Gilboa ou le triomphe de la détermination révolutionnaire palestinienne

Sammy Ismail, 6 septembre 2023. « Vous venez contre moi avec l’épée, la lance et le javelot, mais je viens contre vous au nom du Seigneur Tout-Puissant », dit David à Goliath sur le champ de bataille avant de lancer, avec sa fronde, une pierre qui frappe à mort le Géant lourdement armé.Il y a deux ans, le 6 septembre 2021, six prisonniers palestiniens, Zakaria Zubeidi, Mahmoud Abdullah al-Arida, Mohamed Qassem al-Arida, Yaqoub Mahmoud Qadri, Ayham Nayef Kamanji et Munadil Yaqoub Nafiat, ont planifié une opération d’évasion d’une prison ultramoderne : s’échapper du complexe pénitentiaire de haute sécurité de Gilboa.

Les six prisonniers ont contrecarré de manière innovante les mesures de sécurité avancées de Gilboa en creusant un tunnel vers la liberté à l’aide d’un stylo et d’un chandelier qu’ils s’étaient procurés.

Le 10 septembre, les forces d’occupation israéliennes ont arrêté les deux premiers prisonniers de la prison de Gilboa, Yaqoub Qadri et Mahmoud al-Arida. Puis, le 11 septembre, ils en ont arrêté deux autres, Zakaria al-Zubaidi et Mohammad al-Arida. Le 19 septembre, Ayham Kamamji et Munadel Nafiat, les deux prisonniers restants, ont été arrêtés.

David contre Goliath

Dans un document de recherche pour Mondoweiss intitulé “David contre Goliath : le décalage militaire épique entre la Palestine et Israël“, l’auteur Sarmad Ishfaq détaille la forte asymétrie militaire entre la Résistance palestinienne et les forces d’occupation israéliennes ; il met en évidence une puissance militaire asymétrique et les pertes asymétriques qui en résultent.

Le rapport évalue quantitativement la puissance militaire des FOI par rapport à celle du Hamas et du Jihad islamique palestinien (JIP). Selon le rapport, l’armée israélienne (qui était classée 20e au monde par Global Firepower en 2021) comprend 1.650 chars, dont les Merkava Mk II/III/IV avancés, 7.500 véhicules blindés, 650 canons d’artillerie automoteurs, 300 armes d’artillerie remorquées, 600 avions, quatre corvettes, cinq sous-marins et 48 navires de patrouille, dont environ 80 à 400 ogives nucléaires. Le rapport souligne également qu’en 2020, ‘Israël’ disposait du budget de défense le plus élevé au monde (par habitant), soit 22 milliards de dollars.

Le thème David contre Goliath est un thème récurrent dans le discours sur la libération palestinienne depuis la première Intifada, lorsque l’asymétrie de la lutte du peuple palestinien contre les FOI était la plus frappante et représentait, avec respect, la détermination révolutionnaire du peuple palestinien dans sa lutte pour la libération malgré un contexte défavorable.

La dynamique David contre Goliath, visualisée dans Gilboa de manière emblématique à travers un stylo défiant l’industrie de sécurité israélienne de haute technologie, trouve également un écho dans d’autres événements expressifs précédents, comme l’enfant palestinien affrontant un char Merkava avec une pierre à la main, ou des jeunes masqués en chemise tirant avec une fronde au milieu des fumées de gaz lacrymogènes.

Au-delà de sa signification stratégique, l’opération d’évasion de la prison de Gilboa, à travers sa symbolique pittoresque, met en lumière un aspect central de la lutte palestinienne pour la libération : la guerre asymétrique.

Guerre asymétrique

Dans une interview datant de 1985, George Habash, ancien secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine, s’est penché sur le dilemme de la guerre asymétrique, affirmant qu’à la lumière des relations de pouvoir asymétriques, la guerre irrégulière apparaît comme la stratégie centrale pour réaliser libération.

