La mort venue du ciel : La nouvelle politique israélienne de drones armés en Cisjordanie

Qassam Muaddi, 12 octobre 2022. La décision prise en septembre par le chef d’état-major de l’armée israélienne d’autoriser l’utilisation de drones armés pour des assassinats ciblés en Cisjordanie occupée a suscité des inquiétudes quant aux implications humanitaires et juridiques d’une telle politique.

Grève générale dans toutes les villes de Cisjordanie occupée, le 12 octobre, en solidarité avec les habitants du camp de réfugiés de Shu’afat et pour protester contre les assassinats quotidiens de jeunes Palestiniens.

Les médias israéliens avaient rapporté que l’armée israélienne se préparait à mettre en œuvre l’utilisation de drones lors de raids militaires. Ces incursions – au nombre de plus de 2.200 à ce jour en 2022 – ont donné lieu ces derniers mois à des assassinats ciblés de militants palestiniens, notamment à Naplouse et à Jénine.

Les forces spéciales israéliennes mènent généralement ces raids, auxquels résistent fréquemment des Palestiniens armés, ce qui se traduit par des échanges de tirs prolongés.

Cependant, le feu vert donné par le chef d’état-major israélien Aviv Kochavi pour procéder à des assassinats ciblés à l’aide de drones armés pourrait avoir de profondes conséquences juridiques et en matière de droits de l’homme à un tout autre niveau.

Israël a commencé la pratique des assassinats ciblés par des frappes aériennes en Cisjordanie pendant la deuxième Intifada.

Le premier assassinat aérien commis par Israël en Cisjordanie a été celui de Hussein Abayat, un dirigeant militant du Fatah à Bethléem, en novembre 2000. Il a été tué lorsque des hélicoptères Apache israéliens ont lancé des missiles sur une camionnette dans laquelle il se trouvait.

Outre Abayat, deux Palestiniennes âgées d’une cinquantaine d’années ont été tuées et six autres civils ont été blessés lors de cet incident.

Malgré les pertes civiles, la Cour suprême israélienne s’est prononcée en 2006 en faveur de l’autorisation des assassinats ciblés sous toutes leurs formes.

Au cours des années suivantes, cette tactique a été utilisée principalement dans la bande de Gaza, notamment par le biais de frappes aériennes, causant souvent de lourdes pertes civiles.

« C’est la première préoccupation lorsqu’il s’agit d’assassinats par drones, à savoir qu’ils causeront très probablement des pertes civiles », a déclaré Tahseen Alian, un expert juridique palestinien, au New Arab.

« Les hélicoptères Apache pendant la deuxième Intifada étaient manoeuvrés par des pilotes, et pourtant ils tuaient des innocents presque à chaque frappe », a déclaré Alian. « Les drones sont des machines, et il est prouvé par l’expérience dans d’autres pays qu’ils tuent des victimes innocentes plus souvent qu’à leur tour. »

Selon les statistiques du Bureau du journalisme d’investigation, entre 8.858 et 16.901 personnes ont été tuées dans quelque 14.040 frappes de drones américains au Pakistan, au Yémen, en Afghanistan et en Somalie depuis 2010. Entre 910 et 2.200 des victimes étaient des civils, et de 283 à 454 étaient des enfants.

Mais outre les victimes civiles, l’utilisation de drones pour des assassinats ciblés soulève une préoccupation plus fondamentale.

Selon le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, la guerre des drones américains « viole souvent le droit international, notamment les règles strictes […] [et] les droits de l’homme fondamentaux, à savoir le droit à la vie et à l’intégrité physique, en attaquant des individus sans identifier suffisamment leur statut ».

En 2015, à la suite d’une vague d’attaques individuelles à l’arme blanche contre des Israéliens par des Palestiniens, pour la plupart de jeunes, Israël a modifié l’orientation de ses « règles d’engagement », autorisant l’assassinat immédiat des attaquants ou des suspects.

Selon le centre des droits de l’homme Adalah en Israël, « l’amendement de ces règles d’engagement a conduit à une augmentation spectaculaire de l’utilisation injustifiable de la force létale par la police, (…) y compris de nombreux cas de ce qui semble être des exécutions extrajudiciaires ».

Entre janvier et juillet 2022, les forces israéliennes ont tué 53 Palestiniens à la suite d’un usage excessif de la force, selon le Centre des droits de l’homme Euro-Med.

Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem, l’assassinat ciblé de militants palestiniens lors de raids militaires est également classé parmi les exécutions extrajudiciaires.

« Les exécutions extrajudiciaires de Palestiniens sont déjà une préoccupation actuelle », a souligné Tahseen Alian. « Ils vont très probablement augmenter avec l’introduction des drones, en raison de l’assouplissement des règles d’engagement israéliennes et de la capacité accrue de tuer n’importe qui n’importe où avec des drones », a-t-il ajouté.

La semaine dernière, à la suite d’un briefing aux médias israéliens, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré aux journalistes israéliens que les attaques de drones ne seraient utilisées qu’en cas de « nécessité immédiate d’éliminer une menace », et non comme « une politique de reprise des assassinats ».

Cependant, le feu vert de l’armée israélienne aux assassinats par drone intervient au milieu d’une escalade continue en Cisjordanie, où les forces israéliennes ont déjà tué 165 Palestiniens lors de raids militaires dans les villes palestiniennes, y compris plusieurs assassinats ciblés de militants palestiniens dans le nord de la Cisjordanie.

« Les gens s’inquiètent de l’utilisation éventuelle de drones dans les assassinats, car ils sont sûrs que les pertes civiles vont augmenter », a déclaré au New Arab Mohammad Raei, un militant des droits de l’homme basé à Naplouse.

« Depuis deux semaines, les drones israéliens n’ont pas quitté le ciel de Naplouse, et bien qu’il ne s’agisse très probablement pas de drones armés, leur bruit énerve tout le monde », a-t-il déclaré.

« Ma famille et moi, ainsi que nos voisins, nous sentons déjà menacés par les raids israéliens, et les drones rendent notre vie quotidienne encore plus difficile, on pense qu’ils pourraient bientôt commencer à tirer », a-t-il ajouté.

« J’espère personnellement que l’occupation israélienne ne commencera pas à tuer avec des drones, car nous savons tous que ce sont les assassinats ciblés qui ont exacerbé la situation pendant la deuxième Intifada et prolongé la violence », a déclaré Osama Hanini, un jeune ingénieur de Ramallah, au New Arab.

« La situation actuelle, qui est déjà instable et incertaine, deviendrait encore plus violente et compliquée », a-t-il ajouté.

« Il n’y a aucune garantie que le nombre de meurtres n’augmenterait pas avec l’introduction des drones », a remarqué Tahseen Alian.

Compte tenu du fait que la définition israélienne d’une « menace immédiate » est vague et subjective, l’utilisation de la technologie des drones entraînerait très probablement davantage de violations des droits de l’homme, d’exécutions illégales et de victimes civiles », a-t-il souligné.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR

[writers slug=qassam-muaddi]