« Grâce au processus de documentation de l’histoire de la Palestine, les anciens ne meurent pas et les jeunes n’oublient pas (*) »

Ahmad Alzoubi, 11 août 2022. Nayef Mustafa Suleiman Turaani est un réfugié palestinien originaire de la ville de Samakh, dans le district de Tibériade, en Palestine. Il est né en 1955 à Al-Hamma, situé dans le triangle formé par la frontière entre la Syrie, la Palestine et la Jordanie, après que sa famille ait été déplacée de Samakh pendant la Nakba de 1948. Sa famille a déménagé à Jobar, à cinq kilomètres à l’est de la capitale syrienne, Damas, puis s’est installée dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk. Il a commencé ses études dans les écoles de l’UNRWA à Yarmouk en 1962 et a poursuivi ses études d’ingénieur civil à l’université, après quoi il a rejoint les rangs du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), combattant dans ses rangs face à l’invasion israélienne du Liban et pour défendre les peuples du Liban et de Palestine.

Samakh, dans le district de Tibériade, en Palestine occupée, entièrement détruite par les hordes terroristes de la Haganah en 1948

Se souvenant de l’expulsion de la résistance du Liban, Nayef raconte qu’ils ont souffert des jours de siège dans la capitale libanaise, Beyrouth. « Nous avons été surpris par la décision de quitter le Liban, et c’était un complot clair pour démanteler la révolution palestinienne. Les factions de la résistance sont parties dans plusieurs pays, alors je suis parti en Syrie, où vit ma famille. »

« Nous avons quitté Beyrouth à midi et sommes arrivés à Tartous à l’aube. Des milliers de familles nous ont accueillis sur la côte à Tartous ; beaucoup demandaient des nouvelles de leurs fils et de leurs familles. Certains avaient des photos et demandaient si quelqu’un avait vu leurs proches », explique-t-il.

« Nous sommes montés dans les bus et nous nous sommes dirigés vers la base militaire d’Al-Dhanin, à l’est de Damas, et on nous a délivré des papiers identités avec de nouveaux noms pour ceux qui le souhaitaient, et nous avons rendu les armes que nous avions. »

Au début, dit-il, « nous étions comme des gens perdus » car ils ne portaient plus d’armes comme ils en avaient l’habitude depuis plus de 100 jours de combat. « Notre vie consistait en une volonté de sacrifice et de mort pour le bien de la patrie », explique-t-il.

Après avoir passé 14 jours avec sa famille à Yarmouk, Nayef a rejoint l’aéroport militaire de Khalkhala, au sud de Damas, à la demande du gouvernement syrien. En 1983, il s’est installé en Jordanie et a travaillé comme ingénieur.

Depuis sa retraite, Nayef écrit l’histoire de Samakh, la ville dont sa famille est originaire. Il dit que son expérience de l’histoire a changé après la mort de son père, lorsqu’il a joué un rôle plus actif dans la famille et en a appris davantage sur son histoire.

« Nous avons rassemblé des photos et des documents que moi et les habitants de Samakh possédons, comme la carte de mariage de mon père – qui date de 1936 -, les certificats de naissance des habitants de la ville et les documents d’enregistrement foncier, tous conservés dans les archives », dit-il.

« Mon désir d’écrire et de documenter a augmenté, et j’ai commencé à rechercher les personnes âgées qui sont nées dans le village et qui y vivaient avant la Nakba. »

La ville de Samakh a fait l’objet d’un nettoyage ethnique complet en 1950, et seuls trois points de repère de la base de basalte sont restés, dont les traces du chemin de fer et des wagons, en plus du bâtiment de la gare et de celui de la boutique Hassan Saeed Al-Damwani. « Les sionistes ont établi neuf colonies sur ses terres : Kinneret, Dajania Elif, Dajania B, Beit Zeira, Afokim, Ashdot Yaakov, Sa’ar Hagolan, Masada et Memghan », précise Nayef, ajoutant que la ville arabe de Samakh n’existe plus.

Environ 3.000 Palestiniens vivaient à Samakh en 1946 et la ville compte parmi ses personnages les plus célèbres le regretté Fayez Qandil, le militant politique Khaled Al-Tar’ani et l’ancien directeur adjoint du barreau jordanien Falah Madi.

En apprenant l’histoire de sa ville, il a découvert que des bandes sionistes avaient essayé d’acheter des terres aux Palestiniens, mais que ceux-ci avaient refusé de vendre. Afin de leur forcer la main, le fils du mukhtar (chef de la ville) de Samakh a été enlevé. Lorsque les sionistes sont venus négocier sa libération en échange de l’achat de la terre, Suleiman Turaani a déclaré qu’il considérait que son fils avait été martyrisé et a refusé leurs conditions.

« Ce qui a également attiré mon attention, c’est le respect des femmes ; leur donner tous leurs droits », dit Nayef. « J’ai écrit sur la révolution des femmes et la marche aux flambeaux contre l’occupation lors de l’agression tripartite sur Port Saïd en Égypte ».

« L’ancienne puissance coloniale britannique et l’occupation sioniste, autrefois et actuellement, ont essayé de vaincre le peuple palestinien, de mettre fin à sa cause et de voler ses terres, mais elles n’ont pas réussi », dit Nayef.

« Les vagues de normalisation avec l’ennemi sioniste par les régimes arabes et certains partis palestiniens n’ont pas non plus réussi à marginaliser la cause palestinienne. Nous avons trouvé cette génération de survivants de la Nakba plus forte et plus féroce que ses pères et grands-pères. »

Son travail de collationnement des souvenirs de sa ville et des Palestiniens dans leur ensemble fait partie de la résistance, explique-t-il. « Grâce au processus d’archivage, de documentation et de circulation de ces histoires, les anciens ne meurent pas et les jeunes n’oublieront pas.(*) »

Article original en anglais sur Middle East Monitor où l’on peut voir plusieurs photos d’époque, comme sur le remarquable et indispensable site Palestine Remembered / Traduction MR.

(*) “The old will die and the young will forget” – phrase attibuée, à tort semble-t-il, à David Ben Gourion qui ne l’aurait ni écrite ni exprimée telle quelle. Son objectif de nettoyage ethnique des Palestiniens ne fait lui aucun doute. (ndt)

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