Les héros de Gilboa

« La stratégie d’action palestinienne sur la scène à venir s’articule autour d’un axe central : l’adoption d’une politique de lutte armée et l’escalade de cette lutte contre l’ennemi sioniste. Nous vivons toujours dans une phase caractérisée par un net déséquilibre des pouvoirs à l’avantage de l’ennemi. Il est nécessaire d’intensifier la lutte armée contre l’ennemi sioniste jusqu’à ce qu’il soit contraint de battre en retraite, comme cela s’est produit au Liban. La lutte armée, telle que nous la comprenons et conformément à notre conception de la guerre populaire, est la forme de lutte la plus développée menée par une force révolutionnaire. »

« Comme l’a montré l’expérience, la lutte armée est étroitement liée à toutes les autres formes de lutte : diplomatique, populaire, intellectuelle et politique. C’est la forme la plus élevée de toutes et la plus efficace contre l’ennemi », ajoute-t-il.

Résister malgré une situation défavorable

Historiquement, toutes les luttes de décolonisation ont été dictées par des relations de pouvoir asymétriques. En fait, les deux sont des corollaires nécessaires l’un de l’autre. Les relations de pouvoir asymétriques (causées par l’accumulation disproportionnée de richesses) créent les conditions permettant le colonialisme (ou plus généralement l’assujettissement impérialiste), et ainsi la lutte de libération est dictée par des relations de pouvoir asymétriques.

À la lumière des relations de pouvoir défavorables, la guerre irrégulière apparaît comme le principal moyen de parvenir à la libération. Un point important abordé par Habash dans l’interview est que même si d’autres formes de lutte existent (à travers l’art, la diplomatie, le monde universitaire, le journalisme, etc.), toutes doivent reconnaître le caractère central de la résistance dans la lutte globale de libération. L’activisme artistique, diplomatique et universitaire doit prendre la résistance armée comme point central autour duquel il doit s’articuler, en particulier à la lumière des relations de pouvoir asymétriques qui dictent la lutte.

Dans le cas palestinien, la guerre irrégulière se manifeste différemment selon les différents degrés d’organisation. Cela va des salves de roquettes tirées depuis Gaza vers les colonies, aux bandes de jeunes en Cisjordanie résistant aux incursions, en passant par les opérations à la voiture-bélier dans les territoires occupés. Même s’ils ne sont pas concertés, tous doivent être compris comme un effort cumulé pour lutter contre le sionisme.

« Il ne faut pas considérer ces opérations de guérilla comme une forme indépendante de guerre. Elles ne sont qu’une étape dans la guerre totale, un aspect de la lutte révolutionnaire. Elles sont le résultat inévitable de l’affrontement entre oppresseur et opprimé lorsque ces derniers atteignent les limites de leur endurance », écrit Mao Zedong dans son livre sur la guérilla.

Les relations de pouvoir asymétriques et les guerres asymétriques entraînent des pertes asymétriques. C’est ce à quoi fait allusion l’article cité plus haut, « David contre Goliath : le décalage militaire épique entre la Palestine et Israël ». L’auteur souligne la disproportion du nombre de victimes, qui passe souvent inaperçue dans les médias.

L’asymétrie des relations de pouvoir entre la Palestine et ‘Israël’ est évidente non seulement dans leurs « forces respectives », mais aussi dans la différence marquée des pertes. Les combats contre les FOI, explique l’auteur, infligent moins de pertes à ‘Israël’ que celles infligées par les FOI aux Palestiniens. Selon les chiffres estimés par l’auteur, 92,39% des Palestiniens (combattants et civils) sont morts ou ont été blessés dans les combats contre l’occupation, ce qui correspond à seulement 7,60% des Israéliens (soldats et colons).

Malgré les lourdes pertes subies par les Palestiniens tout au long de leur lutte pour la libération, ils ont persévéré. En fin de compte, ce qui compte dans le bilan général, c’est que le peuple palestinien soit capable de poursuivre sa lutte de libération, en la transformant en une guerre d’usure pour l’occupation.

Le but de la résistance n’est pas une défaite militaire absolue, mais de saper la raison d’être du colonialisme en rendant ses coûts supérieurs à ses avantages. Comme l’explique George Habash, les opérations militaires doivent être intensifiées afin que la vie devienne extrêmement difficile pour les Israéliens et plus coûteuse que confortable pour leur entreprise colonialiste.

Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR