Mémoire et oubli en Israël

Ramona Wadi, 25 avril 2023. Pour commémorer le 75e anniversaire de la création de l’entreprise coloniale d’Israël, la Bibliothèque nationale d’Israël s’est lancée dans un nouveau projet sur le thème « Operation Diary : the Founding Generation for Israel’s 75th ». Le projet, qui est mené en collaboration avec Israel Hayom, recherche des journaux intimes de 1948 écrits par « les hommes et les femmes de la génération fondatrice de la nation dans le but de créer une collection historique unique ».

Pendant ce temps, comme Haaretz l’a rapporté en 2019, le ministère israélien de la Défense tient à garder de nombreux détails de 1948 à l’abri de l’examen du public, y compris des documents qui avaient déjà été précédemment déclassifiés. Selon l’ancien directeur de Malmab, le département secret de la sécurité du ministère israélien de la Défense, la suppression des documents avait un objectif : « saper la crédibilité des études sur l’histoire du problème des réfugiés ».

Alors que « l’Opération Journal » en est encore à ses débuts, la description du projet est révélatrice d’un nouvel effacement de la mémoire palestinienne. Il reste à voir quel matériel sera conservé dans les archives, mais le langage utilisé – notamment le terme « génération fondatrice » – masquera probablement la nature coloniale de la fondation d’Israël, ce qui déformera également la Nakba de 1948.

Considérant le projet colonial sioniste et la volonté des colons de faire partie du nettoyage ethnique perpétré par les paramilitaires sionistes, quelle mémoire Israël recherche-t-il ? Si les journaux incluent des récits de participants sionistes à la Nakba de 1948, comment cela façonne-t-il davantage la mémoire collective d’Israël, qui est déjà obstruée par l’effacement de la Palestine par l’État colonial ? La collection de journaux comprendra des écrits d’Hannah Senesh, qui était sioniste et également membre du groupe paramilitaire, Haganah, par exemple. Si Israël est fondé sur les massacres et le déplacement de la population indigène, ainsi que sur la destruction des villes et villages palestiniens, à quoi serviront ces journaux pour l’entreprise coloniale israélienne, à moins qu’ils n’attestent ou ne contribuent au récit sioniste officiel d’Israël ?

Le projet peut être révélateur d’encore plus d’efforts pour dissimuler les trous dans les récits politiques et historiques d’Israël. « Operation Diary » apportera vraisemblablement un récit plus banal et personnel de la fondation d’Israël ; éventuellement des récits détachés, selon la situation de l’écrivain, le lieu, la désensibilisation ou l’affinité avec l’idéologie sioniste. En termes d’archives historiques, les témoignages personnels éclaireraient l’expérience individuelle d’une histoire commune. Cependant, avec l’effacement par Israël de la mémoire palestinienne, ainsi que l’effacement de sa propre violence pour s’assurer que les récits palestiniens sont encore limités, les journaux peuvent être utilisés par Israël pour détourner l’attention de ses fondations coloniales.

Ce que la Bibliothèque nationale d’Israël appelle la « génération fondatrice » a d’autres connotations pour la mémoire palestinienne, et la mémoire collective sioniste reste incomplète sans l’apport palestinien de ce qui s’est passé avant, pendant et après la Nakba de 1948. Ainsi, alors qu’Israël construit ses initiatives de mémoire sous prétexte de laisser un héritage aux générations futures, jusqu’où ira l’oubli israélien dans les années à venir ? Plus les Palestiniens sont éliminés par Israël, plus l’histoire sioniste reste incomplète.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR

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