Wadi Tiran : Affronter le nettoyage ethnique et se languir de chez soi

ISM-Palestine, 20 novembre 2023. Wadi Tiran (dans les collines du sud d’AlKhalil-Hébron) est un bon exemple, et malheureusement un parmi tant d’autres, du grand projet israélien visant à faire de la Palestine une terre sans peuple. Au cours du mois dernier, la communauté de Wadi Tiran a été « visitée » à plusieurs reprises soit par des colons, soit par des soldats, ou les deux (puisque les distinguer est de plus en plus difficile de nos jours), ordonnant à tous les habitants du village de partir sous peine de se faire tuer. Lors d’une de ces « visites », toutes les vitres de leur tracteur, de leur camionnette et de leur voiture ont été brisées (photo ci-dessous).

L’équipe ISM, en collaboration avec des militants israéliens, fait partie de la présence protectrice à Wadi Tiran depuis plus d’une semaine et a été témoin de certaines des menaces auxquelles cette petite propriété de berger a été confrontée, notamment l’arrivée de colons à moto et en quad à proximité, et pas plus tard qu’hier (18 novembre), un véhicule à quatre roues motrices avec des colons à bord est apparu à l’intérieur de la ferme. Les colons ne sont pas descendus de la voiture mais ont roulé de façon agressive pluis se sont dirigés vers une autre ferme du village située sur la colline voisine.

Les militants israéliens ont appelé la police israélienne, mais celle-ci leur a demandé : « Pourquoi soutenez-vous les terroristes ? » Ayant été témoins de la terreur infligée aux habitants de Wadi Tiran, nous posons la même question au gouvernement israélien, au gouvernement des États-Unis et à d’autres organismes nationaux et internationaux qui permettent, soutiennent et financent le nettoyage ethnique de communautés comme Wadi Tiran.

Wadi Tiran est une petite communauté où vivent deux frères et leurs familles, soit au total une trentaine de personnes, pour la plupart des enfants, et élèvent environ 300 moutons et chèvres. Le père des deux agriculteurs a été expulsé de la région de Yattir en 1948 et s’est installé sur le versant aride de la colline de Wadi Tiran où ils vivent depuis lors.

Les clés sont suspendues à un espace commun à Wadi Tiran. De nombreux Palestiniens ont conservé les clés des maisons ancestrales dont ils ont été expulsés. Elles sont devenues un symbole populaire du droit au retour des réfugiés.

Les deux frères ont parlé avec tristesse et nostalgie de leur terre ancestrale où leur père cultivait du blé, du maïs, des pois chiches et des lentilles et où l’eau était disponible en abondance. « Dans une seule partie de Yattir, il y avait plus de 100 sources », se souviennent-ils.

Aujourd’hui, l’eau dont ils disposent provient de la pluie recueillie dans un puits, qu’ils utilisent pour les animaux, mais il n’y en a pas assez. De l’eau supplémentaire doit être achetée et amenée de l’extérieur à un coût qu’ils ne peuvent pas se permettre de nos jours. Les deux frères travaillaient de temps en temps dans des travaux agricoles en Israël jusqu’au début de l’escalade actuelle des hostilités et, comme tous les autres travailleurs palestiniens, ils ont maintenant perdu leur emploi.

Un puits presque vide à Wadi Tiran

Les efforts déployés par les occupants pour rendre impossible leur vie déjà difficile ont atteint leur paroxysme, mais ils ont commencé il y a longtemps. Sur notre trajet vers Wadi Tiran par le chemin de terre, nous avons pu constater que dans de nombreux endroits, il a été détruit. C’est le travail des bulldozers de l’armée israélienne qui, il y a trois mois, ont empilé des rochers et des tas de terre et de roches sur la route à plusieurs endroits pour rendre difficile l’accès à la ferme. Nous avons dû les contourner et parfois les franchir, et ce fut un parcours caillouteux désagréable, avec la peur d’endommager notre véhicule.

La principale menace pour les moyens de subsistance des agriculteurs était « la loi » introduite verbalement par les colons fixant une limite de 200 mètres de la ferme où le pâturage est désormais interdit. Depuis, les frères doivent acheter pratiquement toute la nourriture pour leurs animaux et transporter les sept tonnes mensuelles sur la route défoncée par l’armée.

Non pas que l’occupation israélienne ait jamais été « légère », mais depuis la guerre contre Gaza, elle a abandonné toutes les règles et pratiques établies. Se nourrissant de la rage qui s’est emparée de la population israélienne après les attaques des combattants de Gaza, les colons sont hors de contrôle et toutes les tentatives des autorités d’occupation de les empêcher de commettre des violences ont été abandonnées. L’armée est au courant de la violence des colons et choisit soit de fermer les yeux, soit de se joindre à leur violence.

Ce qui est également différent actuellement, c’est que personne ne sait si ceux qui harcèlent, attaquent et menacent sont des soldats, des colons ou des agents de sécurité des colons. L’armée régulière a été envoyée pour attaquer Gaza. L’occupation de la Cisjordanie et la « protection » des colonies illégales ont été confiées aux réservistes de l’armée, dont beaucoup sont des colons et assurent leur sécurité. Ils ont formé des « bataillons de défense régionale » et ces armées de voyous violents, souvent masqués et entièrement ou partiellement vêtus d’uniformes militaires, bloquent les routes et les entrées des villages et apparaissent à toute heure du jour et de la nuit pour attaquer les Palestiniens, détruire leurs champs, leur bétail et le contenu de leur maison.

Ils sont soit rejoints, soit dirigés par des colons « civils » qui ont reçu de grandes quantités d’armes du ministère de la Sécurité de Ben Gvir afin qu’ils puissent « défendre » leurs colonies. Alors que dans le passé, les services de sécurité des colonies opéraient principalement à l’intérieur des limites des colonies, depuis le 7 octobre, ils sont chargés de terroriser et de nettoyer ethniquement de vastes zones entourant les colonies.

Il ne fait aucun doute que, sans implication sérieuse de la part des puissants alliés d’Israël, et des États-Unis en particulier, l’horrible et criminelle anarchie et la violence laisseront les familles de Wadi Tiran sans avenir dans cette région.

Les pères des deux familles nous ont fait part de leurs craintes pour leur avenir et celui de leurs enfants. « Nous avons été agriculteurs toute notre vie et c’est ce que nous faisons. Où irons-nous ? » demandent les deux fermiers. C’est la question la plus posée ces jours-ci dans les collines du sud d’Hébron, entraînant de longues nuits d’insomnie, d’anxiété, de peur et un cauchemar vivant, qui se répercutent dans la vie des habitants de dizaines de villages confrontés au même sort.

Un des puits de Wadi Tiran, presque vide.

Article original en anglais sur Palsolidarity.org / Traduction MR