Cisjordanie : renforcement de la résistance palestinienne armée dans les camps de réfugiés suite aux raids israéliens

Leïla Warah, 24 juin 2023. Un petit groupe d’hommes jeunes, dont trois portent nonchalamment un fusil en bandoulière, se tiennent devant un supermarché. Ils regardent avec méfiance toute personne inconnue qui entre dans le camp de réfugiés, à l’affût des forces israéliennes secrètes qui pourraient l’envahir à tout moment.

Dans le camp de réfugiés de Nour Shams, à 3 km de Tulkarem (photo Leila Warah/MEE)

On pourrait facilement confrondre la scène avec celle de Jénine ou de Naplouse, deux villes palestiniennes du nord de la Cisjordanie occupée qui ont attiré l’attention internationale pour leur résistance armée contre l’occupation israélienne.

Alors que les jeunes hommes sont du nord, ils ne sont ni de Jénine ni de Naplouse. Ils sont originaires du camp de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem, plus à l’ouest, et sont membres d’un groupe de résistance armé nouvellement apparu dans la région.

Dans une ruelle du camp, le chef des Brigades de Tulkarem, âgé de 24 ans, Mohammad, a déclaré à Middle East Eye qu’il pensait que l’occupation israélienne n’a laissé d’autre choix à la jeunesse de Cisjordanie que de se tourner vers la résistance armée.

« [L’occupation israélienne] sont les ennemis de Dieu, et donc je me bats pour récupérer notre terre au nom de Dieu », a-t-il dit. « Notre problème n’est pas qu’ils soient juifs, c’est qu’ils occupent notre terre. »

« Si vous venez vers nous avec violence, notre seule option est de répondre par la violence. L’occupation ne nous laisse aucun espace de négociation, seulement des armes à feu. »

« Une dure réalité et un avenir sombre »

Les brigades de Tulkarem ont émergé en février et sont dirigées par les brigades Al-Qods, la branche militaire du mouvement du Jihad islamique.

Elles sont composées de 15 combattants du camp de Nur Shams âgés de 16 à 25 ans qui se sont engagés à « se défendre » contre l’occupation militaire israélienne par la résistance armée.

« Nous sommes au début de la résistance. Tout ce qui s’est passé n’est que le début. De nouvelles générations arrivent, et la liberté sera entre leurs mains, c’est eux qui l’obtiendront », a déclaré Mohammed.

Les habitants disent que le camp de réfugiés de Nur Shams subit des incursions militaires israéliennes quasi quotidiennes, dont cinq opérations à grande échelle cette année.

« Depuis qu’elle est née, cette génération vit une dure réalité et son avenir est sombre. Chaque jour, l’occupation attaque le camp et arrête leurs pères. L’armée tue leurs amis et détruit tout », a déclaré Ibrahim Al-Nimr, 51 ans, un militant qui travaille pour la Société des prisonniers palestiniens, à MEE.

Le groupe a mis en place des postes de contrôle à toutes les entrées du camp et les maintient fermés entre minuit et midi pour contrer les fréquentes incursions et éliminer les officiers israéliens clandestins.

Niya Jundi, un habitant de Nur Shams, a déclaré que la communauté « encourage les initiatives de la jeune génération résiliente qui aspire à vivre dans un pays libre ».

« Bien sûr, il y a des inconvénients à la résistance. Cela rend notre accès aux services plus difficile, mais c’est notre droit de porter les armes jusqu’à ce que nous soyons libérés de l’occupation. »

Un réseau de résistance armée

Les habitants locaux disent que le martyre de Saif Abu Libda, résident de Nur Shams, a impulsé l’existence des Brigades de Tulkarem.

Né et élevé dans le camp, Abu Libda a rejoint la Brigade de Jénine et espérait un jour amener la résistance armée chez lui à Nur Shams, pour compléter le « triangle de la résistance » nord entre Jénine, Naplouse et Tulkarem.

