent un chemin vers la survie et la prospérité dans la patrie malgré les difficultés et les pratiques de l’occupation (13), il ne faut pas s’y fier ni oublier la nécessité d’une solution juste avec un soutien humanitaire et international.

Sources :

1) Haaretz, November 26, 2023, “For Israelis, the Hamas hostage release are necessary nightly psychological torture.”

2) Haaretz, November 27, 2023, “Use of Anti-anxiety Medicine Soars in Israel Amid War with Hamas in Gaza Strip.”

3) An analysis of Israeli mentality, new age, Nov. 2023.

4) Feelings Of Superiority and Neurosis, Maichael schreiner, evolution counseling, Aug. 2015.

5) “Flood” Reveals Israel’s Supernatural Lie and the Democratic West, Center for Palestine Studies, October 28, 2023. 6) The Curse of the Eighth Decade and the Prophecies.. Are We on the Cusp of Israel’s Demise?, Al Jazeera, November 2023.

6) The Curse of the Eighth Decade and the Prophecies.. Are We on the Cusp of Israel’s Demise?, Al Jazeera, November 2023.

7) The Middle East crisis is stirring up a ‘tsunami’ of mental health woes, NPR, 25 Oct. 2023.

8) An ever-dying people: The existential underpinnings of Israelis’ perceptions of war and conflict, 2010.

9) Why Does Fear Override Hope in Societies Engulfed by Intractable Conflict, as It Does in the Israeli Society, Daniel Bar-Tal.

10) 10) Social ecology of resilience and Sumud of Palestinians, Mohammad Marie, Ben Hannigan and Aled Jones, Jan 2018.

11) Resilience across Cultures, Michael Ungar, Feb. 2008.

12) Reflections on the meaning of ‘resilience’ in the Palestinian context, Rita Giacaman, 2020.

13) Teeffelen T, Bitar H, Al-Habash S (2005) Resilience in the Palestinian occupied territories.

Article original en Arabe sur AlJazeera / Traduction MR - révision Chris & Dine

Ahmed Kamel est un romancier et essayiste égyptien, intéressé par les affaires culturelles et les sciences humaines.