Appel urgent au procureur de la CPI pour qu’il s’engage directement auprès des victimes palestiniennes, en particulier à Gaza, et qu’il émette des mandats d’arrêt à des fins de dissuasion

Al-Haq, 30 novembre 2023. Le Centre Al Mezan pour les droits de l’homme, Al-Haq et le Centre palestinien pour les droits humains expriment leur profonde inquiétude face au retard prolongé du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à s’engager directement auprès des victimes palestiniennes, en particulier à Gaza, malgré les appels persistants depuis sa prise de fonction. Tout en reconnaissant que le procureur Khan va prochainement rencontrer des responsables palestiniens à Ramallah lors de sa toute première visite dans l’Etat de Palestine, le besoin crucial d’une interaction directe avec les victimes reste sans réponse.

Le 30 novembre 2023, la CPI a annoncé que le procureur Khan se rendait en Israël « à la demande et à l’invitation des survivants [et] des familles des victimes des attentats du 7 octobre ». Cette décision fait suite à l’annonce, la semaine dernière, que le procureur avait rencontré des victimes israéliennes à La Haye. Il est à souligner que le procureur n’a jamais été disponible pour rencontrer les victimes palestiniennes et leurs représentants légaux malgré de nombreuses demandes depuis que le procureur Khan a pris ses fonctions en juin 2021.

Nos organisations et les victimes palestiniennes n’ont cessé de demander au procureur de se rendre en Palestine, soulignant la nécessité d’un engagement personnel. L’absence d’une telle interaction soulève de sérieuses inquiétudes quant à la disparité perçue dans les engagements du procureur, leur manque d’impartialité et de transparence. Compte tenu de la responsabilité du procureur dans la conduite d’enquêtes justes et exhaustives, il est primordial de donner la priorité à un engagement direct auprès des personnes touchées par les crimes présumés. Il y a manifestement deux poids deux mesures dans la rapidité et l’étonnante disponibilité du procureur pour rencontrer les victimes israéliennes, à la fois à La Haye et lors de sa prompte visite en Israël, alors qu’il ne répond pas aux appels constants des victimes palestiniennes et de leurs représentants.

Triestino Mariniello, représentant légal des victimes palestiniennes devant la CPI, a émis le commentaire qui suit :

« Jusqu’à présent, le procureur Khan n’a toujours pas réussi à rencontrer les représentants des victimes ou les victimes elles-mêmes. Depuis qu’il a pris ses fonctions, son mandat a été caractérisé par deux poids, deux mesures en ce qui concerne la situation en Palestine. Le procureur n’a mis en place aucune enquête efficace et a alloué un budget minimal et largement insuffisant à l’enquête depuis son ouverture. Alors que rencontrer les victimes israéliennes fait partie du mandat du procureur, la déclaration de la Cour ne fait aucune mention des victimes palestiniennes, que le procureur Khan pourrait rencontrer lors de sa visite en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, deux zones sous la juridiction de la Cour. Sur place, le procureur devrait rencontrer les victimes de la violence des colons et des transferts forcés, entre autres crimes, ainsi que les familles des centaines de Palestiniens tués par les colons ou les forces israéliennes au cours des 11 derniers mois. »

Alors qu’Israël a accéléré de façon exponentielle ses assassinats de Palestiniens au cours des deux dernières années, les demandes d’intervention de 35 organisations palestiniennes en février dernier pour prendre des mesures immédiates et efficaces sont restées sans réponse. En novembre 2022, 198 organisations palestiniennes, régionales et internationales ont mis en garde contre de graves recrudescences de violence et ont exhorté le procureur à émettre des avertissements dissuasifs, ces recommandations ont aussi été ignorées par le procureur.

Nous avertissons que la visite d’état du procureur en Palestine, pilotée par Israël et limitée aux seuls bâtiments gouvernementaux, ne remplace en aucun cas une rencontre sur le terrain avec les victimes accompagnées de leurs représentants légaux. Elle ne remplace pas non plus la nécessité de mener une véritable enquête et de se rendre sur place pour inspecter les colonies manifestement illégales et autres scènes de crime dans tous les territoires palestiniens occupés, notamment les appropriations de terres, les démolitions de maisons, le pillage des ressources naturelles et les victimes palestiniennes arrêtées sans inculpation, blessées et tuées.

En 2021, la Chambre préliminaire a conclu que la Cour avait la compétence pénale sur le territoire de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza, en tant que territoires de l’état de Palestine. Sachant que la communauté internationale reconnait clairement que les territoires palestiniens occupés comprennent Jérusalem-Est, il est significatif que la photographie du procureur Khan soit légendée qu’il « visite Israël », alors qu’à la fois il est dans et surplombe Jérusalem-Est occupée, y compris la vieille ville, et à quelques mètres seulement des colonies israéliennes illégales. Nous rappelons au procureur Khan que la résolution 478 du Conseil de sécurité de l’ONU censure dans les termes les plus sévères les mesures législatives et administratives prises par Israël qui prétendent annexer Jérusalem-Est, et les déclare « nulles et non avenues et [devant] être abrogées immédiatement ».

Nous demandons instamment au procureur Khan d’étendre sa visite à Gaza, en reconnaissant l’importance cruciale de comprendre le contexte et d’y rencontrer les victimes. La situation à Gaza, où nous avons mis en garde contre le génocide en cours et les crimes contre l’humanité liés aux déplacements forcés de la population palestinienne, exige une attention particulière, et un engagement direct est déterminant pour comprendre l’impact des crimes présumés sur le terrain.

En plus d’appeler à un engagement direct, nous soulignons le rôle essentiel de la CPI dans l’émission de mandats d’arrêt. Le pouvoir de la CPI ne réside pas seulement dans sa capacité à poursuivre, mais aussi dans son effet dissuasif. En tenant les individus responsables de crimes présumés, la CPI joue un rôle crucial dans la prévention de futures atrocités. En commentant la nouvelle de la visite du procureur au point de passage de Rafah le 29 octobre 2023, nos organisations ont explicitement appelé le Bureau du procureur (BdP) à délivrer immédiatement des mandats d’arrêt à l’encontre des autorités et militaires israéliens responsables de la perpétration de crimes internationaux. Nos organisations estiment que le BdP dispose de suffisamment de preuves soumises par divers organes d’enquête de l’ONU et organisations de la société civile pour poursuivre les affaires liées à la guerre de 2014 contre Gaza, à la Grande Marche du retour et aux nombreux dossiers sur les colonies, et que ces procédures serviront à dissuader les forces israéliennes et les autorités de commettre de nouvelles atrocités criminelles à Gaza.

En tant que défenseurs de la justice et de la reconnaissance des responsabilités, nous insistons sur le fait qu’une action rapide est impérative. La crédibilité et l’efficacité de la CPI dépendent d’un engagement juste et équilibré avec toutes les parties concernées. Il faut rencontrer les victimes palestiniennes, étendre la visite à Gaza et utiliser toute l’autorité de la CPI pour délivrer des mandats d’arrêt si nécessaire. La quête de justice exige un engagement résolu et une action rapide.

Communiqué publié le 30 novembre par El Haq sur son site / Traduction Chris & Dine

Al-Haq est une ONG palestinienne indépendante de défense des droits humains basée à Ramallah, en Cisjordanie. Créée en 1979 pour protéger et promouvoir les droits de l’homme et l’état de droit dans les territoires palestiniens occupés.