De g. à dr. : Saeb Abahara, 30 ans, Khalil Twalba, 24 ans, de Jénine, et Saif Abu Lebda, 25 ans, de Tulkarem (presse palestinienne)

Les forces israéliennes lui ont tendu une embuscade et l’ont tué, ainsi que Saeb Abahra, 30 ans, et Khalil Tawalbeh, 24 ans, alors qu’ils conduisaient à Jénine le 2 avril 2022. Tous trois étaient membres des Brigades Al-Qods, mais nr’étaient pas engagés dans des affrontements armés à l’époque.

« Tous les groupes de résistance en Cisjordanie sont en contact les uns avec les autres. Nous avons tous le même objectif », a déclaré Mohammed.

Jamal Huweil, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université arabe américaine de Jénine, a déclaré que, comme Abou Libda, des gens de toute la Cisjordanie – y compris Tubas, Naplouse, Balata et Hébron – se sont rendus à Jénine pour en savoir plus sur la lutte armée.

Avec l’accroissement de la résistance armée en Cisjordanie, Israël a officiellement lancé l’opération Briser la vague en mars 2022, qui permet des raids militaires quasi quotidiens à travers la Cisjordanie et une escalade de la politique israélienne de tirer pour tuer, entraînant des arrestations de masse et l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens dans les territoires occupés depuis la deuxième Intifada, il y a deux décennies.

Huweil pense qu’Israël a donné à l’opération le nom de Jénine, là où la « vague » a commencé.

« Israël considère le camp de réfugiés de Jénine comme un incubateur de résistance. La vague continue et a atteint Naplouse, le camp de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem et le camp de réfugiés d’Aqbat Jabir à Jéricho. Jénine est la source de la résistance palestinienne et, par conséquent, un problème pour Israël », a-t-il déclaré à MEE.

Même avec la croissance de la résistance armée, Huweil a souligné que la dynamique de la puissance entre l’armée israélienne, bien placée au rang mondial, et les jeunes combattants est très disproportionnée.

« Il n’y a pas de comparaison quand ils ont des hélicoptères Apache, des avions d’observation et des unités spéciales contre un groupe de combattants équipé du strict nécessaire », a-t-il déclaré.

Alors que la résistance armée palestinienne se développe, les dirigeants israéliens ont appelé à « l’opération Bouclier défensif 2 », en référence à une invasion militaire à grande échelle de la Cisjordanie en 2002, pendant la deuxième Intifada.

« Il y a des discussions internes sur la question de savoir si Israël doit étendre ses opérations, mais je soupçonne que s’ils le font, la résistance ne fera que se renforcer et deviendra plus féroce », a déclaré Huweil.

Coordination sécuritaire palestinienne et israélienne

Des responsables palestiniens et israéliens se sont rencontrés deux fois cette année, à Aqabat, Jordanie et Sharm el Sheikh, Égypte, pour discuter de l’économie palestinienne, de la désescalade de la violence et du rôle de l’Autorité palestinienne (AP) dans la dissolution de la résistance armée en Cisjordanie.

Cependant, de nombreux Palestiniens sont désabusés vis-à-vis des pourparlers de paix et de la diplomatie entre responsables et méprisent la coordination sécuritaire de l’AP avec Israël pour réprimer la résistance armée, ce qui a provoqué une montée des tensions dans des endroits comme Nur Shams.

« [Le président de l’AP] Mahmoud Abbas ne croit pas à la résistance armée. Il rencontre des hommes politiques israéliens pour discuter de la situation sécuritaire et de l’économie parce que ce sont des facteurs qui poussent les gens à se radicaliser », a déclaré Huweil.

« Ils ont peur que la vague du camp de Jénine ne se propage et n’atteigne toute la Cisjordanie, Gaza et le Liban. »

Mohammed a déclaré à MEE « que les discours politiques ne font rien. Nous les avons essayés et ils aboutissent à des arrestations. Le seul moyen de récupérer notre liberté, c’est par la force ».

« L’AP fait pression sur la résistance armée ici, en offrant de l’argent aux combattants pour qu’ils la quittent et qu’ils rejoignent la police, mais cela ne fait aucune différence », a-t-il déclaré.

« L’armée israélienne n’obéit ni aux règles internationales, ni à rien. »

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR