Qui sont les résistants de l’Antre des Lions ?

Nadeen Alshaer, 11 octobre 2022. Tout de noir vêtus, entièrement masqués et les armes brandis haut et ferme dans la main droite, les membres de l’Antre des Lions ont arpenté les rues et les ruelles de la vieille ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, pour la première fois le 2 septembre en tant que groupe armé inter-factions organisé, en présence de centaines de personnes.

Le drapeau de l’Antre des Lions est brandi lors d’une cérémonie commémorative pour deux de ses membres abattus. Le morceau de tissu rouge qui recouvre le canon signifie qu' »aucune balle ne sera tirée en vain ». [Source : Lions’ Den]

Au cours de la cérémonie commémorative qu’ils ont organisée pour les combattants de l’Antre des Lions, Muhammad « Abu Saleh » Al-Azizi et Abd Al-Rahman Subh, tués par les forces israéliennes lors d’un raid militaire sur Naplouse le 24 juillet, l’Antre des Lions (« Areen Al-Osood ») s’est annoncée comme « un phénomène de résistance continue issu de son unité sur le terrain et des racines de la révolution passée ».

Depuis le début de l’année, la Cisjordanie a connu l’une des plus intenses escalades de violence de la part des forces israéliennes et des colons, à laquelle s’est ajoutée l’activité accrue des groupes armés palestiniens, principalement les Brigades de Jénine et les nouveaux membres de l’Antre des Lions, qui ont émergé du quartier d’Al-Yasmina dans la vieille ville de Naplouse.

Bien que les membres de l’Antre des Lions se soient fait connaître à différentes occasions au cours de l’année écoulée, généralement par le biais de courts clips vidéo et de déclarations, leur apparition du 2 septembre a constitué leur première déclaration d’intention publique et officielle. Jusque-là, on ne savait pas grand-chose du groupe, si ce n’est les affirmations des services de renseignement israéliens publiées (et enjolivées) dans les médias israéliens et palestiniens.

Mohammad Daraghmeh, chef de bureau d’Al-Sharq, journaliste chevronné et analyste politique, déclare à Jerusalem24 que le groupe émergent L’Antre des Lions est un phénomène inédit en Cisjordanie.

« Un besoin d’unité »

« J’ai couvert la première et la deuxième Intifada », dit Daraghmeh. « Les Brigades des Martyrs Al-Aqsa étaient distinctes des Brigades Abu Ali Mustafa et des Brigades Al-Qassam. Chaque faction avait son aile militaire. Maintenant, ces groupes sont inter-factions, ils n’appartiennent pas à une faction. »

Ce qui est sans précédent, explique Daraghmeh, c’est que de jeunes Palestiniens s’élèvent au-dessus des différences traditionnelles entre factions politiques, et s’engagent dans le combat armé côte à côte.

Jénine, dit-il, en est un parfait exemple. « Des symboles nationaux comme Fathi Khazem et d’autres soulignent toujours le fait et la nécessité d’être unis. Donc, oui, ils sont unis, ils sont différents des groupes [politiques]. »

Les pratiques israéliennes sur le terrain reflètent que le gouvernement israélien n’est pas intéressé par une solution à deux États à l’approche de nouvelles élections, dit Daraghmeh, ce qui est un reflet de la situation plus large des dernières décennies. « Les Israéliens ont transformé les communautés de Cisjordanie en cantons ».

« Aujourd’hui, vous ne pouvez pas conduire de Ramallah à Naplouse sans être attaqué par des colons. Les gens sont confinés dans des villes et des villages sans accès à l’eau, à la terre et aux routes. Les gens vivent en prison. »

Tout cela contribue à la popularité croissante – et à la portée – des groupes armés, notamment l’Antre des Lions.

Wissam Hanoun, un ancien prisonnier du camp de réfugiés de Jénine, a déclaré à Al-Araby, dans une interview du 24 août, que les jeunes Palestiniens ont été au cœur du renouvellement et de l’intensification des activités visant à affronter l’armée israélienne. Le groupe de jeunes qui s’est réuni en juin 2021 comptait une vingtaine de jeunes gens, dormait dans les allées du camp et incarnait la conviction que « on n’entre pas dans le camp sans une confrontation », ce qui signifie que les invasions de la ville et de ses environs par l’armée israélienne et les colons – en particulier la Tombe de Josef, qui a été au cœur des activités réactives du groupe – ne resteraient pas sans conséquence.

L’émergence de l’Antre des Lions

Daraghmeh estime que chaque génération en Palestine affronte les faits sur le terrain en fonction de son expérience vécue. « Cette génération est debout, elle n’a pas peur de l’invasion israélienne et veut tenter sa chance dans la lutte. »

« Ils ne se souviennent pas des atrocités de la deuxième Intifada.»

Les conditions sont également différentes aujourd’hui, selon Daraghmeh : les Palestiniens sont déçus par le processus de paix et ne nourrissent aucun espoir dans les négociations. Ils estiment que « le projet national de l’OLP est allé droit dans le mur. »

« Les gens ne sont pas satisfaits de l’AP, mais surtout en colère de n’avoir aucune sorte de démocratie, aucun droit de l’homme. Ils ne se font plus d’illusions sur l’ancienne croyance – et ils veulent travailler ensemble quoi qu’il arrive. »

Dans une vidéo qui a commencé à circuler sur les réseaux sociaux à peu près au moment de l’assassinat de Nabulsi, le 9 août, on entend ce dernier revendiquer son affiliation aux Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, avant de lancer un appel à l’unité à l’ensemble de la population palestinienne. À la suite de l’assassinat d’Al-Shishani, d’Al-Dakhil et de Mubaslaton le 8 février, des articles ont indiqué qu’ils étaient tous les trois affiliées à l’aile militaire du Fatah.

