Les médias occidentaux ne veulent pas que vous lisiez le mot Palestine

Davide Mastracci, février 2022. Le parti pris des médias occidentaux contre la Palestine se manifeste de plusieurs manières. L’une d’elles concerne les mots que les médias ont tendance à utiliser pour décrire l’oppression israélienne (ou le conflit israélo-palestinien, comme ils aiment à l’appeler). Ces mots finissent souvent par renforcer le récit d’Israël au détriment des Palestiniens et de la vérité. L’un des exemples les plus flagrants est celui des médias occidentaux qui interdisent aux journalistes d’utiliser le mot Palestine, sauf dans des circonstances limitées.

Ce qui suit est une liste des recommandations des guides des styles des diffuseurs publics et des journaux sur la façon d’utiliser le mot Palestine. Si vous travaillez dans une publication qui a un guide de style interne interdisant l’utilisation du mot Palestine, veuillez me contacter sur Twitter et je pourrai l’ajouter à cette liste, qui sera mise à jour à l’avenir. 

Associated Press

Le guide de style AP est la norme pour les médias de tous les États-Unis. Chaque journal peut avoir son propre guide de style, mais la plupart utilisent celui de l’AP dans son intégralité ou comme base à laquelle ils peuvent apporter des modifications. En tant que telles, les directives de l’AP sont extrêmement importantes, car lorsqu’elles sont modifiées, des centaines d’autres médias font de même. En outre, l’agence de presse de l’AP est l’une des plus importantes au monde, avec plus de 1.300 agences de presse qui publient ses articles.  

Voici la rubrique pour « Palestine » dans la 55e édition du manuel de style d’AP, publié en 2020 : « Utilisez Palestine et Palestiniens dans le contexte des activités de la Palestine au sein des organismes internationaux auxquels elle a été admise et des actions de l’Autorité palestinienne : le drapeau palestinien, le premier ministre palestinien. N’utilisez pas Palestine ou État de Palestine dans les autres situations, car il ne s’agit pas d’un État totalement indépendant et unifié. Pour le territoire, se référer spécifiquement à la Cisjordanie ou à Gaza, ou aux territoires palestiniens en référence aux deux. »

Canadian Press

La CP est l’équivalent canadien de l’AP, servant à la fois de guide de style standard pour les médias et d’agence de presse populaire. Contrairement à l’AP, la CP n’a pas de rubrique sur la Palestine, que ce soit dans son Stylebook ou dans son guide Caps and Spelling [Majuscules et Orthographe, ndt] J’ai contacté la CP pour connaître sa politique. James McCarten, le rédacteur en chef du Stylebook, m’a répondu peu après la publication de cet article, indiquant que « la pratique générale de la PC, lorsqu’il s’agit de questions de style qui sont principalement de nature internationale, et donc susceptibles d’être dominées sur notre fil par des textes d’AP, est d’adhérer aux préférences d’AP. Nous cherchons parfois, mais pas toujours, à refléter ces politiques dans nos propres livres, en fonction de la fréquence des questions qui nous sont posées, bien que nous ne l’ayons pas encore fait dans le cas spécifique de la Palestine. Il est probable que nous le ferons dans une prochaine édition, mais pour l’instant, lorsqu’un journaliste se retrouve à travailler sur un tel sujet, nous le renvoyons à l’approche de l’AP. »

Le guide de l’AP omet également de mentionner la Palestine dans quelques domaines. Par exemple, le Stylebook comporte une section énumérant la plupart des pays/régions du monde, ainsi que des informations sur chacun d’eux. Ni le mot Palestine ni même les « territoires palestiniens » n’y figurent. Une autre section du livre définit la manière dont les titres de certaines régions doivent être utilisés. Elle note que le « Moyen-Orient » est « généralement considéré comme comprenant le Bahreïn, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, Israël, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, le Soudan, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Turquie, les Émirats arabes unis et le Yémen ». Là encore, ni le mot Palestine ni même « territoires palestiniens » n’y figurent.

