Tareq S. Hajjaj, 3 décembre 2022. C’est l’hiver à Gaza. Autrefois, c’était une saison agréable. Les gens enviaient le climat tempéré de Gaza, lorsque la pluie était considérée comme une source de subsistance plutôt que comme le signe avant-coureur d’une catastrophe. Les choses sont différentes aujourd’hui. Aujourd’hui, lorsque la pluie est annoncée, les familles commencent à s’inquiéter de la façon dont leurs enfants pourront se rendre à l’école pendant les inévitables inondations qui suivront. L’image d’enfants pataugeant dans des rues inondées jusqu’à la taille est devenue un spectacle courant cet hiver.
La saison des pluies n’a pas toujours été ainsi. Il y a 20 ans, les inondations étaient rarement observées à Gaza, même si les pluies étaient beaucoup plus abondantes qu’aujourd’hui. La différence est que Gaza disposait d’une infrastructure que les guerres israéliennes et l’interminable blocus ont quasiment anéanti. Aujourd’hui, même s’il ne pleut que quelques heures, plusieurs rues sont inondées et l’eau pénètre dans les maisons des habitants.
D’une année à l’autre, les inondations n’ont fait qu’augmenter en gravité malgré la longue liste de réalisations déclarées par la municipalité de Gaza. Mais bien sûr, la municipalité n’a pas le luxe de développer réellement les infrastructures de Gaza – elle est trop occupée à essayer de rattraper le retard pris dans la réparation des dégâts causés par les guerres d’Israël. La situation actuelle devrait tirer la sonnette d’alarme : il y a une crise croissante des infrastructures à Gaza, exacerbée à la fois par le changement climatique et le siège israélien. Les points faibles et mal préparés de l’infrastructure de Gaza seront les premiers à se rompre. La vie des gens sera exposée à un danger incalculable, selon les experts.
En novembre, la première vague de pluie hivernale s’est abattue sur la bande côtière. Elle a commencé dans la matinée et s’est arrêtée dans l’après-midi. Pendant cette courte période, tout a changé sur le terrain. Les écoles étaient pleines d’élèves bloqués qui ne pouvaient pas rentrer chez eux. Les voitures ne pouvaient pas circuler et les gens étaient impuissants jusqu’à ce que la municipalité gère la situation. Les inondations ne sont pas seulement dues à la pluie. Les canalisations d’égout ont explosé en raison de la pression créée par la pluie sur les puits. Les gens ont fait du stop pour monter dans le godet des bulldozers de la municipalité, qui ont fini par transporter les gens d’un côté à l’autre des rues.
Ces conditions ne laissent présager qu’un avenir difficile pour les habitants de Gaza.
« La plupart des endroits touchés par le changement climatique sont ceux dont les infrastructures sont les plus faibles et les moins préparées, et leurs habitants en paieront le prix », a déclaré à Mondoweiss le Dr Ahmad Hilles, directeur de l’Institut national pour l’environnement et le développement.
L’augmentation de la densité de population met les infrastructures à rude épreuve
Les tentatives pour faire face à l’augmentation de la population de Gaza se sont chaque fois heurtées à des obstacles israéliens. Le travail effectué par l’Autorité palestinienne pendant plusieurs années sur un projet destiné à fournir à la bande des sources d’énergie propre dans le camp de réfugiés d’Al-Bureij, par exemple, a été anéanti lorsqu’Israël a bombardé le projet pendant l’opération “Gardiens des murs” en 2021, avant son achèvement.
« Jour après jour, la population palestinienne augmente à Gaza plus rapidement que dans tout autre endroit du monde. Chaque année, 70 à 75.000 personnes naissent à Gaza », a déclaré Hilles à Mondoweiss. « Ils partagent les mêmes ressources, le même environnement, les mêmes infrastructures. Tout cela se passe dans une bande de terre sous blocus. L’un des résultats directs du siège est que le nombre de personnes a dépassé la capacité de l’environnement à les accueillir. »
La municipalité prévient que Gaza, dont la densité de population est la plus élevée au monde, ne pourra pas gérer la situation actuelle encore longtemps.
« C’est une vieille ville avec une infrastructure ancienne et usée qui est directement visée dans chaque offensive israélienne », a déclaré le représentant municipal Husni Muhanna à Mondoweiss. « Le système a besoin d’une révision complète, et cela dépasse les capacités de la municipalité ».
