Guerre par procuration au Soudan

Encore une calamité forgée de toutes pièces par les Etats-Unis et Israël avec la complicité des régimes arabes.

Raï al Youm, 18 avril 2023. Alors que la guerre au Yémen se termine ou commence à se terminer, une nouvelle guerre commence au Soudan. Ces deux conflits, qui se déroulent de part et d’autre de la mer Rouge, ont en commun d’être en grande partie des guerres par procuration, dans lesquelles l’intervention extérieure (en particulier celle du Golfe) joue un rôle majeur.

C’est vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis que le secrétaire d’État américain Anthony Blinked s’est tourné pour exhorter à redoubler d’efforts afin de rétablir le calme et de mettre un terme à la guerre qui a éclaté samedi entre les deux grands ex-alliés : le général Abdelfattah al-Burhan et son adjoint le général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti).

Ce dernier a atteint son rang élevé sans avoir fréquenté aucune académie militaire ou civile, mais grâce à sa direction des Forces de soutien rapide (FSR – une milice), fortes de 100 000 hommes – notoirement connues pour leurs meurtres et leur répression (au Darfour) – et à l’acquisition de vastes quantités d’or volé.

Plusieurs indices ont mis en évidence les allégeances des parties qui se battent pour le pouvoir au Soudan et l’identité de leurs soutiens extérieurs.

Tout d’abord, l’attaque par les forces de la FSR du personnel égyptien stationné à la base militaire de Merowe, dont beaucoup ont été emprisonnés, implique que l’Égypte est accusée de soutenir Burhan et l’armée régulière qu’il commande.

Deuxièmement, les liens étroits entre Hemedti, qui contrôle le commerce de l’or et les mines du Soudan, et le groupe russe Wagner… Les États-Unis ont fait pression sur Burhan pour qu’il expulse le groupe au motif qu’il est impliqué dans l’extraction et la vente de cet or et qu’il utilise les recettes pour financer la guerre de la Russie en Ukraine, qu’il est le fer de lance de l’influence russe en Afrique et qu’il prépare le terrain pour l’établissement d’une base militaire russe au Soudan.

Troisièmement, les Émirats arabes unis sont devenus le plus gros investisseur extérieur au Soudan. Il y a quelques jours, ils ont acheté pour 1,5 milliard de dollars des réserves d’or soudanais, que Hemedti contrôle, ainsi que des millions d’hectares de terres agricoles. Les deux parties sont manifestement très proches. Le FSR de Hemedti a combattu aux côtés des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, en y envoyant des milliers de ses combattants.

Quatrièmement, la position saoudienne reste floue et hésitante entre les deux parties. Le fait que les liens de l’Arabie saoudite soient tendus avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui sont les principaux soutiens des deux camps rivaux, complique la situation.

Les Émirats arabes unis ont envoyé un conseiller présidentiel, plutôt que leur ministre des affaires étrangères, à la récente conférence ministérielle de Djeddah sur la Syrie, convoquée par le prince héritier saoudien Muhmmad Bin Salman. Les relations avec l’Égypte ne sont pas non plus au beau fixe.

Le président Abdelfattah as-Sisi n’a pas réussi, lors de sa brève visite de Ramadan à Djeddah, à obtenir le paquet d’aide financière d’urgence sur lequel il comptait. Faisant preuve d’une neutralité affichée, l’Arabie saoudite a exhorté Hemedti et Burhan à se rencontrer à Riyad pour négocier la fin de leur conflit.

Sur le papier, l’armée régulière soudanaise se classe au 75e rang mondial, avec 205 000 hommes, 191 avions de guerre (menacés d’obsolescence) et 170 chars d’assaut. En théorie, cela signifie qu’elle a le dessus et qu’elle a plus de chances de vaincre les forces rebelles de Hemedti.

Mais cela est loin d’être acquis, compte tenu de l’intervention extérieure croissante.

Cette guerre ne peut se terminer que si l’une des parties bat et écrase l’autre, et non par une médiation ou des appels même vibrants à un arrêt immédiat. Tout indique qu’elle pourrait se prolonger et se transformer en une guerre civile ou interrégionale qui entraînerait une anarchie armée dans le pays.

Si la guerre du Yémen, qui devait être réglée en trois mois, a duré huit ans, et la guerre civile libanaise quinze ans, combien de temps pourrait durer une guerre civile soudanaise si elle était déclenchée ?

Ce serait une perspective terrible. Les combats ont déjà fait 100 morts et des centaines de blessés, dont de nombreux civils. Il faut espérer qu’un cessez-le-feu soit rapidement conclu.

Mais l’inquiétude et le pessimisme sont justifiés par l’ingérence des acteurs extérieurs qui ont contribué à déclencher cette guerre et qui continuent à jeter de l’huile sur le feu, ainsi que par l’aggravation des querelles entre eux.

Le seul point positif parmi les rapports contradictoires sur le déroulement de la guerre est que le brave peuple soudanais ne soutient aucun des deux camps.

Il tient les deux protagonistes pour responsables de l’effondrement économique, de l’insécurité, de la faim croissante (un tiers des Soudanais se trouvent sous le seuil de la faim selon le Programme alimentaire mondial) et, surtout, de l’échec de l’accord visant à transférer le pouvoir aux organisations civiles qui ont mené à bien la révolution contre le régime militaire et ses coups d’État en série.

Le Soudan est victime d’une grande conspiration qui peut conduire à n’importe quelle issue, y compris la partition ou la guerre civile.

L’establishment militaire est sans conteste le principal responsable de cette calamité. Les luttes de pouvoir entre les généraux et les commandants sont motivées par des raisons purement égoïstes, sans tenir compte de l’unité territoriale du pays ni des intérêts et du bien-être de sa population.

C’est ce qui résulte de la normalisation et de la grande escroquerie américaine qui a promis au peuple soudanais la prospérité et la générosité si Burhan serrait la main de Benjamin Netanyahu et si Hemedti se prosternait devant Tel-Aviv, comme si Israël était un État ami qui résoudrait tous les problèmes du Soudan.

En bref, nous assistons à un nouveau désastre majeur conçu par les États-Unis et Israël avec la complicité, volontaire ou involontaire, des régimes arabes.

18 avril 2023 – Raï Al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine

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