Canadian Broadcasting Corporation

La CBC est le radiodiffuseur public national du Canada. 

Voici la rubrique de son guide de style pour « Palestine vs territoires palestiniens », qui a été introduite pour la première fois en 2011, puis mise à jour dans sa forme actuelle : « Il n’y a pas de pays moderne de Palestine, bien qu’il y ait un mouvement pour en établir un dans le cadre d’un accord de paix à deux États avec Israël. Ne faites donc pas référence à la Palestine et ne montrez pas de carte avec la Palestine comme pays. Utilisez le terme « pro-palestinien » au lieu de « pro-Palestine » lorsque vous faites référence de manière générique aux partisans de la Palestine. Les zones sous le contrôle de l’Autorité palestinienne sont considérées comme des territoires palestiniens : la Cisjordanie contrôlée par le Fatah et la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. Les termes « territoires palestiniens » et « territoires occupés » ne sont pas synonymes. Les premiers comprennent la bande de Gaza, où Israël ne maintient plus de présence militaire permanente. Le second comprend le plateau du Golan, qui fait l’objet d’un conflit entre Israël et la Syrie. En novembre 2012, les Nations unies ont voté pour accorder le statut de « État observateur non membre » à la Palestine. Nous pouvons mentionner cela avec précision dans les articles lorsque cela est pertinent. Mais l’ONU n’accorde pas le statut de nation, et il est prématuré d’appeler les territoires palestiniens le pays de la Palestine. Lorsque vous faites référence à la Palestine historique, utilisez un langage clair (par exemple, ‘Palestine britannique’ est le terme accepté pour le mandat britannique de Palestine, qui a administré la région entre 1920 et la naissance d’Israël en 1948). »

La position de CBC sur l’utilisation du mot Palestine a suscité plusieurs controverses au fil des ans, mais la plus notable a eu lieu en 2020, lorsqu’elle a obligé un animateur radio à publier une correction et des excuses à l’antenne pour avoir utilisé le mot « Palestine » au lieu de « territoires palestiniens » dans une interview antérieure, où il s’entretenait avec l’auteur d’un livre intitulé Palestine. Le réseau a également supprimé l’utilisation du mot « Palestine » de l’enregistrement en ligne de l’émission et de l’interview elle-même avant qu’elle ne parvienne aux auditeurs des fuseaux horaires ultérieurs.

British Broadcasting Corporation

La BBC est le radiodiffuseur public national du Royaume-Uni.

En 2005, la BBC a chargé un comité indépendant d’examiner sa couverture du « conflit israélo-palestinien, notamment en ce qui concerne l’exactitude, l’équité, le contexte, l’équilibre et la partialité », après avoir fait l’objet de nombreuses plaintes. L’une des recommandations du panel était que la BBC « devrait rendre publique une version abrégée de son guide des faits et de la terminologie à l’usage des journalistes ». C’est ce qu’elle a fait en 2006, et elle a depuis continué à rendre publiques les mises à jour de ce guide.

Voici l’entrée pour « Palestine » : « Il n’y a pas d’État indépendant de Palestine aujourd’hui, bien que l’objectif déclaré du processus de paix soit d’établir un État de Palestine à côté d’un État d’Israël. En novembre 2012, l’OLP a obtenu un vote à l’Assemblée générale de l’ONU, améliorant son statut précédent d’ « entité » de sorte que l’ONU reconnaît désormais les territoires en tant qu’ « État observateur non membre ». Ce changement permet aux Palestiniens de participer aux débats de l’Assemblée générale des Nations unies. Il améliore également les chances des Palestiniens de rejoindre les agences de l’ONU. Mais le vote de l’ONU n’a pas créé d’État palestinien (la Palestine a plutôt échoué dans sa tentative de rejoindre l’ONU en tant qu’État membre à part entière en 2011, faute de soutien au Conseil de sécurité). Ainsi, dans la couverture quotidienne du Moyen-Orient, vous ne devez pas apposer le nom de « Palestine » à Gaza ou à la Cisjordanie – il s’agit plutôt d’une aspiration ou d’une entité historique. Mais il est clair que les journalistes de la BBC doivent tenir compte du changement de circonstances lorsqu’ils couvrent l’ONU elle-même et les Jeux olympiques, où le Comité international olympique reconnaît la Palestine comme une nation concurrente. La meilleure pratique consiste à utiliser le terme Palestine de manière ferme et uniquement dans le contexte de l’organisation dans laquelle il est applicable, comme la BBC l’a fait aux Jeux olympiques – par exemple : “Aux Nations unies, les représentants de la Palestine, qui a le statut d’observateur non membre…” »