« Cet hiver révélera plus de crises que la saison précédente, et le prochain sera encore plus difficile », a-t-il ajouté. « La nouvelle population devrait être accueillie avec davantage d’installations et un développement des infrastructures. Au lieu de cela, la situation actuelle nous oblige à mettre tous nos efforts dans la réparation des destructions israéliennes. Lorsqu’il s’agit de réparation et de développement, Israël empêche l’entrée de matériaux, d’équipements et de machines modernes. Tous les outils de la municipalité sont obsolètes », a déclaré le représentant.
Le coût du blocus dans un contexte de crise naturelle
Le blocus est destiné à empêcher la capacité de Gaza à aller au-delà de sa propre destruction. Contrôlant tout ce qui entre et sort de Gaza au cours des 15 dernières années, Israël a autorisé le strict minimum d’outillage à entrer dans la bande. Même pour faire entrer un clou dans la bande de Gaza, il faut des tonnes de paperasse et d’autorisations pour s’assurer qu’il n’est pas à « double usage ». Des centaines de matériaux sont interdits d’entrée à Gaza sous ce prétexte, notamment le ciment, les matériaux de construction, les machines, les tubes d’acier, les tuyaux, le plastique renforcé et d’autres matériaux. Tout ce qui a trait à l’énergie et à l’électricité figure naturellement aussi sur cette liste.
En ce qui concerne l’environnement, Hilles prévient que l’aggravation du changement climatique entraînera des souffrances « dans tous les autres aspects », dit-il à Mondoweiss.
Par exemple, la municipalité de Gaza n’a pas les moyens de réutiliser l’eau de pluie en raison de l’effondrement des infrastructures relatives à la collecte des eaux de pluie et aux puits. Le changement climatique ne faisant qu’exacerber la situation, la bande de Gaza est désormais confrontée à une situation dangereuse où elle sera incapable de faire face à l’inévitable catastrophe climatique liée à l’accès à l’eau.
« Gaza est confrontée à une pénurie d’eau de plus de 150 millions de mètres cubes par an », a déclaré Hilles. « Le changement climatique a un impact sur le niveau des pluies, qui sont la seule source d’eau à Gaza. Nous recevons maintenant 60 à 70 millions de mètres cubes par an, mais la bande en a besoin de 250. »
« Cela affecte aussi gravement la nappe phréatique », a-t-il poursuivi. « Elle baisse de 20 à 25 mètres chaque année, et cela conduit à ce que l’eau de mer s’y mélange ».
Hilles confirme que « l’eau souterraine propre à la consommation humaine doit comporter un SDT (solides dissous totaux) inférieur à 1.000-1.500 milligrammes par litre, mais à Gaza, il contient un SDT de plus de 10.000 mg/L. »
Rien de tout cela n’est bon. « Cela signifie que l’eau souterraine devient semblable à l’eau de mer », a précisé M. Hilles.
La pêche et l’agriculture ont également été durement touchées par cette catastrophe climatique, plongeant la population de Gaza dans une insécurité alimentaire encore plus grande.
Des lendemains qui déchantent
La première vague de pluie à Gaza est arrivée fin novembre. Les précipitations se sont produites à un rythme de 45 millimètres par heure. « Dans un endroit comme Gaza, ce taux de précipitations signifie des inondations », a expliqué Muhana à Mondoweiss. « Nos moyens ne nous ont pas permis de dégager immédiatement les rues inondées. Il nous a fallu plus d’une heure pour faire face à quelques heures de pluie. »
« Un seul tuyau peut transformer Gaza en lac », a déclaré Muhanna, exagérant à peine, pour souligner la gravité de la pagaille infrastructurelle.
Hilles estime que de telles situations ont forcé les gens à chercher des alternatives pour survivre, notamment des sources d’énergie alternatives. Le problème, c’est que certaines de ces alternatives mettent la vie de ces personnes en danger. À Gaza, beaucoup de gens ont perdu la vie en utilisant des matériaux dangereux pour alimenter leurs maisons pendant les pannes de courant de l’hiver, particulièrement dures.
« Les gens se mettent à chercher des alternatives pour survivre, et cela met leur vie en danger », a-t-il déclaré.
En 2018, les Nations unies ont prédit que d’ici 2020, Gaza sera « invivable ». Cette prédiction s’est réalisée. Chaque indicateur sur lequel ce rapport de l’ONU a fondé sa prédiction s’est depuis transformé en un véritable cauchemar humanitaire.
« Aujourd’hui, plus de 140 personnes sont atteintes d’un cancer chaque mois à Gaza, et c’est le résultat direct de ce que nous mangeons, buvons et respirons », a déclaré M. Hilles.
« La seule façon pour nous de dépasser cette situation est de mettre fin au siège israélien », conclut Hilles, sa recommandation semblant presque un vœu pieux, peut-être même impossible.
Article original en anglais sur Mondoweiss / Traduction MR
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