Le groupe armé Antre des Lions dans la vieille ville de Naplouse, photo publiée le 3 septembre 2022 via le canal Télégramme du groupe. [Source : Lions’ Den]

Mais l’affiliation à un parti ou à une faction armée particulière n’a pas empêché de jeunes Palestiniens de venir grossir les rangs de l’Antre des Lions.

« Une majorité écrasante dans ces groupes armés est issue du Fatah », souligne Daraghmeh. « Ceux-là croient principalement au noyau du Fatah, et ils ont leurs propres symboles nationaux, comme Marwan Al Barghouti, et Yasser Arafat. Mais ils sont prêts à travailler avec d’autres. »

« Ils sont arrivés à cette conclusion après que le projet national s’est heurté à un mur – alors que dans le même temps, Israël prend ce qui reste de la Cisjordanie et de ses villes et villages, et construit des colonies. »

Le site d’information israélien Walla, citant le Shin Bet, affirme que les fondateurs du groupe armé Antre des Lions sont Adham « Mabrouka » Al-Shishani, 26 ans, Mohammad Al-Dakhil, 22 ans, Ashraf Mubaslat, 21 ans, et Ibrahim Nabulsi, 18 ans, tous assassinés par Israël cette année. Nabulsi, un combattant populaire et charismatique, était en mesure de recruter un nombre important de jeunes gens pour rejoindre les rangs de l’Antre des Lions.

Vidéo d’un interwiew d’Ibrahim Nabulsi

De nombreux Palestiniens pensent que la réapparition des groupes armés à Naplouse depuis le début de l’année est due à la détérioration de la situation sécuritaire dans les villes de Jénine et de Naplouse et dans les camps de réfugiés environnants. Les médias israéliens qualifient ces deux villes du nord de « nid de frelons ».

Environ la moitié des 105 Palestiniens abattus par les forces israéliennes en Cisjordanie occupée en 2022 étaient originaires de Jénine et de Naplouse.

Au cœur de Naplouse

L’Antre des Lions était initialement connue sous le nom de Brigade de Naplouse, tout comme la Brigade de Jénine.

Ahmad Azzm écrit dans Al-Araby du 24 août que le nom « l’Antre des lions » et la décision des jeunes de Naplouse de l’adopter, consciemment ou non, est l’expression de leur planification et de leur travail à partir d’une zone concentrée comme une tanière. Selon Azzm, « ces jeunes n’incarnent pas des cellules secrètes qui mènent leurs opérations puis disparaissent, comme l’ont fait les actions commando dans le passé ; ils ont plutôt planté leurs armes et consolidé leur présence parmi la population. Ils comprennent qu’ils doivent travailler depuis les profondeurs du camp et non depuis sa périphérie. »

Azzm explique qu’à Naplouse, le groupe a tenu à s’implanter dans les quartiers au cœur de la vieille ville, comme Al-Yasmina et Al-Qaysariyyah.

« Ces jeunes savent bien que leurs allées et venues sont connues, et que les agents des services de renseignement israéliens savent où ils se trouvent exactement – notamment le soi-disant « capitaine Anwar » dans la région de Naplouse, qui a appelé les membres de l’Antre des Lions et leurs familles pour les menacer. »

Pourquoi maintenant ?

Chaque génération se lève et prend les choses en main, songe Daraghmeh. « Cette génération n’a rien à voir avec la première et la deuxième intifada… l’échec, la défaite et l’invasion israélienne… ils ne l’ont pas vécu. Ceux qui l’ont vécu pensent différemment. »

Si vous arrêtez des gens, les tuez et les humiliez, dit Daraghmeh, ils ne resteront pas silencieux – ils mourront bruyamment. « Plus l’occupation est violente, plus les combattants le sont. Ils voient les soldats israéliens tuer sans raison, comme le meurtre de Shireen Abu Akleh, tous ces meurtres faciles et ces vols de vies poussent les gens à exploser, et à réagir. »

Daraghmeh s’aventure à dire qu’au début, les Israéliens toléraient le phénomène de la présence d’hommes armés à Jénine et à Naplouse, car ils pensaient « pouvoir en tirer un avantage politique, en disant aux Américains et aux Européens que l’Autorité palestinienne est faible et incapable de contrôler ces villes. »

Cependant, il ajoute que la scène a changé lorsque les tireurs palestiniens ont commencé à mener les attaques plus loin que les frontières de leurs villes, et c’est à ce moment-là qu’Israël a pris la décision stratégique de les « démanteler ».

« Ils [les Israéliens] orchestrent des opérations à l’intérieur de Jénine et de Naplouse pour les tuer et les assassiner [les combattants]. Les récentes attaques à Jénine montrent qu’ils n’ont pas laissé aux combattants la possibilité de se rendre, mais ils les ont plutôt tués. »

« Si cela continue, je pense qu’Israël ira vers une invasion. »

Les États-Unis tentent séparément de faire pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle réduise ses activités armées, mais selon Daraghmeh, cela ne se passe pas comme prévu.

Regardez l’interview complète du journaliste Mohammad Daraghmeh

Article original en anglais sur Jerusalem24fm.ps / Traduction MR

Au sujet de l’auteur :  Nadeen Alshaer est une journaliste palestinienne, diplômée de l’université de Birzeit avec un B.A. en journalisme de diffusion TV et radio. Alshaer a plus de 5 ans d’expérience dans le journalisme. Elle travaille actuellement en tant que reporter, rédactrice et présentatrice/productrice pour PBC-Palestine TV et Jerusalem24 radio. Elle est une ancienne élève de l’ONU et de la Kelley School of Business.