Australian Broadcasting Corporation

L’ABC est le radiodiffuseur public national de l’Australie. Voici la rubrique « Palestine » de son guide de style : « Ne pas utiliser. Nous disons territoires palestiniens. Palestinien comme adjectif ou nom est OK. »

Deutsche Welle

Deutsche Welle est un radiodiffuseur public international basé en Allemagne. En mai 2021, un mémo interne contenant un document intitulé « Israël et les territoires palestiniens – guide de reportage du rédacteur en chef » a été divulgué. Le document indique : « Le passé de l’Allemagne dans la réalisation de l’Holocauste signifie qu’elle a une responsabilité particulière envers Israël. […] En tant que DW, nous ne remettons jamais en question le droit d’Israël à exister en tant qu’État et nous ne permettons jamais à des personnes dans nos reportages de le faire. »

Voici l’entrée du radiodiffuseur pour « Palestine », dans la section mots-clés des documents : « Le terme Palestine est utilisé dans le contexte des activités de la Palestine dans les instances internationales et des actions de l’Autorité palestinienne. Pour le territoire, nous faisons spécifiquement référence à la Cisjordanie ou à Gaza, ou aux territoires palestiniens en référence aux deux. »

Los Angeles Times

Le Los Angeles Times se targue d’être le « plus grand quotidien métropolitain du pays, avec plus de 40 millions de visiteurs pour le seul latimes.com chaque mois, un lectorat sur papier le dimanche de 1,6 million de personnes et une audience hebdomadaire locale combinée, imprimée et en ligne, de 4,4 millions de personnes ». 

Suhauna Hussain, journaliste au Times, a récemment tweeté que « Sauf entre guillemets, nous ne sommes pas autorisés à dire Palestine », ajoutant que « La politique, codifiée dans un mémo de 2005, exige que Palestine soit utilisée uniquement pour décrire le territoire qui a existé de 1923 à 1948, ou la région historique (la terre de Palestine). Ce n’est pas une nation reconnue. »

Washington Post

Le Washington Post est un grand journal américain, avec environ 2,7 millions d’abonnés numériques en octobre 2021. Il possède son propre guide de style interne, mais suit les recommandations de l’AP en utilisant « territoires palestiniens » au lieu de « Palestine » dans la plupart des cas.

New York Times

Le New York Times se targue d’avoir près de 8,4 millions d’abonnements au total, dont 7,6 millions pour l’accès numérique. Le guide de style du Times n’a pas d’entrée spécifique pour la Palestine. Cependant, sous la référence au « Moyen-Orient », il écrit qu’il « comprend l’Égypte, l’Iran, l’Irak, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, l’Arabie saoudite, la Syrie, le Yémen et les émirats du golfe Persique », sans mentionner la Palestine.

J’ai contacté le Times pour essayer d’obtenir plus d’informations sur cette question, mais je n’ai pas encore reçu de réponse.

Article original en anglais sur Passage le 17 février 2022 / Traduction MR

Note ISM-France : Une recherche sur le site de l’AFP ne nous a permis de trouver un guide des styles qui nous informerait sur les recommandations de l’utilisation des mots « Palestine » et « Palestiniens » dans le traitement des informations par les journalistes de l’Agence.

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